Bien que la vocation de l'Afcan soit essentiellement la réflexion, et l'élaboration de propositions pour une mer plus sûre, les
évènements dramatiques de ces derniers mois nécessitent quelques commentaires d'actualité.
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Justice :
Le 19 janvier 2006 une délégation de magistrats est venue à bord du Girolata de la Cie Méridionale de navigation, afin de mieux
connaître la problématique et l'utilisation du séparateur d'eaux mazouteuses 15 ppm à bord des navires. Cette délégation était
composée de deux magistrats du siège, d'un magistrat du parquet, d'un commissaire de marine de l'action de l'état en mer, et du
chef du centre de sécurité de Marseille. (La présidente du tribunal a dû annuler au dernier moment). Après divers exposés de
l'administrateur, du responsable qualité sécurité et environnement et du directeur général de la Cie Méridionale de Navigation,
la délégation a visité le compartiment machine et le chef mécanicien a pu exposer toute la problématique du rejet à la mer par
l'intermédiaire du séparateur d'eaux mazouteuses 15 ppm. (nécessité d'une bonne décantation préalable, risque d'avarie, fiabilité
du matériel pas toujours évidente etc...).
Cette visite par des magistrats éminents, accompagnés par des représentants de l'action de l'état en mer, démontre une volonté
évidente de bien connaître les schémas conducteurs de rejets, volontaires ou non, d'hydrocarbures à la mer. En cette période de
violente tempête pour le système judiciaire, cela mérite d'être particulièrement salué.
Evènements de mer :
le 5 janvier 2006, collision dans l'estuaire de la Loire entre le Sigmagas et Happy Bride :
Les deux butaniers sont entrés en collision, suite à une avarie de barre. Ils avaient tous deux un pilote à
bord (obligation pour les navires supérieurs à 75m, doublée d'une obligation pour tous les transports
de dangereux).
MV SIGMAGAS
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MV HAPPY BRIDE
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avaries du HAPPY BRIDE
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L'enquête a montré qu'une avarie du gouvernail Becker en était la cause, avarie assez fréquente selon un de nos
collègues qui navigue sur des navires équipés de ce matériel. Par chance, le Happy Bride a été abordé au niveau
des soutes FO de propulsion.
Personne n'a parlé de ce qui se serait passé avec une collision en plein milieu ! ... Ce risque majeur n'a pas
été évoqué, et encore moins le fait que l'on est passé à coté de la grande catastrophe, avec un gros
pétrolier-chimiquier en fin de chargement de naphta (30 000 tonnes) au poste 5.
La réactivité des autorités est restée apparemment faible devant les évènements, en comparaison de celle des US Coast
Guards devant une pollution même minime.
Il serait peut-être bon d’imposer au niveau européen (comme cela se fait aux États Unis avec l’ « Oil
Spill Manager ») que les armateurs s’attachent les services d’une société spécialisée dans
l’antipollution qui, dès que notifiée par le bord ou l’armateur, prend la responsabilité de la lutte anti
pollution et des relations et notifications réglementaires avec les autorités.
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Conclusion à ce sujet : On se trouve encore une fois confronté à une tendance à jouer trop serré pour
optimiser le rendement des postes à quai et minimiser l’attente des navires pour des raisons de coûts.
Lors des appareillages et accostages, les navires se croisent fréquemment en face du poste concerné, à
des distances un peu justes pour la sécurité. Tant que tout se passe bien, rien à redire, mais en cas d’avarie
(moteur ou barre ), il n’y a aucune marge de manoeuvre. Les risques sont encore accrus en cas de manoeuvres
hors étale de marée. De plus, les équipages des caboteurs sont réduits au maximum, et le rythme de travail entre les manoeuvres
d’arrivée, de départ et les opérations commerciales à quai font que le personnel dépasse souvent les
12 heures journalières avec la fatigue et la perte de vigilance qui en résultent.
Une réglementation destinée à éviter la présence dans le chenal de deux navires potentiellement
dangereux existe. Il faudrait donc qu'elle soit appliquée, mise en place, ou améliorée. La nature des
relations entre la raffinerie Total, le pilotage, et la capitainerie sont malheureusement des freins à cette
amélioration.
