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Nouvelles, lettres et extraits, octobre - décembre 2020
Recueillies par le Cdt B. Apperry

Une très mauvaise nouvelle

       La revue Safety At Sea - SAS comme on l'appelle souvent - vient de publier son dernier numéro (déc. 2020). Après plus de 50 ans d'existence, le mensuel SAS disparaît et on ne sait pas trop pourquoi.
Dans son éditorial la rédactrice en chef (Tania Blake) fait cette annonce avec tristesse et ajoute que si la revue a essayé de nous informer sur les principaux problèmes de sécurité du métier de marin depuis 1967, pour elle, les questions de sécurité maritime du début semblent toujours être celles d'aujourd'hui, quoique nous ayons dit et expliqué aux professionnels et au grand public.

Fidèle lecteur abonné depuis près de 25 ans, je le confirme. En prenant un vieux numéro, je suis presque certain de trouver les mêmes interrogations sur :
  • La condensation dans les espaces cargaison
  • La stabilité des navires à passagers transformés ou non
  • Les déclarations erronées des marchandises dans les conteneurs
  • Le «minimum safe manning crew» toujours galvaudé
  • Les accidents lors de visites dans des espaces clos
Et bien d'autres encore.
Evidemment, de très grands progrès ont été faits dans la sécurité pendant ces 50 ans mais il y a toujours autant de marins blessés dans la marine marchande mondiale. Entre 2015 et 2019, 527 marins sont morts à bord et 509 sont déclarés disparus, et ce ne sont là que les chiffres rapportés à SAS.
Qu'on le veuille ou non, être marin est un métier dangereux et nous devons donc continuer à nous investir dans la recherche de plus de sécurité pour éviter tous ces morts.
Cet objectif n'est pas moins important dans la crise actuelle alors que la pandémie a tout mis sens dessus-dessous. Beaucoup de marins sont encore immobilisés à bord, largement au-delà de leur contrat, fatigués et au bord de la rupture alors que la relève est bloquée à terre, attendant de gagner un peu d'argent. C'est une bataille de tous les jours.
La santé mentale de très nombreux marins sera aussi affectée de manière importante et finalement quand le bilan sera faitaprès la pandémie, on s'apercevra que beaucoup de marins n'auront pas reçu toute l'attention nécessaire en cas de maladie à bord et pas seulement à cause de cette situation exceptionnelle due à la Covid-19.
Il faut donc continuer à se battre auprès des gouvernements pour les relèves d'équipage en démontrant l'importance des marins, travailleurs essentiels pour le commerce mondial (key-workers), ceux qui malgré tout ont assuré l'approvisionnement général de la planète presque comme d'habitude.
SAS espère que d'autres revues pourront continuer à se battre pour la sécurité des marins car ils en ont besoin plus que jamais.

                                      

Formation des marins en ces temps compliqués de pandémie (projet SMT/MLS)

       La formation continue des marins a également souffert de la pandémie. Les adeptes du e-learning et les adeptes de l'enseignement par la pratique admettent aujourd'hui que la solution passe par un mixage des deux, par une solution que les Anglo-saxons appellent «blended» (comme le whisky !) et nous, plus simplement «hybride».
En effet, finalement une étude sur documents papier ou électroniques couplée avec des présentations ciblées sur ordinateur n'est pas sans intérêt mais la présence du professeur reste une telle garantie que le message passe entre «l'enseignant et celui qui apprend». L'approche hybride est en ce moment de plus en plus à l'étude et sera sur le marché très bientôt.

Pour avoir faute de mieux, essayé la solution du tout e-learning, on se rabat aujourd'hui sur une méthode plus intelligente.
Finalement un peu de bon sens aurait dû s'appliquer depuis le début parce qu'on sait depuis toujours que pour tout apprenant, on parle d'un acquis de l'humain, un enrichissement qui dépasse la somme des connaissances acquises.
 
Et que cet enrichissement dépend de différents facteurs dont certains liés à la qualité de la communication et de la relation entre l'apprenant et l'enseignant et que la proximité facilite cet enrichissement.

