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De l'anatomie du R.I.F.
(Registre International Français des navires)
par le Professeur Patrick Chaumette,
Centre de Droit Maritime et Océanique - Université de Nantes.
La première proposition de loi déposée au Sénat, présentée aux partenaires sociaux lors du Conseil
supérieur de l'ENIM, était à peu près vide et provocante. Il s'agissait de faire vite, ce qui n'a pas rendu serein le dialogue social.
La commission des affaires économiques du Sénat l'a considérablement enrichie, sans en modifier les objectifs. Le Sénat a adopté
cette proposition de loi de 11 décembre 2003. Pour juger sur pièces, il faut analyser et décomposer ce dispositif dans le détail.
L'objectif est de clarifier l'immatriculation TAAF, de créer une immatriculation attractive,
compétitive sur le plan international sans mettre les mains dans la complaisance. La clarification n'est pas atteinte quand
l'immatriculation à Wallis et Futuna reste obscure, quand l'immatriculation TAAF est conservée, notamment pour les navires de pêche,
ceux pêchant la légine aux TAAF à la place de La Réunion, et peut-être les thoniers congélateurs de l'océan indien immatriculés à
Concarneau.
Champ d'application.
Le RIF concerne les navires armés au commerce au long cours ou au cabotage international, et les
navires de plaisance de plus de 24 mètres hors tout, c'est-à-dire la grande plaisance méditerranéenne.
Sont exclus les navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières
intracommunautaires, les navires exploités exclusivement au cabotage national, les navires affectés au remorquage portuaire, au
dragage d'entretien, au lamanage, au pilotage, au balisage, les navires de pêche professionnelle.
Les navires RIF sont soumis à l'ensemble des règles de sécurité et de sûreté maritimes, de
formation des navigants et de protection de l'environnement applicables en vertu de la loi française, de la réglementation
communautaire et des engagements internationaux de la France. Les navires RIF et ceux du premier registre sont soumis aux mêmes
règles et mêmes contrôles de sécurité ou de l'inspection du travail maritime, comme les autres navires français.
Un décret doit préciser le lieu d'immatriculation des navires RIF. Le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande est
applicable à toute personne embarquée à bord d'un navire RIF, ainsi qu'à l'armateur ou son représentant.
Effectifs à bord.
A bord des navires immatriculés au registre international français, le capitaine et l'officier
chargé de sa suppléance sont français. La proposition considère que les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du
30 septembre 2003 ne concernent pas la navigation internationale, mais seulement la navigation communautaire. Le nombre de marins
français ou communautaires à bord n'est pas précisé par la loi, mais déterminé par les armateurs ou la négociation collective par
navire, par entreprise. Comment l'absence d'un minimum peut-elle permettre d'atteindre un optimum et assurer le maintien de la
formation maritime ? Le texte ne prévoit qu'une obligation de formation professionnelle, permettant d'assurer dans chaque armement le
renouvellement des capitaines et officiers suppléants, ce qui semble bien imprécis et peu suffisant.
Entreprises de travail maritime ou sociétés de manning.
Le texte légalise la pratique actuelle qui s'effectue sans cadre juridique, ni contrôle. La
société de manning met des navigants à la disposition de l'armateur, les embauche et les rémunère. La société de manning doit être
agréée par les autorités de l'État où elle est établie, conformément à la convention n° 179 de l'OIT, en cours de ratification par la
France. L'employeur du marin est l'entreprise de travail maritime, qui n'est qu'un intermédiaire, un mandataire de l'armateur.
L'entreprise de travail maritime met à disposition des marins, mais ne gère pas l'équipage, les conditions de vie et de navigation ;
elle fournit des travailleurs, mais non du travail. L'armateur est donc responsable d'une éventuelle violation des dispositions de
la convention n° 179 : paiement exigé du marin aux fins d'embarquement, double contrat, lettres ou chèques signés en blanc. En cas de
défaillance de l'entreprise de travail maritime, l'armateur devra rémunérer et rapatrier les marins et financer les contrats
d'assurance. L'armateur sera aussi responsable du non-respect des conventions internationales ratifiées par la France ou des
directives communautaires. Pendant la mise à disposition du navigant, l'armateur est responsable des conditions de travail et de vie
à bord. Cette responsabilité peut être tant civile que pénale. L'armateur est l'utilisateur de main-d'œuvre, quand le marin n'a de
relation contractuelle directe qu'avec l'entreprise de travail maritime, ce qui exclut le droit français du licenciement.
