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Naufrage du pétrolier Prestige en 2002 : l'horrible, le mauvais et le bon.

Traduction libre par l'AFCAN d'un article paru dans la revue Recalada N°194 de décembre 2022
de l'association des capitaines d'Espagne


Le mardi 19 novembre 2002, le périple du M/T Prestige s'achève lorsqu'il sombre à quelques 130 milles de Finisterre par environ 3 500 mètres de fond, cet évènement passant ainsi du stade d'accident à celui de catastrophe environnementale. La catastrophe a commencé le jeudi 14 lorsque le directeur général de la marine marchande a pris de facto le commandement du Prestige et lui a fait parcourir un voyage de 240 milles vers nulle part. Le "loin des côtes" était la politique espagnole de l'époque en cas d'accident maritime. José Luís López Sors (directeur général de la MM) a déclaré quelques jours avant l'accident : l'Espagne est très claire sur sa politique : dans ces cas, nous sauvons des vies, il n'y avait rien d'autre à faire, mais les navires ... dégagez ! loin de la côte !

Le cas précédent : le M/T Castor avec une cargaison d'essence, avait une fissure sur le pont et a été forcé à s'éloigner des eaux espagnoles pour finalement trouver refuge en Tunisie. Dernier coup porté par cette politique, le bateau de pêche Oleg Naydenov, qui a pris feu en avril 2015 à Las Palmas de Gran Canaria, a été évacué du port par les autorités qui l'ont laissé couler à 15 milles de Maspalomas et par 2 400 m de fond. (L'Union européenne a exigé l'extraction des 1 400 tonnes de carburant du navire de pêche, pour un coût de 31 millions d'euros). Cette politique semble enfin changer en 2016 avec le navire Modern Express qui s'est réfugié à Bilbao.
 
Dès le départ, le gouvernement espagnol, avec des informations erronées et des demi-vérités, a créé un scénario qui a été divulgué aux médias, en particulier à la radiotélévision publique d'État et à la Communauté autonome de Galice qui contrôlaient ces médias en 2002, dans le but de d'attirer l'attention sur trois protagonistes : l'horrible, c'est-à-dire le Prestige, le mauvais, son capitaine Apostolos Mangouras, et le bon, l'administration maritime espagnole.

Le M/T Prestige a été construit au Japon en 1976, c'est-à-dire qu'au moment de l'accident, il était âgé 26 ans. En mai 2001, des travaux de remplacements de tôle ont été effectués dans les chantiers navals de Guangzhou (Chine), principalement dans les ballasts latéraux 2 et 3 (Bd et Td), et dans les zones supérieures près du pont. Ces travaux ont été certifiés par Américain Bureau of Shipping. Le navire était sous pavillon des Bahamas avec ses certificats de pavillon et de classe à jour (visite annuelle à flot à Dubaï en mai 2002). En 1999, il avait subi quatre inspections par la garde côtière américaine avec seulement une non-conformité, puis à Rotterdam, une inspection du MOU avec trois non-conformités, dont aucune n'était un motif de détention. Il semble que l'appréciation du gouvernement sur le navire "horrible" était : le navire est vieux, sous pavillon de complaisance, et le propriétaire est grec. Le navire a été refusé après un vetting effectué en 1997 par REPSOL (1) et enfin, les déclarations du capitaine Kostezos Efftrapios qui relève Mangouras (2) et celles du pilote danois Jens Joergen (traversée de la Baltique à la mer du Nord) sur l'état du navire lors de ce dernier voyage. Depuis l'ouverture de la brèche sur tribord, le navire a rencontré une mer forte pendant sept jours jusqu'à ce qu'il coule.

Le capitaine Apostolos Mangouras, 67 ans. Le gouvernement le considère comme le "méchant" : il est grec, il a 67 ans, avec des problèmes de santé, il n'a pas obéi à l'injonction de la marine marchande de prendre une remorque (interprétation malveillante de « le remorqueur reçoit des ordres des propriétaires, pas de moi ») et demande un port de refuge. Quand le déversement de pétrole s'est produit par une brèche sur tribord (citerne 3 td), les moments de flexion étaient supérieurs aux valeurs autorisées et les contraintes de cisaillement étaient dans les limites autorisées. Après le ballastage des citernes bâbord, les moments de flexion et les contraintes de cisaillement étaient dans les paramètres autorisés (Rapport de la Commission permanente d'enquête sur les accidents maritimes (3) pages 27 et 28). Le capitaine a sauvé son équipage, il a essayé de sauver le navire et la cargaison (4).

L'administration, le directeur général de la marine marchande José Luís López Sors, le "bon" : il a appliqué la politique face à un accident maritime, "partez loin de la côte, il n'y a pas d'abri ni de refuge pour eux !" Il ordonna un repli erratique ce qui a fini par faire couler le navire à une profondeur d'environ 3 500 mètres. Selon le ministre porte-parole du gouvernement, Mariano Rajoy, à cette profondeur le carburant se solidifierait et il n'y aurait pas de nappe de pétrole. Quelques 60 000 tonnes ont touché les côtes du Portugal, de l'Espagne et de la France avec un coût final calculé entre le sauvetage, le nettoyage, l'extraction du carburant de l'épave et divers autres coûts (sociaux, touristiques...) évalué à 12 000 millions de dollars.

