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Bien-être et protection des droits des marins
Synthèse des journées d'étude de l'Observatoire des droits des marins à Nantes, 21-22 juin 2018.
 

UN ACCUEIL POUR LE BIEN-ETRE DES GENS DE MER

Introduction
La première journée a été riche en échanges autour des questions de l'accueil et du bien-être des gens de mer et surtout du rôle et des difficultés des différents acteurs et services sociaux œuvrant pour le bien-être des gens de mer notamment les «Seamen's clubs», acteurs prépondérants répondant en premier à cette mission d'accueil et de bien-être.

La particularité du travail maritime, du travail en mer, l'isolement du navire, les dangers de la navigation, la vie à bord mêlant travail et repos sur un navire qui constitue en même temps un lieu de travail et de vie, pouvant être de longue durée, et parfois l'abandon des marins par leur armateur ont conduit à mettre l'accent sur l'accueil des marins et leur bien-être dans les ports d'escale. D'où la naissance des associations d'accueil des marins et plus tard la mise en place de commissions portuaires de bien-être. Toutefois, il ressort des interventions de ces Journées, que les associations et les organes mis en place à cet effet éprouvent des difficultés dans leurs actions et leur fonctionnement et les solutions apportées pour y remédier peuvent être jugées insuffisantes même s'il faut reconnaître une avancée majeure dans le secteur.

➤ L'évolution institutionnelle pour l'accueil et le bien-être des marins
L'accueil effectif des marins, initialement assuré par les associations bénévoles ayant un foyer d'accueil dans certains ports, est aujourd'hui beaucoup plus institutionnalisé pour assurer le bien-être des gens de mer en escale. L'intervention de l'Etat dans cette sphère est la preuve parfaite de cette institutionnalisation du secteur.

La ratification et la mise en œuvre de la convention n° 163 de l'OIT par la loi 2004-146 du 16 février 2004 complétée par le décret 2007-1227 du 21 août 2017 (aujourd'hui dans la convention MLC 2006) ont conduit à la création du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels maritimes et du bien-être des gens de mer au niveau national et, les commissions portuaires préfectorales de bien-être ont aussi vu le jour (arrêté du 15 décembre 2008). Une collaboration est donc née entre les différents acteurs. Les Seamen's clubs élaborent des budgets prévisionnels et déterminent les besoins réels techniques et en tant que membres composant les commissions portuaires, ils participent aux échanges et aux concertations pour des recherches de solutions. Ils participent bien évidemment à l'établissement du rapport annuel de la commission portuaire qui doit être soumis au Conseil supérieur des gens de mer qui, depuis 2011 a repris les compétences du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels et du bien-être des gens de mer dans le cadre de sa formation bien-être des gens de mer.

Le constat général est que les actions diffèrent d'une commission préfectorale portuaire de bien-être à une autre commission, c'est-à-dire de port à port selon le dynamisme des membres et l'importance accordée au bien-être en général et aux associations d'accueil en particulier.

A la fin de l'AGISM (Association de Gestion des Institutions Sociales Maritimes), mise en liquidation judiciaire, c'est le travail des associations d'accueil et la coordination institutionnelle qui ont permis d'avoir une vision globale des différentes difficultés relatives à l'accueil et au bien-être afin d'y apporter des solutions pour une prise en charge des marins français et étrangers en escale. La fédération nationale des associations d'accueil des marins (FNAAM) travaille dans ce sens. Au niveau international aussi, l'ICMA (International Christian Maritime Association) joue à peu après le même rôle. Cependant plusieurs difficultés demeurent dans le cadre de l'accueil et du bien-être des gens de mer.

➤ Persistances des difficultés malgré d'importantes avancées
Les difficultés rencontrées sont d'abord d'ordre financier, mais concernent aussi les ressources humaines, et enfin celles relatives à l'accès aux navires (code ISPS).