En effet, dans l'enseignement direct avec peu de stagiaires, la communication enseignant/stagiaire est assurée généralement sauf exception, même avec le contestataire de service (the black sheep). Cette communication/relation est faite entre autres, de non-dits ou autres body-language qui ne sont perceptibles qu'en étant présent. Ce n'est finalement qu'une face des relations humaines qui sont naturellement beaucoup trop estompées dans l'enseignement à distance.

En conclusion

Si les armateurs ne voient souvent que la baisse du prix (c'est moins cher à distance), les professionnels ont depuis longtemps analysé les résultats des FOAD (formations ouvertes à distance). Les résultats sont connus et il n'y a pas d'interrogation : une formation à distance aura un résultat bien inférieur. La perte en ligne est encore réduite de 50%. Il ne reste plus grand-chose finalement.

Le processus hybride atténuerait donc cette différence et les solutions sont en résumé :
  • Détection des besoins
  • Adaptation d'un programme selon ces besoins via une partie e-learning encadrée par un logiciel
  • Evaluation des résultats partiels et décision d'un complément de formation traditionnelle.

Si cela paraît simple, le système STCW avec ses revalidations obligatoires, certificats à l'appui, ne facilite pas le processus. Des idées infusent sur une certification e-learning provisoire et une certification définitive après un stage pratique en présence, sur simulateur ou non.
Vu la rapidité de l'OMI ce n'est pas pour demain.

                                      

Le syndrome* M/V Conception

       L'accident du bateau de plongée «Conception» au large de Long Beach (septembre 2019) a marqué la profession des petits navires à passagers, jusqu'aux US Coast-Guards eux-mêmes.

Pourquoi syndrome ? Les USCG les premiers, s'aperçoivent que leur réglementation concernant ces navires est obsolète et insuffisante et donc qu'après un mea culpa assez clair, la réglementation va changer : un peu plus de bon sens, l'abandon de clause grand-père (eh oui !) et chose rare mais pas unique : mise en place obligatoire d'un système de management de la sécurité pour cette industrie.
Le bateau : construit en 1981, 23 m de long (*), 3 ponts, équipage 6, passagers jusqu'à 99 mais seulement 46 en voyage comprenant la nuit en mer.
Un salon passagers au pont principal et un «poste passagers» au pont inférieur sur l'avant de la machine. L'équipage sauf un est logé au pont supérieur.
La fameuse «Grand-father clause»(**) s'appliquant, le bateau était en règle au moment de l'accident à part le fait que les rondes de nuit réglementaires n'étaient pas assurées ni sur ce bateau ni d'ailleurs sur tous les autres du même type dans la région et cela ne dérangeait personne apparemment.
Des détecteurs incendie sont installés mais sont autonomes et donc, une alarme sur un pont peut ne pas être obligatoirement entendue sur un autre.
Un incendie s'est déclaré dans le salon (peut-être à cause des nombreux appareils électroniques en recharge toute la nuit sur une prise ordinaire, comme on le voit souvent.
Les passagers et le matelot du poste passagers n'ont pu sortir car les échappées donnaient dans le salon qui était en feu. (NB : combustibilité des meubles et couchettes, non conformes)
Les 33 passagers et un membre d'équipage sont morts asphyxiés/brûlés puis ont disparu avec l'épave qui a coulé.
Un rapport du NTSB (l'entité nationale d'enquête US indépendante des USCG) a émis des recommandations importantes pour l'industrie des petits navires à passagers. Elles sont au nombre de 18 et en plus de l'installation de détecteurs interconnectés, d'échappées à l'air libre, elles comprennent l'implémentation d'un système de management de la sécurité sur tous les bateaux à passagers effectuant des sorties ou des traversées domestiques (navigation nationale).
En effet l'accident du Conception n'est pas le seul de ce type. Une assez longue liste de bateaux promenade et un sombre bilan incite les USA à légiférer enfin. Les conséquences de ces accidents sont dramatiques pour une industrie peut-être marginale pour nous mais qui dans ce grand pays représente 6 000 bateaux et 200 millions de passagers par an.

