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Répression des rejets d'hydrocarbures
Avec l'aimable autorisation de l'auteur et de Mr. S. Miribel nous publions cet extrait du mensuel LE
DROIT MARITIME FRANÇAIS n° 657 Mars 2005 Editions Lamy SA Paris
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Réflexion sur la "preuve" de l'infraction et les "dommages intérêts"
(à propos des affaires Nova Hollandia et Khaled.)
Par M. Bernard Bouloc,
Professeur à l'Université de Paris1 (Panthéon - Sorbonne)
Les pollutions maritimes constituent un fléau contre lequel il faut lutter énergiquement, qu'elles
soient involontaires, ou qu'elles soient voulues (1).
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On sait que le droit français s'est durci au fil des années, et est devenu un "monstre marin"
(2). Mais, outre les difficultés liées à la définition des infractions, par suite du renvoi à des normes conventionnelles
internationales, alors que la loi doit être claire, précise et aisément "lisible" (3) d'autres surgissent quant à la mise en
oeuvre des poursuites et aux personnes pouvant se prétendre lésées par lesdites infractions.
Sans doute, la loi a-t-elle prévu quels agents pouvaient constater par procès-verbal des faits de
pollution. Mais elle ne s'est pas prononcée sur les modes de preuve. Par ailleurs, du fait de la répétition des "marées noires",
nombre d'associations ayant pour objet, lointain ou proche, la protection de l'environnement ou de la nature, ou celles des animaux ou
oiseaux sauvages sollicitent de plus en plus des dommages intérêts punitifs. Ce sont ces problèmes que les jugements rapportés du
Tribunal correctionnel de Brest du 15 juin 2004 et du Tribunal correctionnel de Marseille en date du 6 septembre 2004, ont eu à résoudre.
Ils méritent un examen plus approfondi quant à la question de la preuve d'une pollution maritime et quant aux dommages intérêts alloués
aux associations constituées partie civile.
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- Sur la preuve d'une pollution maritime
En matière pénale, le principe est celui de la liberté de la preuve comme l'énonce l'article 427 du Code de procédure
pénale. L'autorité de poursuite doit donc apporter tous éléments paraissant utiles, et il appartiendra aux juges d'apprécier,
après débat contradictoire, les éléments fournis et de décider d'après leur intime conviction dûment motivée (4).
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Néanmoins, il faut se garder de tout "a priorisme" et de toute erreur de raisonnement. Ce n'est pas parce que l'on a
photographié une tache rouge sur un mur qu'il s'agit d'une trace de sang, et s'il s'agit d'une trace de sang, que c'est
bien du sang humain. Il faut une analyse, et il en faut d'autres pour établir :
(l°) que le sang est celui de telle victime
(2°) qu'il y a un crime et
(3°) que tel individu en est responsable.
Comme l'indique M. le procureur général Burgelin (5), il ne faut pas
procéder à de fausses déductions et le juge doit "bâtir son activité dans le doute, dans la mise en question constante
des données qui lui sont fournies par les uns ou les autres". En un mot, il doit s'abstenir de tout raisonnement établi
sur une simple vraisemblance (6).
Par ailleurs, on ne saurait oublier qu'il existe une présomption d'innocence,
figurant dans la déclaration des droits de l'homme de 1789, ainsi que dans les déclarations internationales (7)
et heureusement rappelée par la loi du 15 juin 2000 (art. préliminaire III C.P.P.). Aussi bien, la personne suspectée ou
poursuivie n'a pas à faire la preuve de son innocence. C'est au ministère public (ou à la partie civile) d'établir par
des éléments pertinents et incontestables que telle personne est bien l'auteur de l'infraction supposée ou constatée.
A cet égard, s'agissant des pollutions de la mer, la loi particulière n'a rien prévu.
Elle dispose seulement que les constatations effectuées par les différents agents énumérés à l'art. L. 218-26 du Code de
l'environnement (parmi lesquels outre les officiers et agents de police judiciaire, figurent les administrateurs des
affaires maritimes - et les agents des douanes, ainsi que les commandants des bâtiments de la marine nationale et les
chefs de bord des aéronefs de la marine nationale) et consignées dans des procès-verbaux "font foi jusqu'à preuve
contraire" (art. L. 218-28 C env.).