Basées sur le bénévolat, les associations d'accueils des marins (Seamen's clubs) ont d'énormes difficultés pour trouver des ressources et financer les actions allant dans le sens du bien-être des gens de mer. Or, l'aspect financier est très important pour assurer l'accueil et la prise en charge des marins abandonnés avec toute la logistique qui en découle (foyer décent, matériel nécessaire pour les besoins exprimés par les marins, accès internet, moyen de déplacement etc.).

S'il existait certains Seamen's clubs qui n'avaient pas de subvention, d'autres étaient financés par les collectivités locales. Ce qui ne résolvait pas toutes les difficultés dues notamment au « désintéressement » des collectivités locales, dont les représentants sont souvent absents des Commissions portuaires de bien-être.

Aussi, la participation financière à la charge des armateurs, si elle permet au Seamen's clubs de Bayonne d'être dans une bonne santé financière, cela est loin d'être le cas pour les autres associations d'accueil des marins. D'ailleurs, il existe plusieurs armateurs qui s'abstiennent de cette participation pour le bien-être des marins.

Aujourd'hui, la solution semble être trouvée notamment à travers l'intervention de l'Etat pour assurer les subventions des foyers d'accueil. Le groupe de travail dénommé bien-être des marins, formé au sein du Conseil supérieur des gens de mer a assuré un travail remarquable sur le financement des foyers d'accueil.

Le financement par les ports étant juridiquement compliqué voire impossible, l'AGISM n'existant plus, la direction des Affaires maritimes a commencé à financer les associations d'accueil. Mais cela n'assurait toujours pas un financement pérenne des associations. Ainsi, le groupe de travail s'est penché sur un amendement de la loi sur l'économie Bleue, proposé et adopté. Ainsi, le décret n° 2017423 du 28 mars 2017 adopté, les droits de ports comprennent dorénavant une redevance sur le navire affectée au financement des actions de bien-être en faveur des gens de mer.

Cette intervention financière de l'Etat, rendue possible par la loi 2016-816 du 20 juin 2016 sur l'économie Bleue et qui est devenue effective en 2018 est une avancée majeure qui permet le financement des foyers d'accueil. Toutefois cette intervention qui nécessite une bonne coordination et rationalisation des services sociaux de bien-être peut aussi entrainer le désengagement des collectivités locales.

Si le financement reste la difficulté majeure des services sociaux de bien-être, la question des ressources humaines reste cruciale. Le domaine maritime étant particulièrement technique et à la fois dangereux, la question de la professionnalisation des membres des foyers reste primordiale. Les foyers étant principalement composés de bénévoles, des difficultés surgissent en ce qui concerne la maîtrise de certains aspects nécessaires à la prise en charge des marins. Ainsi les foyers font non seulement d'énormes efforts pour le recrutement et la fidélisation des bénévoles (par exemple en faisant appel aux étudiants) mais aussi, recrutent des professionnels qui sont rémunérés. Toutefois la nécessité de professionnaliser les bénévoles demeure.

Les associations d'accueil sont aussi confrontées à un problème d'accès à bord des navires. Cela est lié à la sécurisation du domaine portuaire par respect des dispositions du code ISPS, à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Ces difficultés d'accès aux navires notamment aux navires pétroliers bloquent le travail des foyers mais, elles sont souvent résolues au niveau local en concertation avec les autorités portuaires.

Les Seamen's clubs effectuent un travail extraordinaire pour l'accueil et le bien-être des gens de mer, leur coordination avec les autres services et l'intervention de l'Etat qui doit répondre aux exigences de la convention de travail maritime de 2006, constituent une avancée majeure dans l'accueil et le bien-être des gens de mer. Mais les difficultés demeurent malgré les efforts. La commission d'expert de l'OIT ne considère pas comme prioritaire le bien-être des gens de mer. Celui-ci est dévolu aux services sociaux alors même qu'il est un élément de contrôle. Les Seamen's clubs agissent évidement dans le cadre du social et ils sont dans la pratique les premiers acteurs du contrôle de l'Etat du port dans la mesure où ils sont les premiers à entrer en contact avec les marins et à constater les difficultés ainsi que les éventuelles irrégularités. Ce travail mérite d'être plus normalisé dans le cadre du bien-être des gens de mer qui implique aussi un respect des conditions de travail et de vie à bord.

