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Echouement du MSC Monica dans l'estuaire du Saint-Laurent

Résumé par le Cdt Côte du rapport d'enquête maritime M16C0005 du Bureau de la sécurité des transports du Canada


Le Bureau de la sécurité des transports du Canada à édité un rapport d'enquête maritime concernant l'échouement d'un navire porte-conteneurs, survenu le 22 janvier 2016 dans l'estuaire du Saint-Laurent. Cet événement sans conséquences graves est emblématique de la minuscule cause aux grands effets lorsque cela survient en milieu propice.

Le navire
Il s'agit du MSC Monica, 37 398 UMS et 3 424 EVP, immatriculé au Panama, construit en 1993 par Samsung en Corée. D'une longueur de 242,81 m et d'un tirant d'eau été de 12,10 m, il était presque lège lors de l'échouement avec des tirants d'eau avant de 5,80 m et arrière de 8,30 m. Sa cargaison consistait en 709 conteneurs pour 9 199 tonnes. Le navire semblait en bon état.

L'échouement
Le navire a quitté Montréal le 22 janvier 2016 en route pour Saint-John, donc à la descente du Saint-Laurent avec la marée descendante. Il a changé de pilote à Trois-Rivières vers 06h15, et l'échange d'informations a eu lieu régulièrement, fiche de pilotage et plan de voyage comparés et discutés.
La descente s'est poursuivie à environ 13,5 nds, puis la visibilité et le trafic s'améliorant, à 07h24 la vitesse a été augmentée. A 07h35 le commandant à quitté la passerelle dont l'équipe était alors constituée de l'officier de quart, du matelot timonier et des deux pilotes. La vitesse a de nouveau été augmentée à 07h35. A 07h45 le pilote en charge de la conduite (N° 2) à modifié le cap du 047 au 066 puis amorcé le virage vers le 092 en utilisant des caps intermédiaires.
A 07h56 le pilote a demandé le cap 085, exécution confirmé à 07h57 par le timonier, navire stabilisé sur son cap. A 07h58 le taux de giration s'est accru à 12°/mn et le navire a commencé à virer sur tribord. Le pilote n° 2 a alors informé le pilote n°1 de la situation. Puis le timonier a informé le pilote n°2 : «not working» qui lui a demandé «it's not responding ?» ce qui a été confirmé «it's not» la vitesse du navire était alors de 16,7 nds.
 



Commence alors une scène confuse rapportée par le VDR (système d'enregistrement).

Le pilote n°1 intime l'ordre de passer en mode asservi sept fois de suite. Comme cela a déjà été le cas, personne n'agit sur quoi que ce soit. En même temps, le pilote n°2 demande au chef de quart de prévenir la machine et le commandant de la panne de l'appareil à gouverner.
  • A 07h59, le pilote n°1 manœuvre lui-même le commutateur de mode de gouverne pour passer du mode asservi en non asservi, alors que l'officier de quart le prévenait «this is non follow up, Sir». Le pilote n°1 a ensuite manipulé la commande de barre non asservie, accentuant le taux de giration à 36°/mn et l'embardée sur tribord.
  • A 07h59, le pilote a ordonné "toute à gauche", puis a demandé de stopper la machine.
  • A 08h00, il informe le commandant qui vient d'arriver sur la passerelle qu'ils avaient complètement perdu la gouverne et que le navire allait s'échouer. Au même moment le chef mécanicien en machine observe que l'indicateur d'angle de barre était 35° à tribord et le second mécanicien constate sur l'appareil à gouverner le même angle et manipule les électro-vannes pilotes. Il confirme que l'appareil à gouverner était opérationnel.
  • A 08h00, le navire sortant du chenal, l'officier de quart a remarqué la position de la commande de barre non asservie sur tribord toute, l'a déplacée sur bâbord et a averti les pilotes de leur fausse manœuvre. L'appareil à gouverner a mis le gouvernail à 35° bâbord et le taux de giration a décru. Les pilotes ont averti les services concernés par VHF.
  • A 08h01 la vitesse était 10 nds et le pilote a demandé "arrière toute". Six secondes plus tard, le navire a commencé à revenir sur la gauche, mais bien trop tard.
  • A 08h02, le navire s'est échoué et le commandant a ordonné l'arrêt de la machine 13 secondes après l'échouement.
Le navire a été déséchoué à la marée du soir avec l'aide de trois remorqueurs et escorté jusqu'à une zone de mouillage d'attente puis mis à quai à Québec.
L'inspection des dégâts a montré sur toute la longueur du navire des déformations diverses sans voies d'eau de la carène, des traces sur le gouvernail et des lourds dommages sur l'hélice. La commission d'enquête s'est livrée à un important travail sur le navire, son équipage, les pilotes ainsi que les procédures diverses en cours sur le Saint-Laurent.
Au delà de la simple avarie de barre, elle a recherché des causes possibles sur la barrière linguistique dans l'équipe de passerelle, la barrière psychologique entre personnes de civilisations différentes, la composition et l'organisation des ressources passerelle, la conception de l'équipement de la passerelle.
Afin de confirmer les enregistrements du VDR une reproduction des événements a été effectuée sur un simulateur de navigation avec un calibrage précis du navire dans le logiciel. Après étude de différents scénarios un blocage à des angles de barre variés à été jugé invraisemblable. Un essai en mettant la machine en arrière toute dés le début des problèmes n'évitait pas de quitter le chenal ni de s'échouer, moins vite certes. Ceci à condition que la machine parte en arrière à 16 nds ce qui est loin d'être vraisemblable.
Le scénario qui colle avec l'enregistrement des données est décrit comme un gouvernail 10° à tribord au moment où le timonier indique le dysfonctionnement puis réglé à 35° td au moment du passage en mode non asservi et commandé à droite toute à tort.

