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Rôle, statut, contraintes, responsabilité du Capitaine de Navire
Texte de la communication faite à l'IFDM en juillet 2012 par le Cdt Hubert Ardillon, président de l'AFCAN
 
Cette communication a également été faite à l'Académie de Marine le 19 juin 2012 par le Cdt Ardillon


Généralités.

       Le capitaine est responsable de tout et tous à bord. Son rôle, qui découle de son niveau de responsabilité, est très simple : il doit organiser, coordonner et vérifier tout ce qui se passe à bord et tout ce qui touche le navire, de près ou de loin.

       Les responsabilités qu'il doit assumer, commerciales et humaines. Son statut est à la fois simple et compliqué : compliqué parce qu'il est nommé par l'armateur du navire pour être le capitaine et ainsi son représentant, mais aussi celui de l'affréteur et des divers managers qui opèrent le navire. Il peut être révoqué à tout moment. Ce qui rend son statut on ne peut plus simple car il n'en a pas vraiment au sens où les Conventions Collectives par exemple, ne prennent ce statut que très rarement en compte. On voit d'ailleurs de plus en plus souvent des capitaines licenciés ou rétrogradés par leur armateur, uniquement parce qu'ils ne plaisent plus.

       Prenons quelques exemples pour illustrer le rôle important que tient le capitaine à bord du navire, et démontrer qu'il est nécessaire de lui laisser un certain pouvoir de décision et ne pas lui imposer des contraintes ou des pressions inutiles qui ne peuvent que nuire à son efficacité.

Sécurité en termes de navigation, technique et humaine.

Le plan de traversée.
       Il est fait par le bord, généralement le lieutenant navigation. Il est ensuite vérifié, corrigé, amendé par le capitaine. La route a ainsi été choisie notamment du fait de la connaissance par le capitaine et de son lieutenant des dangers connus ou potentiels à venir tels que la hauteur d'eau, les courants, le trafic, la météo. Mais il doit aussi tenir compte de l'état mécanique de son navire.

       Explication : le capitaine connaît son navire, il est en mesure de déterminer qu'à certains endroits il court plus de risques qu'à d'autres, en se rapprochant trop de la côte par exemple. Il va donc choisir une route plus sûre mais aussi un plus éloignée de la côte, donc un peu plus longue. Le capitaine peut aussi savoir qu'il aura besoin de s'arrêter quelques heures pour un entretien banal sur le moteur principal car cet entretien ne peut pas être fait en route. Un navire ne peut pas naviguer indéfiniment sans entretien. Beaucoup de personnes semblent l'oublier comme elles oublient aussi que la plupart des navires ne peuvent effectuer cette maintenance à quai et encore moins lors des opérations commerciales. Quel est le plus rentable ? le moins cher ? S'arrêter en pleine mer, faire la maintenance et repartir avec le coût éventuel d'un petit retard qui peut, la plupart du temps, être récupéré, ou bien faire la même opération à quai, après les opérations commerciales, souvent en étant obligé de changer de quai ?

       Mais l'arrêt à la mer va, aussi, être conditionné par la météo et le trafic rencontré. L'arrêt peut donc être remis en cause.

       Les questions qui se posent alors sont : pourquoi y a-t-il une volonté de l'autorité qu'il soit nécessaire de communiquer le plan de traversée avant le départ de la traversée s'il se peut qu'il ne soit pas suivi à la lettre ? Est-ce juste pour archiver en vue d'un audit ? Ou pour influencer le capitaine sur la route à suivre ? (Tiens ! vous passez par cet endroit... qui deviendra rapidement: pourquoi ne passez-vous pas par là ?) Il est facile pour un manager de suivre à tout instant son navire (AIS et LRIT) et ainsi, on en arrive à des situations kafkaïennes où dès qu'un navire ralentit ou dévie de sa route, son capitaine est appelé pour savoir ce qui se passe, voire pour le réprimander parce qu'il se sera permis un écart par rapport au plan prévu et envoyé.

       En tombant dans l'exagération, faudra-t-il un jour téléphoner à un « manager navigation » pour lui demander la permission de manœuvrer en cas de risque d'abordage ? La rapidité, la facilité des communications actuelles, cela a du bon, mais cela devrait rester dans des limites d'utilisation pertinentes.

En ce qui concerne l'humain,
       Le capitaine est toujours considéré comme responsable si le marin qui embarque arrive à bord sans un certificat de validité médicale.

       Article 5523-4 du code du travail : Est puni de 6 mois d'emprisonnement et de 3.750€ d'amende le fait d'admettre à bord un membre de l'équipage ne disposant d'aucun certificat d'aptitude physique valide, délivré conformément aux dispositions du présent livre.

       Cette infraction ne vise pas l'armateur mais uniquement le capitaine car c'est lui qui supervise à bord l'accueil de l'ensemble des personnels venant y travailler, qu'ils soient directement salariés ou non de l'armateur. Le capitaine est en mesure de les contrôler.

       Deux remarques : le capitaine ne choisit pas les membres d'équipage qui doivent embarquer, ils lui sont imposés par le manager, et le fait de refuser l'embarquement d'un membre d'équipage revient à appareiller sans avoir l'équipage au complet. Quelle est la faute la plus lourde au point de vue sécurité, et pourquoi le capitaine est-il le seul tenu responsable de ce fait ?

La sûreté : piraterie :

       Elle pose plusieurs problèmes au capitaine. Il faut gérer les mesures à prendre (les BMP), gérer aussi l'angoisse de l'équipage (et la sienne propre). Et lorsque le capitaine a la chance d'être sur un navire qui verra arriver des gardes embarqués pour traverser la zone pirates, il sait qu'il lui incombe une responsabilité supplémentaire. Une responsabilité pour laquelle il n'a pas été formé : décider quand faire ouvrir le feu si besoin est, et aussi, faire cesser le feu. Certes il est entouré d'au moins une personne compétente dans ce domaine, qui devrait pouvoir le conseiller au mieux, mais quid de cette responsabilité qu'il ne peut pas partager, alors qu'il n'a pas l'entière décision dans ses mains ?

