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Manœuvres dangereuses à une bouée de chargement pétrolier offshore
Traduction libre de MARS 2012230 par le Cdt J.F. Gicquiaud, et notes du Cdt Th. Rossignol
Les faits :
Notre tanker était arrivé à son terminal pétrolier offshore de chargement mais du fait des mauvaises conditions météo du moment, (fort vent) le navire était resté à l'ancre en attendant une amélioration du temps. Deux jours plus tard, une tentative d'amarrage fut annulée en cours de manœuvre d'approche à cause d'un renforcement soudain du vent et le navire retourna à l'ancre. Au matin du 4ème jour, la météo s'était améliorée avec un vent modéré de secteur Ouest. Le navire s'approcha de la bouée de chargement type SPM (« Single Point Mooring ») afin de virer à bord la chaîne de liaison d'amarrage de la bouée et de la saisir dans le stoppeur avant. A ce moment le Mooring Master (ndt : appelé aussi Pilote/Loading Master) informa le capitaine que la bouée de chargement n'avait pas été utilisée depuis près d'un an.
L'équipement d'amarrage de la bouée SPM consistait en une chaîne de ragage (76 mm de diamètre) connectée à une aussière en polypropylène (ndt : appelée « grommet ») de 80 mm de diamètre. Cette connexion comprend une maille de rupture d'un mètre, formée d'une large maille principale de forme ovale, d'une maille articulée Baldt et d'une maille-poire. La maille de rupture est équipée d'une manille en forme de « D » à chaque extrémité, l'une passant dans l'œil du grommet et l'autre dans le premier maillon de la chaîne de ragage. Le but de cette maille de rupture est de réduire le risque que le grommet ne largue lors du hissage/dévirage de la chaîne avec un risque de « coup de fouet ».
Pendant la manœuvre d'amarrage, le capitaine était à la passerelle, assisté d'un officier de quart et d'un barreur, pendant que le second-capitaine, le bosco et deux matelots, en coordination avec le Mooring Master, étaient à la manœuvre avant. La plage de manœuvre avant du navire est équipée de 2 stoppeurs, l'un à tribord, l'autre à bâbord. Les deux nécessitent l'emploi d'une vérine (ndt : petite aussière de hissage, de 30 à 40 mm de diamètre) devant passer par un rouleau vertical avant d'aller vers le tambour de treuil.
Aucun remorqueur d'assistance n'était disponible pour aider à la manœuvre, et lors de l'approche finale, le navire commença à fortement rouler par mer et houle de travers. Pendant que la manœuvre d'amarrage était en cours, le reste de l'équipage mettait la grue en position pour monter à bord les accessoires de connexion des flexibles de chargement, accessoires se trouvant sur la vedette de lamanage. Cependant, à cause de la houle de travers, le croc de la grue commença à avoir beaucoup de balan et il n'était équipé d'aucun bout de rappel. Les équipements en suspens, qui comprenaient des lourds clamps en acier, cognaient régulièrement contre la coque. Une fois « clair » des batayoles, la charge au bout du croc continuait de se balancer et cognait lourdement contre les apparaux et appareils situés autour du manifold, devenant dangereuse pour le personnel et le navire.
Après pratiquement un jour de chargement, l'état de la mer empira et, pour des questions de sécurité, le Mooring Master avertit le navire qu'il fallait larguer et quitter la bouée SPM. En conséquence le chargement fut arrêté et les flexibles de chargement déconnectés du manifold. Afin d'éviter que les flexibles flottants n'aillent dans la cage d'hélice, le Mooring Master demanda à l'équipage de les maintenir momentanément en suspens au croc de la grue jusqu'à ce que la chaîne de ragage soit larguée et qu'il ait fait manœuvrer le navire latéralement pour être « clair » de la bouée SPM.
Le second-capitaine étant toujours occupé par les calculs au bureau cargaison, l'opération de largage d'urgence fut commencée par le bosco et deux matelots par vent de 25 nœuds. L'officier de quart était à la passerelle, assistant le capitaine. Le pompiste était au manifold, surveillait les flexibles de chargement qui étaient toujours amarrés au croc de la grue. L'autre officier de quart était au repos.
La chaîne de ragage était fortement tendue et maintenue en position par le stoppeur et son linguet. A cause de la très petite longueur du système d'amarrage, la bouée SPM se trouvait proche de l'étrave. Afin d'éviter le contact avec la bouée, le Mooring Master insista, pour qu'au lieu de donner des petits « coups » de machine en avant, la chaîne soit larguée en lui donnant du mou. Du fait de la forte tension causée par le vent, le treuil était en surcharge mais l'équipage parvint à virer quelques centimètres de manière à libérer le linguet.