Mais dans cette histoire, il y a aussi des acteurs secondaires :
La juge de Corcubión, Carmen Vieiras, qui avec son mandat d'arrêt contre Mangouras dès son débarquement (le 16), a donné raison à López Sors d'appliquer sa doctrine de "dégagez !" et en poursuivant le chef mécanicien Nikolaos Arguropoulos ainsi que le premier officier Irineo Maloto, a démontré son ignorance de ce qu'est un navire (l'affaire n'aurait pas dû être examinée par un petit tribunal comme celui de Corcubión).
 
Le ministre porte-parole Mariano Rajoy avec son travail de désinformation et de dissimulation est devenu président du gouvernement d'Espagne.
Manuel Fraga, président de la Xunta de Galicia, est parti à la chasse avec la crise du Prestige en tête, ce qui lui a coûté sa sixième législature trois ans plus tard.
José María Aznar, le Prestige a été le début de son déclin, ne s'est rendu en Galice que 40 jours après l'accident. Il s'est limité à survoler les plages en hélicoptère. La plupart des plans d'interventions approuvés lors d'un conseil ministériel tenu à La Corogne en janvier 2003 ont échoué et d'autres ont été un fiasco.
Le ministre des Travaux publics Francisco Álvarez Cascos (l'expression "le bateau dans les bleds" lui est attribuée) et la personne qui relevait du directeur général de la marine marchande a préféré aller à la chasse, a déclaré lors du procès qu'il ne croyait pas que sa présence était utile ». Il a été jugé en février de cette année pour détournement de fonds du parti fondateur du Foro Asturias de Ciudadanos.
Le délégué du gouvernement en Galice, Arsenio Fernández Mesa, jusqu'à l'arrivée de Rajoy était l'image du mensonge, après des revirements successifs, est aujourd'hui administrateur de Red Eléctrica Española avec un salaire de 160 000 euros.
Le ministre de l'Environnement, Jaume Matas, s'est rendu en Galice huit jours plus tard puis est parti en vacances à Doñana et n'est plus apparu. Il finira par être condamné pour corruption à plusieurs années de prison. Il est sorti de prison au troisième trimestre 2020.
Le maire socialiste de La Corogne en 2002, Francisco Vázquez, a beaucoup à voir avec la décision d'éloigner le navire de la côte en signifiant qu'il ne permettrait pas que le navire se réfugie à La Corogne.
A contrario, en 2002, le maire de Corcubión Rafael Mouzo (du BNG) a offert le refuge, bien que, selon ses déclarations à une station de radio à l'occasion du 20e anniversaire de l'accident, il n'en ait pas été tenu compte.

Pour finir, en 2016, la Cour suprême en cassation a condamné Mangouras pour négligence grave à deux ans de prison, modifiant la peine initiale du tribunal provincial de La Corogne (13/11/2013) qui était de 9 mois de prison pour désobéissance. Le reste des accusés a été acquitté.
Le tribunal de Grande instance a fixé en 2018 une indemnisation civile à payer par The London Steamship Owners Mutual Insurance Association (P&I du navire) et subsidiairement par Mare Shipping Inc. (armateur) et par la FIAC (Fonds international d'indemnisation du fait de la pollution par les hydrocarbures) de 1 500 millions d'euros à distribuer entre ceux qui ont subi un préjudice. Pour l'État espagnol cela correspond à environ 900 millions. 171 millions ont été récupérés auprès de la FIAC et 22 millions supplémentaires que l'État espagnol a imposés comme caution pour le P&I au total 193 millions d'euros. L'assureur a fait appel près les tribunaux de Londres pour obtenir une indemnisation et réclame également 1 400 millions d'euros à l'Espagne pour des poursuites parce que l'affaire Prestige n'est pas terminée.

REMARQUES
  1. Le rejet d'un navire par un vetting indique qu'il ne répond pas aux normes de qualité de la compagnie qui souhaite affréter le navire (affaire du Prestige pour cause d'ancienneté, annexe 10 du Rapport de la Commission permanente d'enquête sur les pertes maritimes).
  2. Depuis 1998, les pétroliers devaient se conformer au système de gestion de la sécurité (le Prestige avait tous les certificats en règle, y compris la gestion de la sécurité). Par contre, j'imagine que le capitaine Efftrapios, qui a constaté des manquements aussi graves dans le journal de bord, remplirait en même temps le document "Non-Conformity" et informerait la compagnie (Safety Management System) et l'obligeant ainsi à agir (dans l'enquête de la Commission permanente d'enquête sur les accidents maritimes, il n'est pas fait état de l'existence dudit document, ni de l'annotation dans le journal de bord).
  3. Dans les conclusions et recommandations du rapport sur l'accident de la Commission d'enquête sur les accidents maritimes il n'est nullement fait référence aux agissements de la Direction générale de la marine marchande dès le début du sinistre jusqu'au naufrage du navire. Le Prestige était sous les ordres de la DGMM jusqu'à son naufrage et les rapports de ladite Commission devraient servir à éviter que des accidents comme le Prestige ne se reproduisent.
  4. Quiconque aurait signé cet article se serait également retrouvé en prison.
Cdt Patxi J.Odiaga Gorostizu

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