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Nouvelles, lettres et extraits, juillet - septembre 2020
Recueillies par le Cdt B. Apperry

  1. Actualités :
Relèves des marins

       Globalement et malgré les efforts de certains pavillons, les relèves manquées des marins n'ont pas beaucoup évolué en dépit de quelques initiatives de certains pavillons ou de l'UE. le scandale des relèves reportées sine-die continue.
La situation devient dangereuse, temps excessif à bord (dépressions nerveuses et suicides, sans parler des problèmes familiaux classiques), équipes de relèves au chômage sans aucune aide, marins rançonnés aux Philippines, ou en quarantaine excessive dans certains pays. SRI (Seafarer's right international) se demande en plus si ces prolongations d'embarquement n'auraient pas d'incidence sur les causes des récents accidents maritimes récents (Wakashio, Gulf Livestock 1 et New Diamond). Tous ces accidents dramatiques se sont produits sous un seul pavillon, celui de Panama. Les lier à la seule malchance serait encore une fois facile et avec les suites que l'on connaît pour les capitaines : le syndrome du bouc émissaire.
Les causes du problème sont bien connues, mêmes si elles sont multiples : contamination Covid-19, absence de transports aériens, quarantaines peut-être, mais aussi abandon pur et simple par certains employeurs, notamment lorsqu'ils sont sous pavillon de circonstance ou par les assureurs P&I eux-mêmes.
La profession maritime est pourtant celle qui a assuré le ravitaillement vital de la terre entière en cette période de pandémie, mais si les marchandises étaient prioritaires, les marins ne l'étaient pas. C'est un scandale qui aurait pu amener à une paralysie complète des échanges si les équipages n'avaient pas eu la crainte de leur employeur.
 
La solution viendra encore des assureurs P&I car si la couverture n'existe plus, les armateurs ne prendront théoriquement pas de risque. L'assureur est la seule entité qui eut faire peur à un armateur.
Au moment où la qualité des équipages revient sur le devant de la scène alors que les navires sont de plus en plus automatisés, tout cela n'est pas fait pour rassurer les jeunes qui restent encore séduits par ce métier.
On signale aussi l'initiative du port de Singapour, haut lieu de la relève pour les équipages, la mise à disposition de barges d'hôtellerie (flotels) pour la quarantaine de Covid-19 obligatoire lors des relèves. Cela améliore peut-être l'efficacité de la quarantaine mais ne règle que partiellement la durée excessive du temps passé à bord.
L'OMI rappelle qu'au moins 80 % des accidents sont dus à des erreurs humaines, et bien que survenues dans des conditions normales de fatigue et de stress, c'est à cause des conditions particulières de la vie des marins. Que devient ce pourcentage lorsque la santé mentale du marin est altérée ? (voir plus loin la partie : derniers accidents).

                                      

  1. Les carburants du futur
       En ce moment, c'est la guerre entre les tenants des solutions d'un futur transport maritime décarboné.
Au-delà des petites mesures aboutissant à une réduction de la consommation (rotor de Fletner, réduction de vitesse, windsail, voiles rigides etc.) et autres efforts sur la coque et les accessoires, le combustible principal reste celui sur lequel le zéro-émission d'oxyde de carbone devra se faire.
Cette évolution sera réglementairement progressive d'ici à 2070 avec des étapes à 2030 et 2050.
En ce moment chantiers et motoristes travaillent sur l'hydrogène et le gaz ammoniac, et 2021 sera l'année de tous les essais ou projets sérieux.
Si les piles à hydrogène sont déjà bien connues, et que les essais en vraie grandeur montrent que les puissances sont suffisantes pour des petits navires ou pour des groupes électrogènes, la disponibilité du combustible reste cependant un frein pour de plus grandes puissances car sa disponibilité dans toutes les parties du monde n'est pas encore pour demain.
Ammoniac NH 3, c'est évocateur pour ceux qui ont navigué sur des LPG. Même si ce transport était relativement rare par rapport au GNL-GPL, on se souvient tous des mesures de sécurité associées et les dangers de la toxicité de ce produit sous forme gazeuse compressée.
 