Dans cette position, la maille de rupture se trouvait exactement au niveau du rouleau vertical. Dû à l'intense point de pression (pincement) à cet endroit et à la tension résultante, la maille poire céda sans avertissement. La chaîne de ragage avec la manille en « D » d'extrémité de la maille de rupture ainsi rompue tomba à la mer tout en passant par le stoppeur. Heureusement pas de blessure notable à signaler parmi le personnel sur place à l'exception d'une particule de rouille qui s'incrusta dans le visage du bosco, juste au-dessus de l'œil gauche. La passerelle en fut informée et pendant qu'un membre d'équipage s'occupait de la blessure et enlevait la particule de rouille, le navire commença à partir en arrière, s'éloignant de la bouée SPM.
Pendant ce temps, les flexibles de chargement déconnectés étaient toujours suspendus au croc de la grue et étaient provisoirement fixés par des saisines aux organeaux situés près des batayoles. Un soudain mouvement en arrière causa la rupture de ces saisines qui partirent à l'eau. Réagissant rapidement, le capitaine donna un petit « coup de machine » en avant et les flexibles de chargement purent être largués et descendus à la mer de manière sûre.
Causes fondamentales / facteurs contribuants :
- Défaillance du système – La compagnie n'avait pas de procédures détaillées pour mener des opérations sur des terminaux du type SPM, spécifiant particulièrement le contexte d'exploitation et les critères pour l'utilisation d'un remorqueur d'assistance
- Position exposée de la bouée SPM
- Cap d'approche finale peut-être inapproprié
- Absence de bouts de retenue sur le crochet de la grue
- Largage du terminal non planifié et précipité par vent fort
- Effectif insuffisant à la manœuvre avant ainsi qu'au manifold
- Manque de communication entre le Mooring Master, le capitaine et les équipes pont
- Absence de remorqueur d'assistance
- Maintenance non efficace du système d'amarrage du terminal – usure excessive de la maille poire de la maille de rupture qui n'a pas été remarquée et donc pas rectifiée par l'opérateur du terminal
- Forte tension de la chaîne de ragage au niveau du rouleau vertical
- Échec de la remise à l'eau des flexibles de chargement avant de larguer la SPM
- Non utilisation de la machine pour diminuer la tension sur la chaîne de ragage
Actions correctives/préventives :
- Les procédures compagnie ont été modifiées de manière à inclure une analyse des risques avant de commencer des opérations d'amarrage sur bouée SPM. L'analyse des risques exige que le capitaine s'assure :
- De la preuve des compétence/expérience du Mooring Master et du certificat de test et de maintenance périodique de l'ensemble d'amarrage de la SPM (grommet, chaîne de liaison, maille de rupture).
- Si le Mooring Master ne peut fournir les documents ci-dessus nommés, le capitaine doit faire une estimation de l'état réel du système d'amarrage avant de commencer les opérations d'amarrage. Le DPA de la compagnie doit en être informé.
- Le personnel de manœuvre à l'avant du navire doit être correctement informé avant les opérations, et familiarisé avec ses dangers ainsi que des limites de la zone dangereuse.
- Un officier expérimenté et responsable sera en charge de la manœuvre avant, pendant l'amarrage/largage de la chaîne de liaison.
- Le capitaine du navire ne devra pas être entièrement dépendant de la compétence du Mooring Master et prendra activement part à la direction de la manœuvre afin d'assurer la sécurité du personnel, du navire et de ses équipements.
- Une circulaire compagnie décrivant l'incident et les leçons à retenir a été envoyée à toute la flotte.
- Un rapport sur l'incident à été envoyé à INTERTANKO avec les recommandations que l'opérateur du terminal s'assurera de l'intégrité fonctionnelle et des conditions d'opérations de la bouée SPM.
- L'incident a été diffusé dans le milieu professionnel afin d'éviter une récurrence.
- Tous les capitaines de la compagnie ont reçu comme instruction de surveiller de près l'état de chaque SPM ainsi que l'équipement d'amarrage associé et d'envoyer des rapports au siège sur l'état réel de l'équipement des SPM des terminaux offshore.
Note de l'éditeur :
L'appendix E4 de la publication des Recommandations de l'OCIMF à propos de l'équipement utilisé à l'amarrage par l'avant aux SPM des pétroliers conventionnels (4e édition, 2007) recommande que les navires délivrés avant 2009 doivent être équipés de manière à virer à bord de manière sûre les aussières, tout en prenant en compte la sécurité et la protection contre les risques de blessure au personnel présent à l'amarrage, risques dus aux « coups de fouet ». De plus, sur les navires délivrés après 2009, il est recommandé qu'il n'y ait pas plus de deux bonhommes(rouleaux verticaux), si les navires en sont équipés, et devront être correctement positionnés de manière à permettre d'aller en ligne directe du centre du chaumard avant au centre du stoppeur de chaîne. L'angle de changement de direction de la vérine de hissage devra être minimal. Sur ce pétrolier, il est apparu que l'angle susdit était trop excessif.
