Retour au menu
Retour au menu
Origine des échouements du Wakashio et de l'Ever Given, 2020-2021


Au début de l'été, le MAID (Maritime Affairs Investigation Department) de l'Autorité maritime du Panama a publié deux rapports d'enquête après incidents de navires sous pavillon panaméen, concernant pour chacun d'eux un échouement. Ceux du WAKASHIO (25 juillet 2020 sur la côte SE de la Blue Bay – île Maurice), et de l'EVER GIVEN (23 mars 2021 dans le canal de Suez). Ces deux échouements avaient en leur temps défrayé la chronique, d'une part pour la pollution engendrée ainsi que par la raison évoquée (recherche de réseau téléphone pour échange de nouvelles avec les familles en temps de Covid) pour le Wakashio ; et par le blocage conséquent en termes de retard de trafic sur l'Europe (plusieurs jours sans trafic dans le canal de Suez) pour l'Ever Given.
Ci-dessous le lecteur trouvera une traduction libre de deux des derniers chapitres de ces rapports du MAID: la « root cause analysis » et les recommandations, intéressantes car mettant le doigt sur les raisons de ces échouements.

WAKASHIO Grounding investigation report

Root causes analysis

  1. Manque de sensibilisation à la sécurité

  2. ► Manque de distance de sécurité au large des côtes :
    • Lorsque le capitaine a décidé de passer à 5 milles marins de la côte, l'officier de quart a mal identifié que la profondeur d'eau était insuffisante lors de la planification de la traversée du navire, de sorte qu'il n'a pas réalisé que le navire allait s'échouer.
    • Manque de conscience du fait qu'il est très risqué pour un grand navire de naviguer à peu de distance du rivage.
  3. Manque de reconnaissance et de mise en œuvre des règles de voyage

  4. ► Manque de reconnaissance et performances insuffisantes liées à l'ECDIS :
    • Manque de reconnaissance sur les cartes électroniques du navire contenant des informations insuffisantes telles que la profondeur d'eau et qu'elles ne sont pas adaptées aux voyages côtiers.
    • Les cartes marines à grande échelle nécessaires à la navigation dans la zone maritime concernée par la traversée n'étaient pas prévues contrairement à la procédure de plan de voyage spécifiée par la société de gestion du navire.
    • Lorsque le navire a décidé de modifier sa route initiale deux jours avant de s'échouer (23 juillet), la vérification des risques sur la nouvelle route n'a pas été effectuée correctement car le nouveau plan de voyage n'a pas été préparé.
    ► Manque de vigilance / Défaut de navigation appropriée :
    • Il n'existe pas de carte électronique à petite échelle permettant de confirmer la distance et la profondeur de l'eau depuis le rivage.
    • Le chef de quart n'a pas vérifié visuellement la trace du navire et la distance de dégagement par rapport au rivage avec l'ECDIS.
    • Le chef de quart n'a pas exercé une vigilance appropriée pour assurer une navigation en toute sécurité pendant le quart.
    • L'officier de quart a apporté son téléphone portable à la passerelle et l'a utilisé avec le capitaine pendant le quart.
    • Le timonier n'était pas affecté au quart pendant la navigation en service avec l'OCQ, même après le coucher du soleil, seul l'officier de quart était à la passerelle.

RECOMMANDATIONS

Compagnie de navigation :
  1. Actions préventives contre le manque de sensibilisation à la sécurité