Mais il faut bien voir ce que signifie cette règle. Un procès-verbal établi par un
agent, n'a de force probante jusqu'à preuve du contraire qu'en ce qui concerne ce qu'il a vu, entendu ou constaté
personnellement. Il importe de bien faire la distinction entre ce qui est perçu, et ce qui est l'appréciation
personnelle de l'agent sur un événement. Ce qui a été perçu fait foi jusqu'à preuve du contraire, tandis que
l'appréciation de l'agent verbalisateur n'est qu'une opinion.
Or, comme l'a indiqué un auteur, ancien policier, et peu suspect de complaisance
pour les délinquants, un agent a pu voir un véhicule circuler à vive allure, mais l'indication précise de la vitesse,
en l'absence de tout appareil scientifique de contrôle, ne se voit pas, ni ne s'entend (8). Précisément, sauf
s'il s'agit d'agents de constatation qui ont effectué un prélèvement des substances se trouvant à la surface de la mer,
les agents de la marine où de la douane ne peuvent savoir s'il s'agit bien d'une nappe d'hydrocarbure. Ils ont vu une
tache foncée ou brune ou une écume, et la photographie dont certaines décisions indiquent qu'elle "corrobore" les
constatations des agents verbalisateurs, ne fait apparaître que ce qu'a vu l'agent. Mais la photo montre une zone plus
foncée ou des taches brunes. C'est par une interprétation qui n'est pas dotée de la force probante attachée à la
constatation que l'agent de constatation ou le juge estime qu'il pourrait s'agir d'hydrocarbures. Ce n'est pas du tout
sûr. La photo et/ou le procès-verbal dressé du haut de la mer ne peuvent pas valoir constatation d'une pollution marine
par des hydrocarbures. Pour que l'on puisse avoir un peu moins d'incertitude, il faut nécessairement que soit effectué un
prélèvement à la surface de la mer et procéder à son analyse, pour déterminer s'il s'agit bien d'hydrocarbures et le type
d'hydrocarbures en cause. Imaginerait-on de condamner une personne au vu de la photographie d'une tache rougeâtre,
pouvant être du sang ?
Il est permis d'ajouter que la photographie prise par appareil photo numérique - qui
n'est pas étalonné et contrôlé par un organisme public - peut donner lieu à des manipulations volontaires ou
involontaires, et ne fournit pas d'indication sur la nature et l'origine de la trace suspecte.
Dans un domaine voisin, celui de la circulation automobile, la Cour de cassation a
considéré que la constatation d'un dépassement de la vitesse autorisée par un appareil automatique (système Traffifax
ou Aspic, comportant une photo) ne constituait pas une preuve suffisante de la culpabilité du prévenu (9)
. Sur la seule photo établissant un dépassement de la vitesse autorisée, on ne peut pas condamner le propriétaire
du véhicule (Crim. 21 octobre 1980, Bull n° 263).
Le principe est donc que la photographie n'est qu'un élément n'emportant nullement
preuve d'une infraction, et imputation à une personne déterminée. Et il en est de même du procès-verbal par lequel
l'agent de constatation n'a pu voir une pollution à la surface de la mer. Et quand bien même attacherait-on à tort à
cette opinion une force probante jusqu'à preuve du contraire, cette preuve pourrait être faite par tous moyens de
preuve légaux comme des témoignages, la visite des lieux (10).
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Au demeurant, tant l'OMI que le Centre de Documentation, de Recherches et
d'expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) se montrent prudents quant à la valeur des
photographies aériennes.
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Sans doute, la photographie permet-elle d'établir une apparence de taches sombres. Mais, dans le manuel sur la pollution
des mers par les hydrocarbures établi à la suite de l'accord de Bonn, en vue de rendre efficaces les poursuites à
l'encontre des contrevenants à la réglementation MARPOL 73/78, il est bien noté qu'outre les photographies, il faut
prendre en considération d'autres indices comme les échantillons prélevés à la surface de la mer, ainsi que dans les
citernes et réservoirs du suspect, des preuves complémentaires devant être obtenues par les résultats de l'enquête à bord
du navire suspect.