LES GARANTIES DE PAIEMENT DES CREANCES SALARIALES

Introduction
Comme la première journée et toujours dans le cadre global du bien-être des gens de mer, la deuxième journée porte sur les garanties de paiements des créances salariales des marins. Les échanges sont vastes et riches sur le sort des marins abandonnés ainsi que les moyens techniques et juridiques mis en place pour assurer leur rapatriement et le paiement des éventuels arriérés de salaires.

Les équipages des navires saisis par les créanciers ou retenus par les autorités portuaires sont souvent abandonnés par ces armateurs là. Ces derniers sont la plupart du temps défaillants de l'obligation de rapatriement qui est de leur devoir et à leur charge. De ce fait, les marins sont abandonnés à leur sort dans un port parfois inconnu sans paiement des salaires et, avec des manquements énormes pour leur survie à bord du navire. Ils sont la plupart du temps secourus par les associations caritatives qui effectuent un vrai parcours du combattant pour assurer le bien-être de ces marins et par la suite pour obtenir le paiement de leurs salaires et leur rapatriement. Cet état de fait s'illustre sur plusieurs cas d'abandons de marins parmi lesquels nous pouvons citer entre autres, les cas des navires Florenz, Edoil, Rio Tagus, Comari-Comanav, Aspect/Zorturk etc. Tous sont des navires, dont l'équipage est abandonné dans un port français.

Or l'obligation de rapatriement de l'armateur et de garantir le paiement des salaires est incrite depuis fort longtemps dans la législation nationale des Etats « à tradition maritime ». Mais la loi nationale est insuffisante pour règlementer ce travail maritime en général et l'abandon des marins en particulier du fait de la forte dimension internationale de ce travail.
 
Cela a conduit à travers l'internationalisation du droit du travail maritime à règlementer dans une sphère internationale le rapatriement des marins et la garantie de paiement des salaires.

➤ L'inaptitude de la loi nationale à garantir le paiement des salaires et le rapatriement des marins
La dimension internationale du travail maritime pose le problème de l'application du droit national sur des cas d'abandons de marins, de rapatriements et de garanties salariales. Le droit français et ceux des autres membres de l'Union européenne assurent une bonne garantie de paiement des salaires notamment en cas d'ouverture d'une procédure collective et d'apurement du passif pour les marins nationaux navigants sur des navires battant pavillon européen. Cela n'est pas le cas pour les marins étrangers abandonnés dans les ports de l'Union européenne, malgré le privilège et super-privilège des créances salariales. Le navire reste la seule garantie du marin abandonné. L'exercice du super-privilège qui nécessite l'ouverture d'une procédure collective peut poser problème dans le cadre international. Le paiement doit être effectué sur le bien de l'employeur c'est-à-dire à la vente du navire. Tandis que la saisie-vente du navire peut poser problème pour le paiement si l'employeur n'est pas lui-même propriétaire. Toutefois le privilège spécial leur donne un droit réel sur le navire.

Les marins étrangers ont un réel problème à la fois pratique et procédural pour obtenir le paiement de leur salaire surtout lorsque l'armateur est insolvable. La directive communautaire 80/987 du 20 octobre 1980 relative à l'insolvabilité de l'employeur n'est pas applicable à bord des navires étrangers et aux Etats de l'Union européenne. Le fonds «marins abandonnés» mis en place en 2002 par la direction des Affaires maritimes joue un rôle important pour la prise en charge financière des marins abandonnés mais ne suffit pas à résoudre tous les problèmes.
La reconnaissance des créances des marins abandonnés dans un port français, par l'armateur étranger d'un navire étranger, soulève aussi la problématique de la juridiction compétente. La solution « du juge de proximité » est celle qui semble être adoptée. C'est le droit international qui apporte la solution.