  2. ► Réalisation d'un briefing avant embarquement :
    • Participer à un briefing avant l'embarquement pour le capitaine et le chef mécanicien organisé par la société de gestion du navire ou la société de manning équipage pour partager des informations et échanger des opinions sur l'accident afin de promouvoir la sensibilisation à la sécurité.
    ► Évaluations des officiers supérieurs :
    • Avant l'embarquement des officiers supérieurs (capitaine, chef mécanicien, second capitaine et second mécanicien), vérifier l'évaluation desdits officiers supérieurs, évaluation effectuée par la société de gestion du navire ou la société de manning. En particulier, pour les candidats en milieu de carrière, vérification de l'évaluation après renseignement pris auprès de l'ancienne société de gestion du navire ou de la société d'équipage et vérification d'éventuels problèmes avec l'officier supérieur lors de son précédent embarquement.
    • Pour les officiers supérieurs qui envisagent d'embarquer pour la première fois sur un navire de la compagnie, des entretiens seront menés pour évaluation et en cas de problème, l'embarquement sera annulé.
    ► Avis maritime aux navires de la compagnie :
    • L'exploitant du navire et les propriétaires doivent publier un avis maritime sur les causes de l'accident, y compris les contre-mesures qui seront prises, et doivent informer tous les capitaines de navire des différents armateurs de la société afin d'éviter que cela ne se reproduise.
    ► Visite du navire pour entretien avec l'équipage :
    • Les exploitants du navire devraient visiter leurs navires pour tenir une réunion de sécurité avec les membres de l'équipage des navires, partager des informations et échanger des opinions sur les cas d'accidents passés et/ou cet accident afin de sensibiliser les équipages à la sécurité et d'éviter une récidive. De plus, les capitaines, les chefs mécaniciens et les seconds capitaines seront entretenus individuellement.
    ► Evaluation des conditions de vie et de travail à bord :
    • Réaliser un questionnaire sur l'état du navire avec les membres d'équipage débarqués et s'il y a un problème, en informer la société de gestion du navire ou la société de manning et demander une action corrective.
    • En cas de changement d'officier supérieur, demander à l'officier débarquant de préparer et de soumettre à l'avance une suite écrite, et après en avoir vérifié le contenu, en cas de problème, en informer la société de gestion du navire ou la société de manning du contenu et demander une action corrective.

  3. Mesures visant à prévenir la répétition d'une reconnaissance et d'une mise en œuvre insuffisantes des réglementations sur les traversées
  4. ► Respect strict de la réglementation sur les plans de traversées :
    • La société de gestion du navire doit demander aux officiers pont qui doivent rejoindre le navire de lire attentivement les règles de service, les normes de surveillance à la passerelle ainsi que les procédures de planification de voyage et de transmettre ce document signé par les officiers pont à la société de gestion du navire avant de rejoindre le navire.
    • Aviser tous les navires en propriété que l'utilisation de téléphones cellulaires privés pendant le quart à la passerelle est strictement interdite et s'y conformer.
    ► Apprentissage de l'ECDIS :
    • Fournir des informations susceptibles de conduire à l'amélioration des connaissances sur le fonctionnement des ECDIS aux officiers de pont qui effectuent le quart sur tous les navires en propriété.
    ► Introduction à la sécurité sur le fonctionnement de l'ECDIS :
    • Prévoir d'introduire un service permettant aux officiers pont de visualiser toutes les échelles de cartes mondiales sur ECDIS sans avoir à acheter des cartes.

  5. Prise en charge de matériel supplémentaire
  6. ► Renforcement de la surveillance passerelle :
    Prévoir l'installation de caméras de surveillance sur la passerelle et les intégrer au VDR du navire.
    ► Amélioration des équipements de communication du navire :
    Prévoir l'installation d'un système de communication à haut débit (WiFi), et de grande capacité sur tous les navires en propriété, utilisation du système sous contrôle du capitaine.
    ► Mise en service d'un système de surveillance des mouvements des navires :
    Installer un système permettant de surveiller tous les mouvements des navires de la flotte depuis le siège à terre.