De manière plus précise, le manuel du recueil des preuves, tout en reconnaissant les mérites de
l'observation visuelle effectuée par un observateur expérimenté, appelle l'attention sur le fait que certains produits
dont le rejet n'est pas interdit, peuvent former des couches similaires à des couches d'hydrocarbures, et que seule
l'inspection à bord peut donner une réponse décisive. Quant au manuel du CEDRE, il comporte un chapitre sur
les "fausses pollutions".
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Des confusions peuvent provenir de l'ombre des nuages formant des taches plus sombres
sur l'eau, de courants de surface ou de rencontre d'eaux froides ou chaudes, d'algues flottantes ou de développements
planctoniques pouvant apparaître sous forme de taches colorées ou même de haut fonds. Et ce manuel n'hésite pas à
recommander un prélèvement pour lever le doute.
Aussi bien, comprend-on difficilement l'attitude adoptée par les auteurs d'une
circulaire du Ministère de la Justice du ler avril 2003 dont la fiche technique concernant la constatation et
les moyens de preuve indique que si "pendant plusieurs années le prélèvement a été le moyen privilégié d'établir
l'imputabilité du rejet polluant à un navire précis, la jurisprudence admet aujourd'hui d'autres moyens de preuves".
Tout en se référant à l'instruction du 15 juillet 2002 du Premier Ministre laquelle rappelait les principes de l'OMI,
elle s'en démarque en ce qu'elle donne à penser que la preuve d'une pollution pourrait résulter des seules observations
visuelles directes, faites à partir d'avions ou d'hélicoptères corroborées par une photographie couleurs. Sans doute,
depuis l'affaire Traquair (11) certains estiment due pour prouver l'existence d'une pollution, le
prélèvement ne serait pas indispensable car cette preuve pourrait résulter des seules observations visuelles directes,
corroborées par des photographies couleurs.
A vrai dire, cette opinion partagée parfois par certains juges ne saurait être
admise.
C'est qu'en effet, tout d'abord, comme l'ont relevé les techniciens du CEDRE et les
experts réunis à la suite de l'accord de Bonn, les photographies peuvent être trompeuses. Les "reflets arc en ciel
métallique" peuvent ne pas révéler une nappe d'hydrocarbures, mais être dus à une écume ou au brassage de l'eau par
les hélices des moteurs, voire à la présence de bancs de sable sous-marins ou à des algues, méduses ou efflorescences
planctoniques (V. Recueil des preuves, accord de Bonn p. 27). De ce point de vue, les juges de Brest dans leur
décision du 15 juin 2004 ne se sont guère montrés atteints par un doute. Ils ont estimé que les observations du
commandant d'aéronef de la Marine Nationale, "corroborées par les photographies prises établissent la présence d'une
nappe d'hydrocarbures". Quant aux juges de Marseille, ils ont estimé que les photographies "venaient confirmer
l'observation visuelle, et démontraient la présence d'une traînée de couleur différente de la mer, dans le sillage exact
du navire".
En réalité, les juges ont relevé une apparence sans aucune certitude, car les
observations visuelles ne fournissent aucune indication sur l'existence d'hydrocarbures, et sur leur nature ou sur leur
rattachement au navire dont la présence a été constatée dans les parages. Comme il résulte du manuel du CEDRE, seul un
prélèvement peut venir confirmer ou infirmer la présence d'hydrocarbures.
En deuxième lieu, se pose la question de l'identification du navire pollueur. Car un
navire peut rencontrer une nappe qu'il traverse et que les hélices de ses moteurs vont mettre en mouvement. Certes, les
agents de constatation ont pu relever le nom du navire, mais sa seule présence au milieu de la nappe n'établit pas sa
participation à la pollution. Pour tenter d'établir ce fait, les juges examinent les photographies produites et s'ils
estiment que la trace se situe à l'arrière du bâtiment, ils en déduisent que ce dernier est le pollueur. Ainsi, le
Tribunal de Brest a relevé que la nappe d'hydrocarbures se situait "dans le sillage immédiat du Nova Hollandia".
De leur côté, les juges de Marseille ont noté que la traînée aurait été dans "le sillage exact du navire, sans aucune
cassure, à partir de la poupe du Khaled ibn Al Waised, en l'absence de tout autre navire dans le même secteur à l'heure
des constatations et de toute autre trace de pollution à l'avant ou sur les côtés du navire".
Un "recueil des preuves concernant les rejets en provenance des navires, Accord de
Bonn 1993" précité, a été publié par le Ministère de l'environnement. C'est un texte de référence en matière de
poursuite.
