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Point sur les évolutions jurisprudentielles
intéressant la responsabilité du préposé en général
et du capitaine en particulier



Merci à Mr Hervé PELLECUER de nous autoriser à publier cette note de synthèse sur la responsabilité civile du capitaine qui nous a été transmise par notre collègue M. PREBOT.



  1. Rappel des textes et de la jurisprudence applicables en matière de responsabilité civile «générale» du capitaine (hors textes spécifiques sur les pollutions et autres atteintes à l’environnement)


Loi n° 69-8 du 3 janvier 1969
Loi relative à l'armement et aux ventes maritimes.

Chapitre II
Personnel d'exploitation.

Section I
Des agents de l'armateur.

Article 3
  L'armateur répond de ses préposés terrestres et maritimes dans les termes du droit commun, sauf la limitation de responsabilité définie par le chapitre VII de la loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer.

Article 5
  Le capitaine répond de toute faute commise dans l'exercice de ses fonctions.


++++


CODE CIVIL

Article 1384
  On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde
…/…
Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;
…/…
++++

           La jurisprudence depuis l’arrêt Lamoricière (Cass. Civ 15 juin 1951) a posé le principe que le capitaine avait la qualité juridique de préposé de l’armateur. Le législateur a transposé ce principe en droit interne au travers de l’article 3 de la loi n°69-8 du 3 janvier 1969 rappelé ci-dessus.

           Pour autant, la loi précitée maintient en apparence un régime de responsabilité extrêmement sévère pour le capitaine dans l’article 5 puisque celui-ci doit répondre de toute faute, même légère, tant dans le domaine de la responsabilité contractuelle (à l’égard de l’armateur) que délictuelle (à l’égard des tiers). Le seul exemple jurisprudentiel retenant la responsabilité contractuelle du capitaine, hors faute intentionnelle, a été donné par la Cour d’Aix dans l’arrêt Ann Bewa du 25 février 1979.

           En matière délictuelle, le principe de la responsabilité du capitaine a été battu en brèche par l’arrêt Costedoat du 25 février 2000.


  1. L’arrêt Costedoat


  2.        L’arrêt Costedoat est qualifié d’arrêt de principe parce qu’il a été rendu par l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation et non par une simple chambre de cette juridiction comme cela a été le cas pour nombre des décisions évoquées ultérieurement. Certes, les principes posés dans ces arrêts ne sont pas intangibles et peuvent être aménagés par les décisions futures des différentes chambres mais sans pour autant les dénaturer.

           Cet arrêt pose le principe de l’immunité civile, au regard des articles 1382 et 1384 al.5 du Code Civil, du préposé pour les dommages qu’il cause aux tiers dans l’exercice de ses fonctions.
  « … Attendu que n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui a agi dans les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant … »

           Ainsi que développé dans une note en date du 23 octobre 2001 à l’attention des commandants, la doctrine majoritaire conduite par le Professeur Bonassies a considéré que les attendus de cet arrêt, pris au visa des articles 1382 et 1384 al.5 du Code Civil étaient applicables au capitaine, préposé de l’armateur, dans la mesure où l’article 5 de la loi 69-8 du 3 janvier 1969 n’était que la transposition, dans un texte particulier, de l’article 1382 de Code Civil. De fait, le capitaine serait devenu un salarié «lambda» qui ne répondrait plus que des fautes commises en dehors de limites de sa fonction.


  1. Les atténuations jurisprudentielles ultérieurement apportées à l’arrêt Costedoat


    1. L’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation, par un arrêt en date du 14 décembre 2001, a levé l’immunité civile du préposé en cas de faute intentionnelle.
  « … Le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre de son commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité à l’égard de celui-ci. »
      Loin de considérer cette décision comme un retour en arrière, la doctrine majoritaire y a vu la confirmation de l’arrêt Costedoat pour tout qui concerne les fautes non intentionnelles.

    1. Par un arrêt de la 1° Chambre Civile en date du 13 novembre 2002, la Cour de Cassation a introduit une nuance pouvant avoir des implications importantes pour le capitaine. Un médecin salarié a été déclaré civilement responsable pour les conséquences dommageables d’une faute non intentionnelle « en raison de l’indépendance professionnelle intangible dont bénéficie le médecin, même salarié, dans l’exercice de son art ».
      Cette solution est transposable au capitaine en raison de la latitude qui est la sienne dans la gestion nautique du navire. D’aucuns s’interrogent toutefois sur la réalité de cette indépendance au vu de certaines pratiques conduisant l’armateur, sur certains types de trafic, a donner au capitaine des instructions précises sur la conduite du navire (route ou la vitesse, …).


    2. La même Chambre de la Cour de Cassation a opéré un revirement par deux arrêts en date du 9 novembre 2004 et a censuré les décisions d’appel condamnant, d’une part, un médecin et, d’autre part, une sage femme sur la base de la jurisprudence précédente en retenant que
  « agissant sans excéder les limites de la mission qui leur étaient impartie par l’établissement de santé privé, elles n’engageaient pas leur responsabilité à l’égard des tiers ».
      Ces décisions confirment de façon nette la jurisprudence «Costedoat» telle qu’atténuée par l’arrêt «Cousin».