Le contrat de mise à disposition de personnel doit comporter des mentions obligatoires sur les
rémunérations, la durée du contrat, la protection sociale. Il en est de même du contrat d'engagement conclu entre le marin et la
société de manning, qui doit préciser la qualification professionnelle. Ces contrats doivent se trouver à bord et peuvent être
contrôlés par l'inspecteur du travail maritime. L'absence de contrat écrit de mise à disposition constitue une infraction pénale.
Les entreprises de travail maritime établies en France ne peuvent exercer leur activité qu'après
agrément de l'administration maritime. Elles sont tenues de justifier d'une garantie financière contre tout risque d'insolvabilité,
assurant ainsi une garantie de rémunération, de rapatriement et de financement des contrats d'assurance. Le texte s'inspire
manifestement du travail temporaire, y compris la responsabilité pénale. Il est conforme à la Résolution A. 930(22) de l'Organisation
Maritime Internationale du 17 décembre 2001 quant à la fourniture d'une garantie financière en cas d'abandon des gens de mer. Les
mêmes exigences devraient être imposées à toute société de manning, quel que soit son siège social. Le texte impose à l'armateur de
s'assurer du risque d'insolvabilité de la société de manning, vis-à-vis du paiement des salaires, des contrats d'assurance ou du
rapatriement.
Du statut des navigants.
Pour être compétitif vis-à-vis des autres registres internationaux européens et des pratiques
complaisantes, il est nécessaire de différencier le régime du travail à bord et la protection sociale des navigants, selon leur lieu
de résidence, sinon leur nationalité.
Droit du travail.
Les navigants résidant hors de France ont des contrats d'engagement et un régime de protection
sociale soumis à la loi choisie par les parties dans le respect des engagements internationaux et communautaires de la France. Il
convient de respecter au moins les conventions de l'Organisation Internationale du Travail ratifiées par la France. Les rémunérations
à bord ne peuvent être inférieures aux montants approuvés par le conseil d'administration du Bureau international du travail sur avis
de la commission paritaire maritime de l'Organisation internationale du travail. Un arrêté du ministre chargé de la marine marchande
rend applicables les rémunérations minimales ainsi établies.
La durée du travail est organisée sur la base de 8 heures par jour, 48 heures par semaine et 208
heures par mois. Pour des raisons d'exploitation, le travail peut être organisé sur une autre base journalière, dans la limite de 12
heures, dans des conditions fixées par accords collectifs de branche. Les heures supplémentaires interviennent au-delà de 48 heures
hebdomadaires. Les durées minimales de repos se réfèrent aux dispositions de la Convention n° 180 de l'OIT, en cours de ratification,
et de deux directives communautaires de 1999. La durée des congés payés des navigants est de 3 jours par mois de travail effectif. Le
navigant a droit à une journée de repos hebdomadaire. Un registre, conforme aux conventions internationales, tenu à jour à bord du
navire, précise les heures quotidiennes de travail et de repos des navigants.
Rien n'est dit sur le régime de travail des marins et officiers français ou résidant en France.
Le sénateur de Richemont précise que le Code du travail maritime leur sera applicable, ainsi que les conventions collectives
nationales de la marine marchande. S'il en est ainsi, cela devra concerner tous les marins communautaires ou résidant dans la
Communauté. Cette extension peut être décidée par l'armateur, ou être négociée ; actuellement elle n'est pas inscrite dans le marbre
du texte.
Durée de l'embarquement.
Durant la première période d'emploi du navigant auprès d'un armateur, les trois premiers mois de
service sont considérés comme une période d'essai. La durée maximale d'embarquement est de 6 mois. Cette durée peut être portée à 9
mois dans le cadre d'un accord collectif. La durée maximale d'embarquement peut, dans les deux cas, être prolongée ou réduite d'un
mois au plus pour des motifs liés à l'exploitation du navire.