En effet, ce texte est le résultat d'un accord international, et il démontre de
façon incontestable que seul le prélèvement peut dissiper le doute qui profite à l'accusé :
"Cependant, il est quelquefois difficile, même pour un observateur expérimenté de
déterminer simplement par observation visuelle si certaines nappes résultent de rejets opérationnels ou sont constituées
de produits ne relevant pas de l'annexe I (voir section 2.1) ou d'une huile végétale" (Recueil des preuves
précité, p.27).
Le "recueil des preuves" expose qu'il est déjà difficile de faire la
distinction entre la traversée d'une "nappe d'hydrocarbures préexistante", sauf pour un observateur expérimenté.
Il reste d'ailleurs à définir ce qu'est un observateur expérimenté... II n'est sans doute pas plus simple de distinguer
à l'oeil nu entre une tache de sang et une autre tache rouge, qu'il ne l'est de discerner entre "ombres portées dues
aux nuages, algues, méduses, efflorescences planctoniques et bancs de sable sous marins", d'une part, et nappes
d'hydrocarbures d'autre part.
Les progrès de la science, et en particulier les prélèvements d'ADN ont démontré
combien d'erreurs judiciaires avaient été commises par des "observateurs expérimentés", alors même qu'ils ne
s'étaient pas contentés d'une simple "observation visuelle" "corroborée" par des photographies.
En matière de pollution marine, il résulte clairement du recueil de l'Accord de
Bonn (p. 27 du recueil) que : "seule l'inspection à bord peut donner une réponse décisive à la question de savoir si le
rejet excède ou non les critères de rejet fixés par les annexes I ou II de la convention".
L' "observateur expérimenté" n'est en effet pas capable de distinguer sans
aucun doute, selon le recueil, entre ce qui est permis (rejets de produits autorisés, ou d'une huile végétale) et ce qui
ne l'est pas...
"Dans de telles circonstances, une enquête sur la cargaison à bord du navire
résoudra le problème", poursuit le recueil des preuves, ce qui signifie on ne peut plus clairement, que l'observation
visuelle et les photographies laissent, à elles seules, subsister le doute.
Il convient donc de ne pas porter atteinte à la présomption d'innocence par des
moyens douteux, et il faut donc bien dissiper le doute notamment par "l'enquête sur la cargaison", et donc par
les prélèvements qui seuls résoudront le problème.
Le phénomène n'est pas nouveau, et la solution est classique : lorsque le doute
existe, on ne saurait raisonnablement se contenter des apparences, que ce soit en matière civile (recherche de
paternité et analyse des sangs) ou en matière pénale (prélèvement ADN).
Une enquête sur la cargaison à bord s'impose donc, pour résoudre le problème. Cet
examen serait d'autant plus convaincant si l'on trouvait des produits prohibés identiques à ceux se trouvant dans la
nappe. La Convention Marpol 73/78 n'autorise-t-elle pas les rejets de résidus de cargaison, au-delà des 50 miles marins
de la côte ? Or, de tels rejets peuvent apparaître sous l'aspect de reflets bleus ou arc-en-ciel, tandis que des taches
brunâtres apparaissent dans le sillage du navire (cf. Manuel précité p. 28). Une enquête menée à bord du navire
s'impose pour décider du non-respect de la règle 9 de l'annexe I de la Convention Marpol.
Il apparaît, dès lors, qu'on ne peut sérieusement se fonder sur les seules
photographies même "corroborées" par l'observation visuelle, pour conclure à l'imputabilité d'une pollution à un
navire. La présence d'une tache de sang dans un lieu déterminé ne permet pas d'imputer un crime à une personne qui a pu
un jour se trouver sur les lieux. II faut d'abord savoir s'il s'agit de sang humain et de sang appartenant à la personne.
Cette identité établie, il reste encore a établir la date à laquelle la tache de sang a été laissée sur le sol. Et
l'analyse ADN ne fournit aucun renseignement sur ce point.
En troisième lieu, à supposer qu'il y ait une nappe d'hydrocarbures et que celle-ci
puisse être rattachée à un navire déterminé, il reste à déterminer si le rejet d'eaux mazouteuses a été volontaire ou
non. Dans le premier cas, il sera possible de retenir l'infraction contre le capitaine du navire, tandis que dans
l'hypothèse d'un déversement involontaire, par exemple en raison d'une avarie inconnue du capitaine, celui-ci ne saurait
être déclaré coupable d'un délit intentionnel. Comment distinguer le premier cas du second ?