Ceux qui connaissent les frigorifères à ammoniac ne seront pas plus difficiles à convaincre de la dangerosité pour les membres d'équipage ou les passagers. Maersk, qui a fait sa propre étude, exprime aussi sa préoccupation sur les risques que ce carburant fera peser sur ses équipages et clients.
De nombreux articles sont parus récemment sur ce sujet, notamment ceux du Journal de la marine marchande ou la dernière publication de l'IEA (International Energy Agency) qui signalent les essais sérieux début 2021 des moteurs (NH 3 ou bi-fuel) par Wärtsilä tandis que le gouvernement norvégien investit dans des études pour la production, le stockage et la distribution de l'ammoniac.
A part l'évaluation de Maersk, les armateurs l'évoquent peu, alors que leur choix actuel est plutôt le GNL qui présente certains avantages avec notamment l'absence de particules, mais qui reste globalement peu intéressant en ce qui concerne la diminution des gaz à effet de serre.
En dépit de sa toxicité, le gaz ammoniac a le sérieux avantage d'être beaucoup moins cher à utiliser que tous les autres substituts aux hydrocarbures.
Le dernier document du DNV/GL vient confirmer cela. En raison de son coût de production et d'installation, l'hydrogène ne devrait pas être le carburant de demain et servira plutôt à produire du gaz ammoniac, plus facile à transporter et donc plus facilement disponible de par le monde. Le choix du combustible majeur reste une décision critique qui sera prise par les grands armateurs, d'abord au vu des cahiers des charges des motoristes : coûts (moteurs, citernes, entretien, fiabilité et disponibilité globale). L'OMI se limitera à définir les limites d'émission de CO2 et suivra une fois encore les décisions conjointes des grands de l'industrie maritime.
A plus long terme, malgré toutes les oppositions, il est quasiment certain que le nucléaire arrivera un jour dans la marine marchande. Quand ? c'est une autre histoire.

                                      
  1. Navires et ports du futur


       Régulièrement nous lisons les projets sur les navires du futur mais ils ne se réalisent jamais, tant les chantiers et les armateurs continuent à construire les navires qu'ils savent faire et bien faire. Ils n'arrivent pas à faire construire un navire conçu par un unique architecte. Il est loin le temps où pendant la guerre les chantiers américains construisaient tous les mêmes navires (Liberty, Victory, T2) souvent réussis d'ailleurs.
En excluant les navires bon marché construits en série par des chantiers en panne de commande, il se pourrait bien que les obligations de rendement énergétique, l'utilisation de carburants décarbonés, les avancées technologiques actuelles sur les automatismes ou les communications obligent les armateurs à y penser de nouveau.
Les ports eux-mêmes envisagent l'automatisation de leurs infrastructures dans de nombreux secteurs : quai d'accostage, moyens d'amarrage, remorqueurs autonomes, portiques automatisés et enlèvements intelligents des conteneurs via le rail, ports secs, etc.
Si l'on arrive à s'approcher d'une certaine uniformisation selon les types de navires, tout le monde y gagnera certainement en efficacité, sauf peut-être le marin, s'il ne disparaît pas, qui se sentira bien seul avec ses quatre ou cinq collègues à bord de leur immense bateau, même s'il peut parler tous les soirs avec sa femme et ses enfants via internet.

Evolution de la construction navale


       Les architectes navals dessinent déjà des navires destinés à faire des expéditions (400 passagers) qui tiennent compte de l'expérience Covid-19 et qui devraient bientôt flotter, peut-être en nombre (Phoenix World Village).
De leur côté, les Japonais ont mis à l'essai le captage de CO2 aux échappements du navire et son stockage à bord. Ce CO2 sera ensuite débarqué pour retraitement comme on sait déjà le faire.