En conclusion, à l'instar des Britanniques qui ont déjà ce qu'il faut, les USCG viennent d'annoncer qu'une consultation pour l'application du code ISM à ces bateaux est en cours. La SOLAS s'appliquera ainsi enfin partout dans le monde maritime.

NB : En Europe, en théorie tous les pays membres appliquent la directive 336/2006 c'est-à-dire qu'ils exigent un SMS conforme au code ISM. Les Britanniques aussi pour le moment, mais ils ont la particularité de définir un mini ou micro ISM, au contenu légèrement différent - le rôle de la DPA est noyé dans un rôle de responsable un peu loin des objectifs du code ISM initial, par exemple - tandis qu'en Europe il suffit de simplifier le SMS en fonction de la taille de la compagnie et de ses navires. C'est facile et un peu plus logique.

Noter que le NTSB américain (National Transportation Safety Board) est comme le BEA français, un organisme d'Etat en charge de l'enquête et d'émettre des préconisations pour que l'accident ne se reproduise pas et surtout sans intervenir dans le correctionnel. Pour le cas du Conception, un juge fédéral vient d'inculper (fin novembre) le capitaine (Jerry Boylan, 67 ans) de 34 chefs d'homicides involontaires qui sont :
  • pas de rondes de nuit pourtant exigées par la réglementation
  • pas d'exercices d'incendie également requis
  • familiarisation et formation de l'équipage insuffisantes
Il risque la prison à vie ! (***)
(*)syndrome : ensemble de comportements particuliers à un groupe humain ayant ou subissant une même situation traumatisante (**) Dans la directive européenne 45/2009 - qui a l'avantage de définir les normes de construction et de sécurité des petits navires à passagers - la clause du grand-père a été supprimée pour ces navires de 24 m et au-delà. C'est quand même à signaler. (***) Encore une fois, on s'en prend au capitaine et on oublie peut-être les inspecteurs du pavillon (USCG) qui ont vu mais n'ont pas fait rectifier, et aussi l'armateur propriétaire qui devait savoir, mais n'a rien fait. Les USCG pensent que l'obligation de l'ISM va améliorer les choses. On a le droit de rester sceptique, pas du code bien sûr, mais de son application effective.

                                      

MAERSK versus CMA-CGM



       Dans le cadre de la recherche d'un combustible autre que le HFO et moins cher que le MDO, le premier armateur mondial joue à cache-cache.
Si CMA-CGM et MSC parmi les gros consommateurs, ont choisi le méthane/LNG, MAERSK ne communique pas sur ses objectifs de combustible de ses futures constructions / gros porte-conteneurs.
Tandis que le LNG et les bio-fuels ne réduisent pas beaucoup les rejets de CO2, que le HFO reste le moins cher du moins cher et qu'en plus MAERSK a annoncé qu'il arrêtait la course au gigantisme pour ses futurs porte-conteneurs, on se demande quel combustible il va adopter pour se conformer aux normes IMO. Ammoniac, méthanol, autres mélanges ?
Cependant, ses essais des «rotosail» (rotors Flettner) laissent envisager une solution hybride pour les navires où c'est possible.

                                      

Où en est la proposition d'amendement au code ISM ?

       Une publication assez large dans AFCAN Informations et sur les sites de HYDROS et JEUNE MARINE plus quelques consultations auprès d'autres spécialistes, m'amène à finaliser actuellement ma proposition. Elle sera en principe composée de 2 parties :
-Partie A : proposition d'amendement au code ISM.
-Partie B : proposition d'amendement aux circulaires MSC-MEPC.7 Circ 6 et 8 qui accompagnent le code ISM : «Directives révisées pour l'application opérationnelle du code ISM par les compagnies» et «Directives sur les qualifications, la formation et l'expérience requises pour s'acquitter du rôle de la DPA».
Les raisons seront expliquées en détail lors de la publication du projet final (futur numéro d'AFCAN Informations), mais elles consistent, en résumé, à :
modifier au minimum le texte du code et développer un peu plus des amendements plus précis aux textes des circulaires concomitantes.