L'accident a donc eu pour déclencheur principal la commande de barre située en partie centrale de la passerelle.



 

Cette commande est très couramment munie d'un sélecteur de commande de barre sur trois modes :
De droite à gauche
  • Pilote automatique (auto pilot) : le gouvernail est commandé par le système qui suit un cap affiché.
  • Asservi (FU : Follow Up) : mode le plus fréquent en manœuvre. La barre est tournée de façon à afficher l'angle de gouvernail désiré et le système agit sur l'appareil à gouverner en comparant en permanence l'ordre et la mesure de l'angle réel du gouvernail de manière à les faire coïncider.
  • Non asservi (NFU No follow up) : mode de secours, on commande directement les électrovannes hydrauliques de l'appareil de barre au moyen d'une manette ou de boutons poussoirs jusqu' à amener le gouvernail à l'angle choisi et doit relâcher la commande pour arrêter le mouvement.
Sur recommandation de l'OMI, il est demandé par le DNV GL que le poste de travail doit être aménagé conformément aux principes d'ergonomie reconnus pour garantir une exploitation sécuritaire et efficace afin que le navigateur ait accès à tous les renseignements pertinents. Entre autre, le système de gouverne d'un navire doit être doté d'une fonction de surpassement (le mode non asservi) pouvant être actionné par un périphérique d'entrée comme un clavier, une commande de barre, une manette ou des boutons poussoirs. Pour gouverner manuellement le navire en mode non asservi, le périphérique utilisateur doit se manier par une rotation horaire pour faire virer le navire à tribord et en sens antihoraire pour le faire virer à bâbord. La direction du mouvement des éléments de commande du matériel de manœuvre devrait correspondre à la direction de l'effet sur le navire qu'ont les installations ainsi commandées.
Or sur le MSC Monica, la tige de commande de secours a sa partie longue vers le haut et une plaquette bicolore rouge/verte supposée correspondre à la position du gouvernail qui est inversée dans un secteur lumineux devant attirer l'attention. Ainsi pour aller à droite on manœuvre la tige dans le sens horaire mais on affiche la couleur rouge ce qui est parfaitement contre intuitif.
A la suite du renflouement du navire, des inspections approfondies ont été menées et ont conclu à un bon fonctionnement. Seule l'ergonomie déplorable de la commande a fait l'objet d'observations et a été modifiée avant le départ du navire.


Le fabricant (Raytheon-Anschütz Marine Gmbh) recommande l'installation suivante :
Les relations pilote/barreur.
A l'usage, les pilotes donnent des ordres soit de barre («n° à gauche ou à droite»), soit de cap («venir au 0-8-5»), le plus souvent un mélange des deux en lançant une évolution sur un bord puis en laissant le timonier se débrouiller pour rallier un cap, parfois annoncé bien tard pour éviter un dépassement ou des angles de barre importants.
Tout ordre de barre est répété à réception puis à exécution («la barre n à gauche»... «la barre est n à gauche» ), («cap au 0-8-5».....«en route au 0-8-5»). Ceci pour les ordres réglementés selon STCW avec un vocabulaire et des tournures grammaticales uniques et communes à toute la communauté maritime.
Mais il existe le besoin d'autres communications, notamment sur la manière de répondre du navire (vent, courant, petits fonds, dysfonctionnement) qu'il est important pour le timonier de pouvoir exprimer. Et là, peu ou pas de vocabulaire normalisé. Pas, non plus, de procédure unique et la barrière linguistique se fait sentir. C'est pourtant une donnée importante à porter à la connaissance de l'équipe passerelle.
En l’occurrence l'équipage de langue hindi et les pilotes francophones parlaient en anglais.

Le déroulement de l'échouement est décrit de la manière suivante.
Une erreur du barreur à la prise du cap 085 a placé le gouvernail 10° à droite et a initié l'embardée.
Celle-ci signalée, cela a conduit à l'incompréhension du problème par le pilote.
Personne n'a cherché à vérifier le fonctionnement de la barre.
L'équipage n'est pas passé en mode secours, le pilote réclamant le mode asservi.
Le pilote a lui-même manipulé la commande, trompé par l'ergonomie anormale de l'installation, et a amplifié le problème.
L'officier de quart a corrigé l'erreur mais trop tard.

La commission présente comme risques déterminants :
l'ergonomie de la commande de barre
l'utilisation par le pilote de la commande de barre
une désorganisation de l'équipe passerelle.

Commentaires de l'AFCAN :
  • Lors des essais avant l'appareillage, notamment au neuvage du navire, l'anomalie de l'installation de la commande de barre "tout ou rien" aurait dû apparaître, et pouvait être éventuellement rectifiée par le bord.
  • Ni l'homme de barre ni l'officier de quart n'avaient connaissance des particularités de la commande de barre "tout ou rien", et n'auraient pas dû accepter la manipulation de cette commande par le pilote.
  • L'utilisation de l'anglais comme langue de travail fonctionne bien quand tout va bien. En période de crise grave, la langue maternelle redevient prépondérante. Il faut en avoir conscience, et savoir agir en conséquence.
Cdt J.P. Côte
Membre de l'AFCAN


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