                                      
  1. Sûreté maritime
Clandestins

       Tandis qu'à la date du 12 septembre le M/V Maersk Etienne est enfin libéré des naufragés suite à leur transfert sur un navire ONG, Malte continue de les refuser. Le problème des naufragés sauvés en mer ne semble pas près d'être résolu.
Les naufragés en Méditerranée qui réussissent à passer se retrouvent ensuite en partie du côté du Pas-de-Calais où des familles entières se tassent dans des Zodiacs vendus par les habitants l'endroit et tentent de gagner la Grande-Bretagne qui semble si proche par beau temps. Vent changeant et courants importants mettent rapidement les embarcations en péril et ceux qui ne sont pas interceptés par la garde-côtes française* sont pour beaucoup accueillis par la Border force, l'objectif pour les migrants étant atteint. Certains, hommes, femmes enfants, se retrouvent errants et affamés sur les routes du Kent.
Tout près de chez nous, les lignes de ferries entre la France et l'Angleterre, jusqu'à Roscoff, sont toujours aussi recherchées par ces migrants. Tous les moyens sont bons pour pouvoir entrer dans un camion qui va traverser la Manche : scellés et cadenas forcés et maquillage ensuite avec découpage du toit en résine de la remorque et recollage avec de l'adhésif de même couleur, ou bien accrochage d'un clandestin autour d'un essieu de la remorque («axel-grappers» pour les Anglais), etc.
Mais pourquoi-donc s'acharnent-ils à passer en Grande-Bretagne ? Les conditions de vie (travail, subsistance) ne sont pas beaucoup différentes des nôtres. Ces migrants sont déjà en Europe depuis un moment et souvent en famille. Ils ont même déjà travaillé ici et là en France, en Allemagne, en Europe centrale, et néanmoins ils veulent toujours passer de l'autre côté de la Manche.
Les explications sont multiples : langue anglaise qu'ils connaissent à peu près tous, réseaux familiaux ou ethniques installés et régime libéral britannique «favorisant la disparition administrative d'un immigré illégal» (sic).
L'accroissement actuel des tentatives de traversées périlleuses est expliqué aussi par la crainte du «no deal» lors du Brexit. L'incertitude sur les futures conditions d'accueil en Grande-Bretagne a un effet d'accélération. C'est un comble quand on sait que la présence trop grande d'immigrés au Royaume-Uni est une des causes des résultats du référendum sur le Brexit ...

* L'appellation « garde-côtes française » est volontairement utilisée pour rappeler la confusion maintenue en France sur la protection des côtes et frontières maritimes.

Drogue


       Le transport de drogue illégal est une des spécialités du transport maritime. Des millions de conteneurs de 30 ou 60 mètres cubes sur des routes maritimes couvrent la terre entière et fréquentent de plus en plus les ports des immenses régions de production sud-américaines.
Les US Coast Guards avec l'aide précieuse de l'US Navy et de la Royal Navy parfois, interceptent toujours autant de fast-boats transportant plusieurs tonnes de cocaïne depuis les côtes caribéennes vers les destinations nord-américaines. Pourtant les destinations finales sont aussi de plus en plus européennes. Des milliers de conteneurs passent probablement la majorité de cet énorme business.
Les contrôles mis en place sont importants mais sont réalisés surtout par sondage ou suivi («tracking»). Le renseignement fonctionne aussi très bien mais il apparaît qu'une complicité des équipages à tous les niveaux est souvent découverte. Cette complicité concerne parfois l'équipage tout entier du navire, du matelot au capitaine comme le prouve le «plaidé coupable» de l'équipage du MSC Gayana à Philadelphie. D'autre part les complicités terriennes concernent soit les services des ports ou tout simplement les dockers qui sont les «receveurs». Cette affaire du MSC Gayana est la plus importante de l'histoire des US Customs, près de 20 tonnes de cocaïne chargées en plusieurs fois en mer avec l'aide de l'équipage. Les conséquences ont été très importantes pour la compagnie MSC qui a perdu ainsi son statut privilégié CTPAT et les trafiquants arrêtés vont certainement passer de nombreuses années en prison, jusqu'à la perpétuité pour certains.
Parfois un important transport illicite est l'œuvre de criminels très organisés comme la tonne de morphine découverte tout récemment à Felixstow, cachée dans des sacs de riz à bord du Maersk Sembawang.