Dès lors que les commandants d'aéronefs de la Marine Nationale ou de la Douane
repèrent une apparence de pollution pouvant provenir de tel navire, ils procèdent à un contact radio avec le capitaine
afin de signaler la suspicion de pollution. S'il est constaté un arrêt de la trace à la poupe du navire, il est possible
que le navire se trouvait à l'origine du déversement observé à la poupe, mais cela ne prouve pas le caractère volontaire
du rejet. En revanche, si, malgré les appels, le capitaine ne répond pas tandis que le rejet continue peut-on en déduire
une volonté affirmée ou délibérée de polluer ?
Dans l'affaire soumise aux juges de Brest, il y a eu arrêt du rejet, à la suite du
contact radio. Cela signifie que l'opération en cours a été arrêtée, mais n'établit pas que le rejet était volontaire.
D'ailleurs, la Convention Marpol, et en particulier la règle 11 de l'annexe I de ladite Convention exclut la règle 9 en
cas de rejet d'hydrocarbures à la suite d'une avarie, si toutes les précautions raisonnables ont été prises. Or, en
l'espèce, le capitaine a fait rechercher la cause du rejet en mer, et il a été établi que, malgré les contrôles
effectués peu de temps auparavant, c'est du fait du percement du tuyau traversant le ballast n° 3 que l'eau s'est
chargée d'hydrocarbures et a pollué la mer. Puisque le capitaine avait interdit de mettre de l'eau de mer dans le
ballast n° 3, le tribunal a décidé que le capitaine avait pris des précautions raisonnables. II n'y avait aucune faute
à lui reprocher, et le tribunal l'a relaxé, en observant qu'à l'époque des faits, la pollution résultant d'une
négligence ne concernait que les navires français. Cette décision, qui tient compte du fait justificatif de la règle 11
de l'annexe I de la Convention Marpol, ne peut qu'être approuvée, à la différence du jugement du Tribunal de grande
instance de Paris du 3 octobre 2002 (DMF 2003. 490) qui, dans -des circonstances comparables, a atténué la peine, sans
prononcer de relaxe, malgré le caractère accidentel de la pollution.
Quant à l'affaire soumise aux juges marseillais, elle a donné lieu à une décision
de condamnation parce que les messages radios adressés par les douaniers seraient restés sans réponse tandis que le
rejet polluant cessait quelques minutes après la sommation faite par l'opérateur de l'avion de la Douane. Les juges, il
est vrai, ont relevé divers indices complémentaires.
La décision aurait pu préciser quelle était la norme internationale méconnue et en
quoi sa violation était de nature à établir la preuve d'une pollution.
On voit bien en tout cas que les photographies aériennes - tout en permettant de
repérer des nappes suspectes - ne permettent pas d'établir avec certitude un rejet supérieur aux normes autorisées, pas
plus que l'arrêt du rejet ne démontre le caractère volontaire du rejet d'eaux mazoutées. Aussi bien comprend-on les
résistances légitimes de la défense (V. Ouest France, 1er décembre 2004). Il faut d'autres indices; et revenir,
le cas échéant, à l'éprouvette et à l'analyse des prélèvements. Au demeurant, l'instruction du 15 juillet 2002 du
premier ministre (J.O. 3 oct. 2002 p. 16328) prend soin de renvoyer pour le recueil des éléments constitutifs de
l'infraction à la résolution A542 (13°) de l'organisation maritime internationale, laquelle donne des indications sur
les critères requis pour la valeur des photographies, et la circulaire du 1er avril 2003 préconise, comme y incite
l'O.M.l., le recours au faisceau d'indices, et en particulier aux indications provenant de l'évaluation faite par
l'équipe comprenant un officier du centre de sécurité des navires ou aux inspections des installations destinées à
évacuer les eaux mazouteuses effectuées par les inspecteurs de la sécurité maritime (12).