    1. Cette position sera rappelée par la 2° Chambre Civile dans un arrêt du 5 octobre 2006 avec la cassation d’un arrêt condamnant un arbitre de rugby à la suite de blessures provoquées au cours d’un match par des pratiques fautives répétées qu’il avait omis de sanctionner. La Cour de Cassation, après avoir relevé que l’arbitre avait agi dans les limites de sa mission, a estimé que la cour d’appel avait violé l’article 1384 alinéa 5.


    2. A noter une décision de la 1° Chambre Civile en date du 12 juillet 2007, d’apparence contradictoire, qui après avoir rappelé l’immunité civile d’un médecin salarié, exerçant par ailleurs à titre libéral, condamne son assureur R.C pour l’activité libérale, à indemniser l’assurance de son employeur dont la responsabilité civile avait été retenu dans le cadre de l’activité salarié du dit médecin. On peut analyser cette décision comme une affirmation que l’immunité civile reconnue au préposé ne saurait être, en droit, «déresponsabilisante». Est-ce à dire que le principe de l’immunité absolue du préposé posé par l’arrêt «Costedoat» se trouverait atténué en présence d’un salarié couvert par une assurance de responsabilité civile personnelle avec l’introduction d’un nouveau principe «immunisé mais redevable» ? Il est trop tôt pour l’affirmer.


  1. La jurisprudence de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation


  2.        La Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a adopté une approche différente de la responsabilité civile du préposé en cas de dommages causés aux tiers à l’occasion d’une infraction pénale, même non intentionnelle au sens de l’article 121.3 du code pénal.

 
Article 121-3

(Loi nº 96-393 du 13 mai 1996 art. 1 Journal Officiel du 14 mai 1996)

(Loi nº 2000-647 du 10 juillet 2000 art. 1 Journal Officiel du 11 juillet 2000)

      Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
      Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.
      Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
      Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
      Il n'y a point de contravention en cas de force majeure.


Dans un arrêt du 28 mars 2006 impliquant un chef de service d’une entreprise de BTP disposant d’un délégation de pouvoir en matière d’hygiène et de sécurité, la cour a considéré que
«le préposé, auteur d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal, engage sa responsabilité civile à l’égard du tiers victime de l’infraction, celle-ci fût-elle commise dans l’exercice de ses fonctions».
           C’est le même raisonnement qui a été suivi par la Chambre Criminelle dans l’arrêt «La Normande» en date du 13 mars 2007 en déclarant que «le capitaine, auteur d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3 alinéa 4 du code pénal, engage, en application de l’article 5 de la loi n°69-8 du 3 janvier 1969, sa responsabilité civile à l’égard du tiers victime de l’infraction, cette faute fût-elle commise dans l’exercice de ses fonctions».

           La Chambre criminelle a donc levé l’immunité civile du préposé en cas de faute pénale non intentionnelle et, par là même, exclut du champ de la jurisprudence «Costedoat» les cas de responsabilité civile consécutifs à une faute pénale, au moins pour les préposés disposant de pouvoirs ou d’une indépendance étendus.


  1. Les positions divergentes de la doctrine.


  2.        L’arrêt du 13 mars 2007 a donné lieu aux commentaires de deux « sommités » en matière de droit maritime, le professeur Vialard (Jurisclasseur de juillet / août 2007) et le professeur Bonassies (DMF novembre 2007) qui tout en s’accordant sur le fait que la Chambre Criminelle a modifié la portée de la jurisprudence Costedoat en refusant l’immunité civile au préposé responsable d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal, diffèrent sur l’analyse de la situation et sur les orientations souhaitables .

           Le professeur Vialard, plutôt critique sur la «déresponsabilisation» du préposé lorsqu’il s’agit de préposés qualifiés de «supérieurs» ou «XXL», dont le capitaine, y voit une nouvelle frontière à la jurisprudence «Costedoat» et un retour à l’état antérieur de la jurisprudence pour cette catégorie de salariés.

           Le Professeur Bonassies, quant à lui, appelle de ses vœux un arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation pour faire valider l’immunité civile du préposé hors faute pénale intentionnelle, le capitaine demeurant, pour lui, un simple réalisateur de l’activité organisée par son armateur et dont la responsabilité civile personnelle ne doit être recherchée qu’en cas d’une faute d’une particulière gravité ou détachable du service, à l’instar des principes posés en droit administratif.

           Ce débat est révélateur de deux conceptions de la responsabilité. D’un côté, une conception où la responsabilité civile est considérée comme un corollaire de la faute et donc comme une sanction civile imposée à son auteur, éventuellement en complément d’une sanction pénale s’il y a eu infraction. Pour les tenants de l’autre bord, la responsabilité civile est considérée comme un vecteur pour indemniser la victime et le responsable juridique de cette réparation n’est pas nécessairement l’auteur du fait générateur mais le bénéficiaire de son activité avec, généralement, transfert de la charge financière à un assureur.

           Ce débat n’a pas d’incidence sur la responsabilité pénale du préposé pour faute non intentionnelle qui demeure entière lorsque les éléments constitutifs de l’incrimination sont réunis (violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, ou faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que le prévenu pouvait ignorer.).
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