       Ce qui différencie cette responsabilité des autres : en matière de navigation, j'ai une situation de collision avec un autre navire, je sais ou je me dois de savoir ce qu'il faut faire pour éviter la collision. C'est ma responsabilité, je fais bien ou je fais mal mais j'en porte l'entière responsabilité et je l'accepte. Par contre je vois une embarcation suspecte approcher, sont-ce des pirates ou non ? Quand puis-je déterminer que oui ? Quand dois-je faire ouvrir le feu ? Et comment ? Et si c'est trop tard ? Ou trop tôt car ce ne sont pas des pirates ? Même avec un conseil pertinent, j'en ai la responsabilité, et en tant que capitaine je dois l'avoir.

       Même si dans les deux cas je ne suis pas sûr à 100% de prendre la bonne décision, je peux au moins me baser sur un savoir acquis et normalement pratiqué pour le premier cas (navigation). Mais sur le 2ème cas (piraterie) il n'est pas facile de vivre avec cette impression d'être responsable parce que l'on s‘est trompé sur quelque chose qu'on ne connaît pas et qui touche à l'humain.

       Alors responsable oui, mais il faut garantir que l'ouverture et la fermeture du feu, si elles sont conseillées par des spécialistes embarqués, sont conditionnées à l'accord explicite du capitaine.

Les contraintes liées à la communication.

       Les communications sont maintenant, à l'évidence, plus faciles et moins chères. Conséquence heureuse : le capitaine n'est plus isolé en face d'un problème technique, commercial ou humain.

       Revers de la médaille : on peut aussi l'appeler beaucoup plus facilement à n'importe quelle heure et exercer sur ses épaules une pression de plus en plus forte. De ce fait, il peut facilement être soumis à des pressions de la part d'entités diverses et qui peuvent d'ailleurs être divergentes : un affréteur demandant au navire d'aller plus vite vers un port, et un armateur demandant au capitaine d'éviter la casse. Conflit entre le « plus vite » et le « plus sûr ».

       Comment contenter tout le monde ? Et surtout comment ne pas mécontenter une des deux parties ? Il faut alors au capitaine une bonne dose de diplomatie pour expliquer (au téléphone) que l'on a compris le message mais que les circonstances (qui ne doivent pas mettre le navire en cause, sinon ce serait pire) font que l'on ne peut pas satisfaire entièrement à ce qui est demandé. En faisant attention à ne pas aller trop loin, car un affrètement au voyage par exemple n'est jamais sûr d'être renouvelé.

       Idem pour l'entrée dans un port ou l'appareillage du port. Il n'est pas rare pour un capitaine d'être appelé pour forcer l'entrée au port contre les avis et conseils des autorités de ce port alors que pour un porte-conteneurs les conditions météo feront que la manœuvre sera plus dangereuse et aussi que les portiques seront arrêtés pour cause de vent fort. Idem à l'appareillage où rater la marée du port suivant est souvent jugé catastrophique pour le navire et donc son capitaine.

Le rôle du capitaine dans la relation avec le pilote.

       Juste quelques mots de cette relation vue par le capitaine, le pilote ici présent (à la réunion. NDLR) vous parlera certainement de son point de vue sur ce sujet.

       La relation capitaine / pilote tient, en ce qui concerne le capitaine, sur deux points essentiels : en tant que capitaine, est-ce que je pense avoir besoin du pilote ou non ? Cela va déjà conditionner ma perception du service rendu, et donc l'accueil fait au pilote. Ensuite, et cela peut être un facteur aggravant dans la relation, tout se joue sur le premier instant : la tenue, l'allure, les premiers mots. La suite importe peu si le capitaine ne fait rien pour remédier à un premier contact qui lui paraît négatif. Le capitaine a un rôle essentiel à jouer dans la confiance du pilote et envers le pilote. C'est à lui que revient le fait d'intégrer le pilote dans l'équipe de la passerelle. Le but étant uniquement d'avoir un chemin plus sûr jusqu'au débarquement du pilote.

Conclusion : le capitaine est-il toujours capitaine ou préposé ?

       Ce qui rend un capitaine un simple préposé à la navigation, c'est notamment la facilité qu'ont les différents services à terre pour communiquer avec le capitaine. Ils vont lui proposer, lui suggérer plus ou moins fortement, l'inciter à ne pas agir de la façon qu'il juge la meilleure. Mais c'est aussi son environnement à bord. Le capitaine est devenu très formaté dans un cadre contenant d'innombrables procédures. Il est entouré de règlements et procédures qui couvrent quasiment tout ce qui peut se passer à bord. Ce qui lui laisse de moins en moins de possibilités -je ne dirai non pas d'improvisation- mais de décision réfléchie qui serait différente voire contraire à ce que dit la procédure, mais qu'il jugerait néanmoins utile ou nécessaire dans l'instant et dans le contexte dans lequel il se trouve.

       Bien sûr, le Code ISM précise que le capitaine doit toujours avoir l'autorité suprême et la responsabilité pour prendre des décisions en accord avec la sécurité et la protection de l'environnement. Mais il a intérêt à être assis sur un matelas de très bonnes raisons pour ce faire.

       Alors oui le capitaine est toujours capitaine, seulement de moins en moins en ce qui concerne son pouvoir décisionnel. En ce qui concerne sa responsabilité, rien n'a vraiment changé même si l'évolution du métier a fait qu'il n'avait déjà plus aucun pouvoir sur certaines décisions.


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