En revanche, la seule photo ne peut corroborer le constat visuel de l'agent
(13), car elle n'est que l'oeil de l'agent de constatation. Elle ne peut donc confirmer l'observation du
douanier ou du marin. Au demeurant, les présomptions légales ne sont guère acceptables, au regard de l'art. 6-2 de la
CEDH sur la présomption d'innocence (14). A fortiori doit-il en être de même pour les simples présomptions de fait
ou de l'homme (cf. art. 1353 du Code Civil...).
On ne peut qu'approuver les recommandations formulées par les organismes officiels
ou la circulaire précitée, dès lors que les peines fulminées par la loi ne sont plus anodines (notamment du fait de la
loi du 9 mars 2004) et que les juges prononcent des amendes très importantes (dont une partie est mise à la charge de
l'armateur, du propriétaire ou de l'exploitant) et allouent des dommages-intérêts élevés, dont il est légitime de se
demander s'ils sont fondés en droit.
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- Sur les dommages-intérêts
En l'absence de dispositions spéciales, hors les conventions sur la responsabilité civile
pour les dommages dus à la pollution du 27 novembre 1992, les principes en matière de responsabilité civile et d'action civile
exercée contre les pollueurs sont ceux de l'art. 2 du C.P.P. et de l'art. 1382 du Code civil. On doit réparer le préjudice subi
directement par ceux qui ont été victimes personnellement de l'infraction.
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Afin de faciliter l'exercice de l'action civile, pour le cas de dommages de faible
importance, ou pour permettre l'exercice d'actions contre les pollueurs, en cas de carence du ministère public, la loi
du 10 juillet 1976 a confié aux associations agréées exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la
protection de la nature ou oeuvrant pour la protection de l'environnement la possibilité d'exercer "tous les droits
reconnus à la partie civile" pour les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles
ont pour objet de défendre. Les associations disposent d'une sorte d'action syndicale. Ce faisant, la loi leur a permis
d'être déclarées recevables dans leur constitution de partie civile, en cas d'atteinte même indirecte aux intérêts
collectifs violés par une infraction pénale relative à la pollution (15). Mais si l'art. L. 142-2 du Code de
l'environnement donne à une association agréée le droit de se constituer partie civile, il ne lui confère pas le droit
d'obtenir une réparation sans préjudice dûment établi (16).
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La règle, en la matière, est la réparation intégrale du préjudice : pas moins que le
dommage subi, mais pas plus (17). Ni la gravité de la faute ni le comportement de la victime en matière
d'infraction contre les biens n'ont d'influence sur la réparation du dommage effectivement subi.
Sans doute, lorsque le préjudice occasionné par l'infraction est diffus et
intéresse une certaine collectivité ou l'ensemble des citoyens, comme c'est le cas pour le préjudice anticoncurrentiel,
certains prônent, à l'exemple de droits étrangers, le recours à des dommages-intérêts punitifs (18). Une
telle manière de penser procède d'une confusion entre la peine et la réparation. La peine est assurée par la condamnation
à l'amende, profitant à la collectivité toute entière, tandis que la réparation consiste dans la remise en état du
patrimoine amputé par le délit. Aussi bien, c'est en fonction des dépenses occasionnées par la pollution, que les
associations agréées peuvent obtenir des dommages-intérêts.
Or, il est permis de constater qu'au cours des trois dernières années, de plus en
plus d'associations se constituent partie civile à l'audience, et elles réclament des sommes correspondant à l'étendue
présumée de la nappe d'hydrocarbures affectée d'un coefficient (1 euros ou 2 euros du m2), sans fournir la preuve de
la moindre dépense effectuée afin de remédier aux effets du rejet.
II y a là un véritable dévoiement de l'action civile. Les juges de Brest en
relaxant le capitaine n'ont pas eu à se prononcer sur cette question. En revanche, le Tribunal correctionnel de
Marseille a accordé la même réparation aux quatre associations ayant présenté une demande chiffrée. A croire qu'elles
aient toutes oeuvré de concert pour supprimer les effets du rejet des hydrocarbures. Sans doute, est-il admis que les
juges du fond apprécient souverainement le montant des dommages-intérêts, mais encore faut-il que le préjudice allégué
soit établi, et, en matière pénale, qu'il soit la conséquence inéluctable de l'infraction poursuivie et retenue.
C'est dire que la solution adoptée par le Tribunal de Marseille n'est pas à l'abri
des critiques quant à la réparation des dommages consécutifs à une pollution marine.