L'estuaire de la Loire a été pollué, des paysages ont été maculés sans possibilité de nettoyage, des
oiseaux ont été mazoutés, des zones de nourricerie pour les alevins ont été détruites, mais les autorités
ont tout fait pour minimiser. La presse locale a rapporté les propos du procureur qui suit cette
affaire, lequel estime qu'il n'y a pas lieu à poursuites si une pollution n'a pas eu de "préjudice
constaté", ce qui serait le cas puisqu'il n'y « a pas de mort constatée des oiseaux », liée avec certitude
à la pollution. Voilà une manière de voir qui intéressera les avocats des Capitaines poursuivis devant le tribunal de
Brest.
le 6 janvier 2006, naufrage du chalutier Klein Familie :
Le SICHEM PANDORA passant Québec
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Le chalutier ligneur "Klein Familie" a coulé après une collision dans le dispositif de séparation du trafic des Casquets. Bilan, cinq morts et un
seul rescapé. Aucun corps n'a été retrouvé dans l'épave explorée par les plongeurs de la Marine Nationale. Mais ces derniers ont
constaté des traces d'un violent choc sur tribord. Le pont et la passerelle du palangrier sont disloqués. Le 14 janvier dernier,
l'expertise confirmait que les traces de peinture sur le "Sichem Pandora" et sur le "Klein Familie" étaient bel et bien
identiques.
Le navire de pêche pouvait-il réglementairement être à cet endroit?
Tout ce que l'on peut lire dans le "Règlement International pour Prévenir les Abordages en Mer" (RIPAM ou COLREG) à propos de DST
et de pêche, se trouve dans la règle 10, intitulée "Dispositifs de séparation de trafic" qui stipule, entre autres :
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.........................
- b) "Les navires qui naviguent à l'intérieur d'un dispositif de séparation de trafic doivent :
i) suivre la voie (ou couloir) de circulation appropriée dans la direction générale du trafic pour cette voie (ou
ce couloir);"
....................
- e) "Un navire ..... ne doit normalement pas pénétrer dans une zone de séparation ou franchir une ligne de séparation sauf :
....................
ii) pour pêcher dans une zone de séparation.
....................
- i) Les navires en train de pêcher ne doivent pas gêner le passage des navires qui suivent une voie de circulation."
..............................
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Bref, d'après RIPAM COLREG, le pêcheur peut pêcher - dès lors qu'il ne gêne pas les autres navires - dans un DST, que ce soit
dans un couloir de circulation ou dans une zone de séparation, par contre il ne peut pas chaluter à contre-sens d'un couloir
de circulation. On appréciera l'absence de gêne qui est demandée aux pêcheurs à l'égard des autres navires : pour nous tous
qui l'avons vécu, on sait combien cela relève du voeu pieux. Faut-il que le code de la route prévoie une règle pour les
ramasseurs d'escargots, heureusement assez rares, sur les autoroutes !
Il y a-t-il eu délit de fuite?
C'est fort possible, certains officiers asiatiques ou de l'est européen ne donnent pas à la vie la même valeur que nous, ne
comprennent pas et ne cherchent pas à comprendre la manière de travailler des pêcheurs et ont tendance à penser que, en venant
sur la route des cargos, les pêcheurs prennent un risque, et qu'ils doivent en assumer les conséquences.
le 12 janvier, collision entre STAR HERDLA et CAPE BRADLEY au large de Boulogne :
avaries du CAPE BRADLEY
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avaries du STAR HERDLA
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le chimiquier Cape Bradley, pavillon des Iles Marshall, à destination de Rotterdam, longueur 176 mètres,
transporte 30 000 t de naphta (solvant aromatique inflammable très volatile). Son étrave est endommagée.
le cargo Star Herdla, pavillon norvégien, en provenance de Rotterdam et à destination de Boulogne, sur
ballast, tonnage d’environ 13 400 tonnes. Son bordé arrière droit est
endommagé au niveau de ses superstructures.
La presse parle de tôle froissée et de « mauvaise manoeuvre ».
Une conversation entre un pêcheur sur les lieux et le CROSS apporte une vue complémentaire des
choses. Dans une brume à couper au couteau, le pêcheur appelle le CROSS pour lui signaler « quelque chose
de bizarre ». Réponse du CROSS. « Ce que vous voyez, c'est un navire qui vient de
traverser le rail ». Peu de temps après, ce navire, qui se positionnait pour entrer à Boulogne, était abordé
par un navire en bordure du rail montant.
Remarque : la mission donnée au CROSS est de savoir quels sont les navires sur ses
écrans, ce qu'ils transportent, et quelle est leur route. L'anticollision relève exclusivement de la
responsabilité des capitaines, et l'espacement du trafic n'est actuellement concevable que dans une
zone où le pilotage est obligatoire.
le 31 janvier 2006, naufrage du chimiquier ECE à 90 km dans l'ouest de Cherbourg :
vraquier Général Grot Rowecki
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Transport de produits chimiques ECE
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Le vraquier General Grot-Rowecki (pavillon MALTE) a abordé le transport de produits chimiques ECE (pavillon Iles Marshall) qui
a coulé peu après, avec 10000t d'acide phosphorique, sans qu'il y ait de victimes.