EVER GIVEN Grounding investigation report

Root causes analysis

La cause de l'échouement dans le canal de Suez est la perte de manœuvrabilité du navire, cependant, lors de la navigation du M/V Ever Given dans le canal de Suez le 23 mars 2021, une série d'événements et de facteurs ont influencé l'échouement du navire, facteurs pouvant se résumer à :

Facteurs :
  • La force et la direction du vent, le squat, les effets de berges sont des facteurs qui ont influencé la perte de manœuvrabilité et l'échouement.
  • Les ordres de barre – toute droite ou gauche – au lieu d'ordres de cap donnés par les pilotes.
Evénements :
  • La communication en langue arabe sur la passerelle entre les pilotes a rendu difficile la compréhension par le capitaine et l'équipe de quart à la passerelle de la situation pendant le transit du canal de Suez.
  • L'intervention du capitaine dans les ordres donnés par les pilotes au timonier n'a pas été efficace pour empêcher l'échouement.

RECOMMANDATIONS

Il y aura toujours des risques d'échouement des navires lors du transit des canaux, mais des mesures de prévention appropriées doivent être mises en œuvre, afin de minimiser les risques et les conséquences relatives.
Les mesures préventives suivantes sont recommandées :
  1. Equipage :
  2. Les capitaines et officiers doivent être formés sur :
    1. Les chapitres du SMS de la compagnie relatives à la navigation et les opérations à haut risque (par exemple transit dans un canal).
    2. Il est recommandé qu'avant tout « transit dans le canal de Suez », le capitaine rassemble les officiers pont et machine pour montrer et expliquer les pratiques maritimes appropriées afin d'améliorer le travail d'équipe et la sensibilisation à la sécurité pendant la navigation dans le canal.
    3. Etablir une communication claire pendant la période de pilotage.
    4. Il est recommandé que le pilote et le capitaine, lors de la réunion de familiarisation précédant le début de la navigation dans le canal de Suez, établissent la langue dans laquelle les communications seront effectuées, de préférence l'anglais qui est la langue communément pratiquée pour les communications à bord.
    5. Evaluation des actions du pilote.
    6. Il est recommandé que les membres de l'équipe de passerelle ne soient pas trop confiants quant aux capacités et compétences du pilote. Dans certaines situations, le pilote peut ne pas être familier avec la conception particulière du navire et les caractéristiques de manœuvre, ce qui pourrait entraîner des circonstances indésirables. Le capitaine doit donc intervenir s'il l'estime nécessaire, puisque selon la réglementation du canal de Suez, le rôle du pilote est celui d'un conseiller.
    7. Attention pendant le transit.
    8. Il est recommandé que l'équipe à la passerelle surveille les ordres du pilote et s'assure que toutes les mesures prises sont opportunes, efficientes et efficaces. De plus, l'équipe à la passerelle doit essayer autant que possible et toujours prendre en considération les conseils du pilote, pour suivre le plan de traversée, qui a été correctement conçu, des vérifications approfondies et peut fournir des informations précieuses, telles que les points d'abandon, la vitesse de transit sûre, position de relève de barreur, zones interdites, plans d'urgence, etc.
    9. Attention pendant les virages et à la position du navire.
    10. Procéder avec la plus grande attention lorsque le navire s'approche d'un virage important lors de la traversée des canaux et à une vitesse de sécurité. De plus, le navire doit être positionné au centre du canal. De cette façon, tout effet d'inclinaison potentiel sera réduit au minimum, le navire pourra virer en douceur et il y aura plus de temps pour réagir en cas d'erreur de navigation. La vitesse de rotation ne doit jamais être supérieure à 10°/min.
  3. Compagnie :
  4. Bien que le SMS de l'entreprise ait été jugé adéquat, correctement mis en œuvre et entretenu, il devrait toujours y avoir de la place pour d'autres améliorations et développements. Par conséquent, un audit interne supplémentaire est conseillé aux opérateurs/gestionnaires afin d'évaluer la mise en œuvre et performance du système de gestion de la sécurité de l'entreprise et d'assurer une bonne gestion de la passerelle, dans des cas particuliers tels que le transit du canal.
    Les mesures préventives suivantes, liées aux causes et aux facteurs contributifs de cet incident maritime grave actuel, sont recommandées :
    • Bien qu'il ait été observé que l'entreprise met en œuvre un système de formation à bord suffisant, il serait raisonnable d'adopter des titres de formation spécifiques concernant le transit dans le canal de Suez qui pourraient être considérés comme faisant partie du système de formation à bord.
    • La compagnie doit informer l'ensemble de sa flotte des « leçons apprises », en mettant l'accent sur l'autorité et les responsabilités du capitaine pendant le transit des navires dans le canal de Suez. Il est essentiel de comprendre que le capitaine est toujours aux commandes du navire et que les pilotes n'agissent qu'à titre de conseillers.
    • La compagnie devrait mettre en œuvre des campagnes et séminaires de formation pour les équipes passerelle afin de souligner et d'expliquer l'importance des calculs de squat et l'impact des effets de berge sur les navires de la flotte.