En définitive, s'il est légitime de lutter contre les pollutions provenant des rejets volontaires
en mer d'hydrocarbures, il importe de respecter les principes habituels du droit pénal, afin de limiter les risques d'erreur judiciaire
et la condamnation d'innocents.
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La preuve de l'infraction ne peut pas résulter du seul examen des photographies, qui malgré leur
précision du point de vue de l'image, n'établissent pas l'existence d'hydrocarbures, n'identifient pas toujours le pollueur, et ne
tiennent pas compte des circonstances dans lesquelles le rejet s'est effectué. L'apparence ne peut pas suffire à écarter la
présomption d'innocence rappelée dans l'article préliminaire du C.P.P. et dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'Homme et des libertés fondamentales (art 6-2).
Au demeurant, le doute ne profite t-il plus à la personne poursuivie ? Pas davantage,
on ne peut réparer un préjudice hypothétique ou un dommage évalué forfaitairement et dont il n'est pas établi qu'il a été subi
effectivement par telle association. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas reconnus en droit français.
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V. Ch. Marques, "La répression des rejets illicites d'hydrocarbures", DMF 2004. 307.
V. M. Rémond-Gouilloud, "Anatomie d'un monstre marin, la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution des mers par les
hydrocarbures", DMF 1983. 703.
cf. Stefani-Levasseur et Bouloc, Droit pénal général 19° éd. 2005, n°122 et 123 ; J. Pradel, Droit pénal général, 14°, n°137 ;
Ph. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, 7° éd., n°124.
V. Stefani-Levasseur et Bouloc, Procédure pénale, 19° éd., n°131 et ss ; Merle et Vitu, Traité de Droit criminel,
T. II, 5° éd., n°152 et ss ; J. Pradel, Procédure pénale, 11° éd., n°389; B. Bouloc, "La preuve en matière pénale" in La preuve, Etudes
juridiques n°19 Economica 2004 p.43.
in La preuve, Economica 2004, p. 1.
V. C. Puigelier, "Vrai, véridique et vraisemblable", in La preuve, Economica 2004, p.195 et spéc. p.215 et ss.
not. ArL 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; art. 14-2 du pacte des
Nations Unies sur les droits civils et politiques.
V. J. Montreuil, Rép. Dalloz de Droit pénal, V° Procès-verbal, n°114.
Crim. 20 janvier 1977, Bull n°29 JCP 1977 II 18641 note P. Chambon.
Crim. 20 déc. 1868, DP 1869, 5. 318 ; Crim. 21 janv. 1938, Bull. n°23.
CA Rennes 19 septembre 1996, DMF 1997. 100, note R. Léost.
V. d'ailleurs T.G.I. Brest 16 déc. 2003, DMF 2004 p.119 note M. Rémond-Gouilloud, décision qui a pris en compte, outre les
photos et le film vidéo, les prélèvements en mer et l'analyse comparée des prélèvements en mer avec les prélèvements dans le puisard
de la cale arrière et la caisse de rétention.
V. néanmoins TGI Paris, 9 avril 2002, DMF 2002 p. 912 ; voir aussi TGI Brest 18 nov. 2003, DMF 2004 p.115 ayant fait
prévaloir les photos sur les constatations faites par l'inspecteur de sécurité des navires !
cf.aff. Salabiaku, Cour européenne des droits de l'homme, 7 oct. 1988, RS crim. 1989/167 ; aff. Phan Hoang,
Cour eur. droits de l'Homme. 25 sept. 1992, JCP 1993 13654 n°15.
V. Stefani-Levasseur et Bouloc, Procédure pénale 19° éd. n°252 à 255.
V. toutefois, les solutions consacrées par certaines juridictions et recensées par Ch. Marques, "la répression des rejets
illicites d'hydrocarbures", DMF 2004 p.307 et sp. p.314.
V. à cet égard : Com.11 mai 1999, Bull. civ. IV n°101 ; Civ. 2° 19 mars 1997, Bull. Civ. II n°89, D 1998 somm. 50
obs. H. Groutel).
V. à cet égard, les sanctions judiciaires des pratiques anticoncurrentielles, colloque du CRDAE de Paris I, avril 2004, Les Petites
Affiches, n°14 du 20 janvier 2005 sp, p.53. |
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