Enfin, les dirigeants doivent s'assurer que le dernier avis de la météo marine locale, carte isobarique et prévisions, soient disponibles à bord des navires, spécialement dans les régions où les conditions météo sont sujettes à de rapides changements ou si les services de couverture électronique météo ne sont pas les meilleurs. Dans cet incident, de telles données auraient aidé la chaîne de commandement du navire à une meilleure prise de décision et auraient potentiellement évité les manœuvres dangereuses d'amarrage et de largage.
Notes de l'AFCAN :
La bouée n'est en théorie qu'un point à approcher. Cependant :
- on manque de repère pour savoir de combien il est encore possible d'avancer. Le rôle des personnes qui annoncent les distances à l'avant est primordial.
- le navire habituellement lège est donc sensible au vent, et sa stabilité est forte. Les effets de roulis sont donc marqués, d'où l'importance du "Mooring Master" et de la qualité de ses liaisons avec la passerelle, du petit navire de servitude (en charge des flexibles), et de la familiarisation des uns et des autres aux équipements.
- les flexibles, eux, obéissent au courant et peuvent prendre une position compliquant l'approche. Ils doivent être écartés.
- l'environnement de chaque bouée a ses caractéristiques : mer maxi, houle maxi, traction maxi, taille du navire et conditions de mer (2.5 m en général).
L'absence de remorqueur à l'arrière est une faute grave car :
- il n'y a pas de solutions de freinage / arrêt autre que le moteur du navire pour l'approche. Ce moteur peut faillir.
- il n'y a pas de garantie que le navire ne touche pas la bouée durant les opérations de chargement en cas de changement de direction du vent, du courant. Le navire peut obéir au courant, au vent à la houle et donc pivoter, mais aussi avancer.
- après l'amarrage, en tirant à 10%-15%, le remorqueur peut permettre de changer l'angle par rapport à la houle donc rendre le hissage des flexibles un peu moins sportif.
Dans le questionnaire navire / terminal avant acceptation/ accostage de l'enleveur, les caractéristiques d'amarrage de l'un et l'autre sont évoquées. Il ne devrait donc pas y avoir de surprises sur le dispositif.
La relation de l'accident montre que tout a été fait en même temps, ce qui n'est pas très sécurisant et surtout logique.
Le Mooring Master a fait de nombreuses erreurs dans ses choix et décisions.
L'absence du petit navire de servitude s'est faite sentir, et a conduit à commettre des erreurs ( garder les flexibles en pendant) , et donc à prendre le risque de se faire embarquer et de rester amarré par les flexibles et la grue.....
Préférer détensionner en virant sur quelque chose déjà sous tension (25 nds de vent) plutôt que donner le petit coup de machine en avant avec 25 nds de vent de face, c'est un mauvais choix qui a conduit une maille à être en tension sur un dispositif
non adapté à sa forme et donc à éclater.
Enfin, l'erreur de l'équipage est l'utilisation sur le treuil du touret de force et non de celui de stockage. Sur les photos, le câble d'acier d'amarrage sur un quai est tourné sur le touret de stockage (proche de la chaîne). Dans le haut entre les deux "tourets" on voit la fente qui permet de passer d'un touret à l'autre, pour l'amarrage sur un quai. Il faut ensuite mettre quelques tours sur le touret dit de force. Dans le cas présent, et c'est demandé ainsi par un certain nombre de terminaux, il faut enlever le fil d'acier avant l'arrivée, puis commencer à tourner le premier hale à bord (celui du navire) sur le touret dit de force. Lorsque le hale à bord de l'aussière terminale arrive, on passe sur le touret de stockage. Cette méthode permet de réduire l'angle et l'effort au bonhomme, et cela permet de démailler les deux hales à bord après la
manœuvre, de manière à être prêt à tout donner au largage sans avoir à travailler sur une manille qui peut être sous tension.
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tension élevée sur le rouleau vertical
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Illustration du système d'amarrage avant de commencer à virer le grommet – noter l'illustration du système après que le grommet ait été viré à bord avec la forte tension de la maille de rupture au niveau du rouleau vertical. La maille poire a cédé à ce niveau.
Après la manœuvre de ré-amarrage, la section d'amarrage « maille de rupture » a été temporairement démontée, inspectée, et trouvée usée au-delà des limites de sécurité.
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