Cet abordage de 2 navires faisant même route ne surprend aucun de nos membres en activité, qui ont constaté
que depuis quelques temps, il est de plus en plus courant de se faire rattraper par un autre navire qui
n’hésite pas à passer à parfois moins de 0.2 milles, souvent à plus de 20 noeuds !!
Il n'est pas rare d'être amené à manoeuvrer pour s’écarter afin de garder une distance raisonnable,
ceci après un contact infructueux en VHF où bien souvent on s'entend répondre : « It’s OK , we
have a CPA of 0.15 ‘ ». Grâce aux progrès en positionnement et à la précision accrue des pilotes
automatiques, des radars et arpa, les gens de quart semblent perdre de plus en plus la notion de distance de
sécurité.(en principe deux fois le diamètre de giration). Il est certain qu’à la moindre défaillance (par exemple
du pilote automatique), les situations
deviennent critiques pratiquement immédiatement. En cas de décrochage de pilote automatique ou d’avarie de barre, si
le navire a commencé sa giration, il sera long à stopper puis a revenir à son cap initial après un passage en manuel, en
espérant que l’embardée aura été détectée très rapidement. Il est nécessaire de renforcer la formation des officiers
de quart, en particulier sur les distances de sécurité à observer.
Il serait illusoire d'espérer réduire les risques d'accident par l'installation de radars terrestres plus puissants
proposées par des personnes bien intentionnées. Un CROSS avec ces radars peut constituer une aide précieuse à l'information,
mais la décision ultime ne peut se prendre qu'à bord. Par contre, déclarer que le navire abordeur peut
continuer sa route sans être inquiété dans la mesure où « il ne présente aucun danger pour les
personnes et l'environnement », est un encouragement à ces mauvaises pratiques de manoeuvre.
le 3 février 2006, naufrage du ferry égyptien Al-Salam Boccaccio 98 au cours de la traversée Duba - Safaga (Mer Rouge)
Le car ferry Boccaccio a été construit en 1970 par le chantier ITALCANTIERI pour la compagnie Tirrenia di Navigazione, et
transformé en 1991 par INMA à LA SPEZIA par addition de ponts supplémentaires. Il a été vendu en 1999 à la compagnie El Salam
Maritime Transport, du Caire, qui l'a transféré à la société Pacific Sunlight Marine Inc. au Panama, et immatriculé sous le nom
Al-Salam Boccaccio 98.
avant transformations
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après transformations
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Depuis sa construction, le navire était suivi par la société de classification Italienne RINA, qui a délivré pour le compte du
PANAMA les certificats suivants :
- Full Term International Load Line (Type B increased), valide jusqu'au 31/03/2008
- Full Term International Oil Pollution Prevention, valide jusqu'au 31/3/2008
- Interim Safety Management Certificate, valide jusqu'au 26/4/2006
- Interim International Ship Security Certificate, valide jusqu'au 26/4/2006.
Tous les autres certificats réglementaires, y compris le certificat de sécurité pour navires à passagers, ont été délivré par l'état
du pavillon, le Panama.
La dernière visite annuelle du navire a été effectuée par le RINA le 30/06/2005. Le dernier renouvellement de la cote de
classification a été effectué le 29/06/2003, et le dernier contrôle au bassin le 13/06/2004.
L'origine du drame a été donnée à la chaîne al-Arabiya par l'un des survivants, 3ème officier :
"le ferry a coulé du fait des opérations de lutte contre l'incendie. L'eau a envahi le garage et s'est accumulée d'un bord. Le
niveau a ensuite augmenté de plus en plus jusqu'à produire une gite fatale."
On notera donc que jusqu'en 2003, et d'après le RINA, le navire était conforme aux standards internationaux SOLAS 90 sur
la sécurité en mer. Mais on notera aussi que le Panama et l'Egypte figurent sur la liste noire suivante, éditée
par l'organisation du Mémorandum de Paris (MoU) sur les inspections de l'Etat du port. Il y donc lieu de se poser un certain
nombre de questions sur l'application des règlements internationaux à bord du M/V Al-Salam Boccaccio 98, aussi bien en ce qui
concerne l'entretien du navire que la qualification des membres de son équipage.
Cdt F.X. Pizon