  5. Suez canal authority (SCA)
  6. Il convient de souligner qu'au cours du processus d'enquête sur l'incident, très peu d'informations et de données ont été divulguées de la part de l'Autorité du canal de Suez. Compte tenu du nombre croissant ainsi que de leurs tailles, croissantes aussi, des navires transitant par le canal, le risque d'accidents/incidents maritimes dans le canal augmente.

    Compte tenu de ce qui précède, l'Autorité du canal de Suez devrait envisager de revoir ses procédures et réglementations, ainsi que la formation des pilotes du canal de Suez, afin de garantir la sécurité de la navigation des navires dans le canal et de minimiser le risque d'échouement.

    Les domaines suivants pourraient être envisagés pour des améliorations :
    1. Dans l'industrie maritime les tendances sont à construire des navires plus grands. La formation des pilotes du canal de Suez en ce qui concerne les manœuvres (à l'intérieur du canal) des navires de grande taille, ainsi que l'effet du vent, en particulier sur les porte-conteneurs, devraient être considérées comme obligatoires.
    2. La langue de travail des pilotes du canal de Suez, surtout lorsque deux pilotes sont ensemble à la passerelle, devrait être imposée comme étant l'anglais. Les discussions entre pilotes en langue arabe, concernant la navigation et la manœuvre du navire, ne permettent pas au capitaine (non arabophone) d'identifier les risques potentiels et de mettre en œuvre des actions correctives à temps.
    3. Compte tenu de la fréquence, de la similarité et des conséquences des accidents/incidents maritimes dans le canal de Suez, SCA devrait envisager de mettre en œuvre un système d'alertes et de « leçons à tirer » pour les navires transitant par le canal, à titre préventif afin de minimiser les risques de réapparition de telles catastrophes, ainsi que pour en réduire les conséquences.
    4. SCA devrait considérer comme une exigence obligatoire, avant qu'un navire transite par le canal de Suez, une évaluation des risques réalisée par l'équipe à la passerelle du navire, qui sera examinée et approuvée par les pilotes du canal.
    5. Des cours de perfectionnement pour les pilotes du canal de Suez concernant les effets de squat et de berge sur différents types de navires qui transitent dans le canal de Suez, ainsi que sur les caractéristiques du canal (vents, courants, profondeur, etc.), devraient être considéré comme étant effectué de façon régulière.
    6. SCA devrait élaborer et mettre en œuvre des procédures de plan d'urgence, y compris les détails de l'assistance des remorqueurs, et celles-ci devraient être partagées avec le capitaine et incluses dans l'évaluation des risques de transit du canal de Suez réalisée par l'équipe à la passerelle.
    7. Les bollards de traction des remorqueurs disponibles dans le canal de Suez pour les opérations de sauvetage doivent être appropriés en fonction de la taille du navire, notamment en ce qui concerne les grands navires.
    8. SCA devrait veiller à ce que les dernières réglementations du canal de Suez en matière de navigation soient publiées sur le site officiel de SCA, les documents obsolètes devant être supprimés.
Cdt Hubert Ardillon
Vice-président de l'AFCAN

Retour au menu
Retour au menu