Ce n'est finalement qu'une méthode de l'OMI qui a plus de chances de passer d'abord auprès de notre administration et ensuite auprès du Sous-comité de l'OMI, éventuellement.

                                      

Un des points bloquants de l'application du code ISM serait-il en train de se dissiper ?

       Il s'agit de la conformité des audits internes.
Que dit le code ?
(ISM 12.1) La compagnie devrait effectuer des audits internes à bord et à terre à des intervalles ne dépassant pas 12 mois (possibilité de 3 mois supplémentaires maximum) pour vérifier que les activités liées à la sécurité et à la prévention de la pollution sont conformes au SMS.
Et un peu plus loin, (ISM 12.5) le personnel qui procède aux audits ne devrait pas faire partie du secteur soumis à l'audit, à moins que cela soit impossible.
Ensuite, que dit la circulaire MSC-MEPC.7/Cir.8 ?
§4.2 La personne désignée devrait vérifier et surveiller tous les aspects de l'exploitation de chaque navire, liés à la sécurité et à la prévention de la pollution. Cette surveillance devrait inclure au minimum les processus internes qui consistent à :
… 4 organiser et surveiller les audits internes, y compris la vérification de leur indépendance et de leur formation.
(sic) Ce dernier passage n'est pas très français et au vu du texte en anglais il aurait fallu lire : … 4 organiser et surveiller les audits internes y compris la vérification de l'indépendance et de la formation des auditeurs internes.

Réalité de l'application du code ISM, près de 27 ans après, les certificateurs après l'avoir recommandé, exigent aujourd'hui que les audits ne soient pas effectués par la personne désignée, qui n'est certainement pas indépendante d'un secteur qu'elle doit surveiller mais par des auditeurs indépendants du secteur et formés en tant qu'auditeurs internes ISM.
Quelques compagnies en retard s'y mettent enfin aujourd'hui.

                                      

Les marins marchands seront-ils bientôt considérés comme «Key workers» ?

       La pandémie semblant en phase de régression, on examine enfin en très haut lieu c'est-à-dire à l'ONU même, les conséquences directes de la Covid-19pour les marins marchands.
Les recommandations de l'ONU de considérer les marins comme «key workers» auront-elles un impact sur les comportements actuels dans l'industrie maritime ?

Finalement, les résultats de toutes les actions initiées surtout par les ONG et quelquefois par certains pavillons, arrivent trop tard. Le temps que tous les acteurs acceptent les recommandations de l'ONU, on peut espérer que la Covid-19 sera déjà loin.

Alors ce sera pour la prochaine pandémie ?
Nous devons en même temps nous pencher sur les conséquences indirectes de cette crise des relèves.
En effet, l'OCIMF en premier s'inquiète pour les prochaines relèves. Les marins bloqués à bord vont enfin débarquer, mais la relève sera-t-elle là ? Ces marins sont peut-être partis travailler ailleurs pour assurer leur survie et celle de leur famille.
On connaissait le peu d'attractivité aujourd'hui de ce métier. Le peu de médias qui s'y intéressent ne disent pas toute la vérité sur la réalité des longs embarquements, de l'intensité du travail, de la fatigue acquise par les quarts de nuit et les décalages horaires permanents, surtout si l'embarquement dure plus d'un an.

Si pour un Philippin, le salaire embarqué est 4 à 5 fois celui des terriens chez lui, ce n'est pas le cas du tout dans la plupart des nations avancées.

Les navires sont techniquement de plus en plus complexes, l'électronique et l'intelligence artificielle ne pourront pas tout faire même si les M.A.S.S. arriveront un jour à traverser les océans, quelles que soient les conditions de mer.
Au moment où l'on essaye d'attirer les femmes vers ce métier tout en assurant un niveau de recrutement et de formation accru des officiers et techniciens pour assurer la sécurité et la protection de l'environnement, il ne faudrait pas que les jeunes s'aperçoivent que finalement ce métier ne présente plus d'intérêt. Ce serait dramatique.

                                      

Cdt Bertrand Apperry
Membre de l'AFCAN


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