Le contrat d'engagement ou la mise à disposition prennent fin, à l'échéance prévue, par décision
de l'armateur ou du navigant en cas de débarquement du navigant pour maladie ou blessure, par décision de l'armateur ou du navigant
en cas de perte totale de navigabilité ou de désarmement du navire, par décision du navigant si le navire fait route vers une zone
de guerre, par décision motivée et notifiée de l'armateur en cas de faute grave ou lourde du navigant, ou pour un motif réel et
sérieux. Le délai de préavis réciproque est d'un mois. Il n'est pas dû en cas de perte totale de navigabilité, de désarmement du
navire, de faute grave ou lourde ou lorsque le navire fait route vers une zone de guerre. Les indemnités pour rupture du contrat
d'engagement ne peuvent être inférieures à deux mois de salaire. Elles ne sont pas dues au navigant lorsque la rupture ou
l'interruption résulte de sa décision ou en cas de faute grave ou lourde, et durant la période d'essai. L'obligation de rapatriement
est précisée, ainsi que ces limites.
Rien n'est dit sur la titularisation ou la stabilisation du marin, qui semble liée par un contrat
à durée déterminée, éventuellement renouvelable. Dès lors, le droit du licenciement, disciplinaire ou économique, n'est pas envisagé.
Il en est de même de l'existence d'une commission disciplinaire ou du comité d'entreprise. Ces éléments peuvent être étendus aux
officiers français ou communautaires par le biais d'accords collectifs, de dispositions contractuelles ou en raison des usages de
l'entreprise.
Droit syndical.
L'article 22 reconnaît à tout navigant le droit de grève. Il en est de même de la liberté
syndicale, d'adhérer au syndicat de son choix. Le marin philippin ou malgache pourra adhérer aux syndicats français des marins ; il
pourra éventuellement adhérer au syndicat philippin ou malgache. La reconnaissance de droits fondamentaux de valeur constitutionnelle
s'étend au droit de la négociation collective. Pour les marins résidant hors de France, l'article 23 distingue des conventions
collectives conclues dans leur pays d'origine et les conventions collectives éventuellement signées par les syndicats français de
marins.
Sur chaque navire, un représentant de bord au moins peut être désigné pour la durée de
l'embarquement. Il a pour mission de présenter au capitaine les réclamations individuelles ou collectives non contractuelles
relatives aux conditions de travail et de vie à bord et de saisir l'inspection du travail maritime des plaintes et observations
relatives à l'application des dispositions dont elle est chargée d'assurer le contrôle. Les navigants présentent eux-mêmes, s'ils le
souhaitent, leurs observations au capitaine ou à l'armateur. Rien n'est dit sur les conditions de désignation ou d'élection de ce
délégué de bord, qui ne saurait être nommé par le capitaine.
Le lecteur peut n'être que frappé par "l'exclusion" des marins de l'entreprise d'armement
maritime, et notamment des officiers français, dans la mesure où il n'est aucunement écrit qu'ils participent à l'élection du CE ou
du CHSCT ; s'ils disposent de la liberté syndicale, le syndicat ne peut désigner de délégués syndicaux. La liberté syndicale s'exerce
donc en dehors de l'entreprise, comme avant 1968, sans élus, comme avant 1945, tout en admettant cependant le jeu de la négociation
collective ? Comment les marins participent-ils à la gestion de l'entreprise par l'intermédiaire de leur représentants, principe
constitutionnel, quand il n'existe qu'un représentant du bord ?
Protection sociale.
La protection sociale dépend du lieu de résidence du marin, ce qui semble conforme aux
dispositions des conventions OIT ratifiées par la France. Les marins résidant en France sont affiliés à l'ENIM. Ceux résidant dans
un État membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen relèvent du Règlement communautaire 1408/71 du 14 juin 1971,
mis à jour par le Règlement 118/97 du 2 décembre 1996. L'article 13-2-c fait référence au critère du pavillon du navire, quelle que
soit la loi applicable au contrat de travail du marin, mais n'est applicable qu'aux ressortissants communautaires. Sauf détachement
(art. 14 ter), les marins communautaires embarqués au RIF doivent être affiliés à l'ENIM. Le texte prend en compte les conventions
bilatérales de sécurité sociale conclues par la France.