➤ L'évolution de l'internationalisation du droit à la garantie des salaires et au rapatriement
La convention MLC et ses amendements de 2014 sont un progrès considérable

Après l'adoption en 1987 de la convention C166 sur le rapatriement, c'est la création en 1998 du groupe de travail OMI/OIT d'experts sur les marins abandonnés qui fut une phase importante. Ce groupe de travail devait examiner les questions de responsabilité et d'indemnisation liées aux créances des membres de l'équipage, de garantir les droits des membres de l'équipage et de formuler des recommandations.

La Convention du travail maritime dans sa version originale posait le problème de la garantie financière notamment dans la sous-section 2 de la règle 2.1 Rapatriement et dans la règle 4.2 Responsabilité des armateurs. Mais ces règles de la MLC n'étaient pas très bien détaillées, de plus les modes et modalités de garantie n'étaient pas bien définies. C'est ainsi que les amendements de 2014 au Code de la convention du travail maritime 2006 approuvés par la conférence à sa troisième session de Genève 11 juin 2014, viennent apporter une grande avancée sur la garantie salariale des marins en exigeant un système de sécurité financière pour garantir que les armateurs accordent aux marins et à leurs familles une indemnisation en cas d'abandon, de décès ou d'invalidité d'une longue durée résultant d'un accident du travail, d'une maladie ou d'un risque professionnel. Ils exigent également la présence à bord des certificats obligatoires et autres preuves pour s'assurer que la sécurité financière est bien mise en place pour protéger les marins à bord.

Le respect, l'effectivité et la conformité aux exigences en matière de garantie salariale sont assurés par les agents chargés du contrôle de l'Etat du port dans sa dimension sociale instituée par la convention C.147 de 1976 sur la marine marchande. Cette dimension sociale de contrôle de l'Etat du port renforcée par la convention du travail maritime 2006 porte sur un contrôle de conformité notamment par la vérification des documents de certification sociale et un contrôle approfondi ou détaillé lorsqu'il y a des documents manquants ou qui ne sont pas en conformité avec la MLC ou lorsqu'il s'agit d'un navire d'un Etat n'ayant pas ratifié la MLC (principe pas plus favorable). D'ailleurs, deux points ont été ajoutés sur la liste des points devant être inspectés et jugés conformes à la législation nationale par les amendements de 2014. Il s'agit de la garantie financière pour rapatriement et de la garantie financière relative à la responsabilité de l'armateur. Les agents du contrôle de l'Etat du port n'hésitent pas à collaborer avec les inspecteurs ITF (International Transport Workers' Federation) en cas de besoin.

La garantie s'effectue sous la forme d'une assurance obligatoire gérée souvent par les P&I (Protection & Indemnity) Club. Les armateurs s'assurent auprès des P&I qui remettent des certificats de la garantie financière comportant les contacts du P&I Club. Ce document est gardé à bord du navire pour prouver l'existence de la garantie. L'indemnisation des P&I couvre les salaires impayés depuis plus de 2 mois, les frais de rapatriement et d'autres charges engagées par le marin (nourriture, hébergement etc.). Même si l'armateur est défaillant le P&I est dans l'obligation de payer le marin et d'exercer par la suite une action subrogatoire. Les sommes étant colossales, les P&I effectuent des réassurances pour assurer cette garantie financière. Les agents de contrôles de l'Etat du port exigent plus de collaboration avec les P&I pour faciliter les contrôles à bord.

La législation sur le sort pénible des marins abandonnés, qui n'avaient en face d'eux que les foyers d'accueil, a connu un progrès considérable. Si la loi nationale ne parvient pas à résoudre le problème des marins abandonnés, aujourd'hui la convention du travail maritime de 2006 et surtout les amendements de 2014 ont apportés des solutions de garanties financières
 
efficaces avec des mécanismes d'assurance qui permettent au marin abandonné d'obtenir le paiement de son salaire et des subsides pour être rapatrié.

Fedor Ibrahima DIA,
Doctorant,
CDMO, Université de Nantes



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