Piraterie


       Loin de diminuer, la piraterie se porte bien autour du monde et surtout dans le golfe de Guinée.
Le RECAAP annonçait en juillet une augmentation dangereuse (doublement) de la piraterie en Asie, tandis qu'au niveau mondial, les chiffres de 2020 sont en progression déjà de 20%. Dans le détroit de Singapour entre janvier et juin 2020, quatorze attaques ont eu lieu. Les navires étaient en route et les attaques semblent plus opportunistes qu'organisées. De grands progrès ont été faits par les gouvernements côtiers avec l'aide des Japonais et des Américains, mais comme toujours, à plus long terme, «une certaine fatigue» dans l'application des patrouilles se fait sentir.
A travers les Philippines, un groupe révolutionnaire se procure des fonds via des enlèvements sur les nombreux navires de croisière qui sont venus mouiller dans les parages après avoir débarqué leurs équipages autochtones.
Dans le golfe de Guinée, riche en pétrole, la prise d'otage dans les régions du Nigéria et du Cameroun est devenue une industrie lucrative et pas trop dangereuse, étant donné le zèle des forces de sûreté locales.
Les pirates sont très bien renseignés et notamment sur la nationalité des membres d'équipage, sachant que la valeur d'un marin ou officier Américain ou Européen en général frôle les 200 000 €, montant que les armateurs payent. Au premier semestre 2020, 49 membres d'équipage ont été enlevés représentant une augmentation de 50% par rapport à 2019.
Plateformes ou unités offshore dans le golfe du Mexique sont de plus en plus attaquées et l'ampleur de ce phénomène nouveau tarde à être confirmée. La proximité des USCG et des gardes côtes mexicains formés par les premiers devrait rapidement tempérer cette progression.
Il n'y a pas de secret, la mer est toujours grande et pour la contrôler il faut une force navale suffisante que finalement peu de pays possèdent.

La Covid-19 est venue exacerber la piraterie maritime ! comment ?

       D'un côté les pays pauvres sont devenus encore plus pauvres ce qui engendre de nouveaux pirates tandis que le commerce mondial a chuté de 15% minimum. Certains armateurs ont différé des frais annexes comme la qualité des équipes de sûreté embarquées ou même la formation sûreté des équipages, d'où un certain laxisme dans la prévention.

                                      
  1. Les accidents maritimes
       L'échouement du Wakasio a fait un peu de bruit malgré tout. Une marée noire même limitée à l'île Maurice est effectivement terrible pour cette île paradisiaque où le tourisme est primordial.
Accident spectaculaire encore une fois, dont il faut rechercher les causes. La base de données GISIS est toujours muette sur le rapport d'enquête, même provisoire, et on ne peut que supputer les causes de cette énorme erreur de navigation : fatigue d'un équipage depuis trop longtemps à bord ce qui l'a mené à prendre trop de risque en approche de la côte lors d'une fête d'anniversaire ?
Il faut donc attendre, mais connaissant le temps mis par les pavillons pour émettre un rapport, ne serait-ce que provisoire, il y aura peut-être quelque chose au plus tôt en fin d'année.
Sam Chambers rappelait récemment dans SPLASH que pour avoir un rapport complet par le pavillon et accessible sur le net, l'attente est en moyenne de 3 ans et que finalement seulement 60% des accidents sont analysés.
Pendant ce temps il faut espérer que les Mauriciens sauront libérer les officiers emprisonnés tout en préservant leurs intérêts.
NB : Dans GISIS, il n'y a pas de rapport d'enquête non plus sur l'incendie du pétrolier New Diamond ni du naufrage du Gulf Livestock 1 avec ses 40 membres d'équipage.


                                      
  1. Autres nouvelles

OMI

       La pandémie a fait que toutes les réunions des Sous-comités ont été reportées, ce qui retarde d'autant nombre de décisions. Parmi celles-ci un code qui devrait nous intéresser, il s'agit du code IP (IP pour « Industrial Personnel »).
Les installations « offshore wind » nécessitent de l'entretien et le personnel qui doit l'assurer ne sera pas marin. En effet il s'agira d'interventions nécessitant de courtes traversées vers les éoliennes flottantes ou pas. Donc sauf pour les navires High speed spécialement dédiés à ces travaux, un code particulier était en préparation afin de permettre l'embarquement de plus de 12 personnes « industrielles » en plus de l'équipage.
Ce code est en cours de finalisation pour une application en janvier 2024, ce qui laisse un peu de temps pour le commenter et notamment sur 2 points critiques : l'application du code ISM/ISPS, ou pas, et la formation spéciale "navires à passagers" en cas d'urgence, ou pas.
Dans la publication IMO de spring/summer 2020, en deuxième de couverture, une publicité insolite fait sursauter : carottes et salades fraîches à bord tout au long de l'année.
Une permaculture à bord, un nouveau travail de jardinier du dimanche à bord ?
«Absolutely amazing» comme disent les Anglais.

Equipements critiques


       En juillet, Kongsberg Maritime vient de lancer une application pour la santé des équipements critiques du navire. Une analyse intelligente du fonctionnement des appareils concernés (signaux faibles) assure une détection anticipée d'avaries.

                                      



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