Les navigants extra-communautaires, en l'absence de convention bilatérale, ont droit à une
protection sociale correspondant au minimum au contenu des conventions de l'OIT. La Convention n° 55 de 1936 prévoit des obligations
armatoriales pendant seize semaines, concernant la fourniture des soins médicaux et pharmaceutiques, de la nourriture et du logement,
le salaire et les frais de rapatriement ; ce délai peut être réduit dès lors que le marin bénéficie d'un système d'assurance maladie
dans le territoire où le navire est immatriculé. La Convention n°70 de 1946 concernant la sécurité sociale des gens de mer impose
une égalité de traitement et l'interdiction de discrimination quant aux obligations pesant sur l'armateur ; elle permet aux États
membres de conditionner le versement des prestations de sécurité sociale à la résidence dans le territoire d'immatriculation du
navire. L'article 25 du texte décrit le contenu de la protection sociale qui concerne les risques de maladie, d'accident du travail,
de maternité, d'invalidité et de vieillesse. Il reprend sans le dire le contenu des accords ITF couramment pratiqués.
Contentieux.
En cas de litige né d'un contrat d'engagement ,
- l'action de l'employeur ne peut être portée que devant les tribunaux de l'État sur le territoire duquel le navigant a son
domicile ;
- l'employeur peut être attrait devant les tribunaux français, devant ceux de l'État où il a son domicile, ou devant le tribunal
du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le navigant.
En France, ces litiges sont portés devant le tribunal d'instance compétent après tentative de conciliation devant l'autorité maritime
compétente, à l'exception des litiges opposant l'armateur au capitaine qui sont portés devant le tribunal de commerce.
Ces dispositions sont conformes au Règlement communautaire 44/2001 du 22 décembre 2000 et au décret du 20 novembre 1959. Cependant,
il convient d'y ajouter la compétence du tribunal du lieu de la saisie conservatoire du navire (Convention de Bruxelles du 10 mai
1952), du tribunal du lieu où le navire est retenu par l'autorité de l'État du port, de manière plus générale la compétence du port
d'escale.
Deux grands problèmes juridiques se posent.
L'imprécision du droit du travail applicable aux officiers français et communautaires. Le sénateur
RICHEMONT dit que le Code du travail maritime, les conventions collectives marine marchande leur sont applicables, cela n'est pas
explicitement écrit. Le droit du licenciement, disciplinaire ou économique n'est pas évoqué. La participation de ces officiers aux
élections du comité d'entreprise ou du CHSCT n'est pas envisagée. Font-ils encore partie de l'entreprise d'armement maritime ? oui et
non.
L'article 34 de la Constitution de 1958 prévoit que le législateur détermine les principes généraux du droit du travail. Est-ce le
cas de manière suffisante ?
Une différenciation de traitement, pour évoquer pudiquement une discrimination, est constituée en
matière de contrat de travail (à chacun, selon son contrat) en matière de convention collective (à chacun sa convention collective,
française ou étrangère) en matière de protection sociale (à chacun son affiliation ou son contrat d'assurance, selon son lieu de
résidence). Le projet n'est plus vide : il évoque les droits fondamentaux : la liberté syndicale, le droit de grève, le droit de la
négociation collective, même un délégué de bord. Les contrats internationaux d'engagement doivent respecter les conventions OIT
ratifiées par la France et les textes communautaires. Il existe une inspection du travail maritime. Le contrat d'assurance est
détaillé et reprend sans le dire le contenu des accords ITF. Tout ceci est mieux que le vide juridique intersidéral des TAAF. La
recherche de compétitivité, l'adaptation à la concurrence internationale légitime-t-elle une telle différenciation de traitement ?
La loi du pavillon n'est plus la loi commune du bord, sauf en matière disciplinaire. Le surplus
est négociable individuellement ou collectivement. S'agit-il d'un premier exemple de refondation sociale ?
Il serait souhaitable pour tous que le Conseil Constitutionnel soit saisi par 60 députés ou 60
sénateurs. Il en va de la sécurité juridique et de la capacité des partenaires sociaux à envisager une négociation ultérieure
d'entreprise ou de branche. Quelle est la règle du jeu minimale en matière sociale, à bord de navires français ?
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