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Echouement du chimiquier Bro Anna à Beauharnois, Canada,
suite à une panne électrique

Résumé par le Cdt Pizon du rapport d'enquête maritime M17C0205 du Bureau de la sécurité des transports du Canada

Description du navire

Le Bro Anna est un chimiquier à double coque immatriculé à Singapour (IMO 9344435). La superstructure et la salle des machines se trouvent à l'arrière. Le moteur principal entraîne une hélice à pales orientables. Le navire est équipé de 3 groupes électrogènes, 1 propulseur d'étrave, 1 alternateur attelé et 1 groupe de secours.
La passerelle est dotée de 2 radiotéléphones VHF, 1 cartographie électronique ECDIS, 2 radars, et 3 postes de conduite : 1 au milieu du navire, 1 à bâbord et 1 à tribord. Ces postes de conduite sont munis des commandes du moteur principal, de l'hélice à pales orientables, du propulseur d'étrave et de l'appareil à gouverner.
   

Déroulement du voyage

Le matin du 29 août 2017, l'équipage du Bro Anna terminait le chargement d'une cargaison d'essence et se préparait à quitter le Port de Montréal (Québec) en direction d'Oakville (Ontario) en empruntant la Voie maritime du Saint-Laurent. À 8 h 30, le troisième officier à bord a effectué avant l'appareillage une inspection du navire qui était alors amarré à la section 94 du Port de Montréal. Cette inspection comportait la vérification de l'équipement de navigation du navire, du fonctionnement du moteur principal, de l'appareil à gouverner et du propulseur d'étrave. A l'issue de cette vérification, le troisième officier a inscrit dans le journal de bord du navire que tout l'équipement était en bon état de marche.
À 9 h 12, le Bro Anna a quitté le quai en direction de l'écluse de Saint-Lambert. L'équipe à la passerelle était composée du capitaine, du pilote, du troisième officier et du timonier.
Vers 11 h 15, le navire est entré dans l'écluse de Saint-Lambert.
Vers 11 h 35, le navire est sorti de l'écluse en direction de Beauharnois (Québec).
À 16 h 35, le navire est entré dans l'écluse inférieure de Beauharnois (écluse 3).
À 16 h 54, le navire est sorti de l'écluse. Peu de temps après, la passerelle a signalé une alarme et une panne du propulseur d'étrave. Le deuxième mécanicien a tenté en vain de réenclencher le disjoncteur et d'acquitter l'alarme. À 17 h 14, le chef mécanicien a été appelé et a réenclenché le disjoncteur puis acquitté l'alarme. Une fois le disjoncteur réenclenché, le propulseur d'étrave a été remis en marche et le capitaine en a repris la commande sur la passerelle. À 17 h 54, le navire est entré dans l'écluse supérieure de Beauharnois (écluse 4). À 18 h 06, le navire est sorti de l'écluse et a augmenté sa vitesse pour atteindre environ 5 nœuds.
 
À 18 h 09, le capitaine a coupé l'alimentation du propulseur d'étrave et a remarqué une brève fluctuation de l'indicateur de charge du propulseur d'étrave. Il a redémarré le propulseur d'étrave afin de vérifier ce qu'il venait d'observer. Au même moment, les membres d'équipage qui se trouvaient sur le gaillard ont entendu un bruit important et ceux qui se trouvaient dans la salle des machines ont senti des vibrations.
À 18 h 10, une coupure générale a privé le navire d'électricité. Le moteur principal, le propulseur d'étrave et l'appareil à gouverner se sont arrêtés. Le navire a continué sur son erre et a amorcé un virage sur bâbord. Peu de temps après, le groupe de secours a démarré automatiquement et l'électricité a été rétablie pour les appareils essentiels à la sécurité du navire, dont l'appareil à gouverner, les feux de navigation, l'éclairage de secours, les systèmes de communication et les alarmes. À 18 h 11, le capitaine a fait mouiller l'ancre tribord afin de réduire la vitesse du navire et l'embardée sur bâbord. À 18 h 12, le gouvernail a été mis à tribord toute et l'ancre bâbord a été mouillée, mais le navire a continué de virer sur bâbord. À 18 h 13, le navire a heurté le brise-lames du côté sud du canal de Beauharnois, puis s'est échoué. La vitesse du navire au moment de l'échouement a été estimée à 4,7 nœuds.

Surveillance de l'énergie électrique

Le système de surveillance électrique contrôle la consommation d'électricité des appareils comme le propulseur d'étrave et l'appareil à gouverner. Ce système comprend des alarmes et des mécanismes d'arrêt automatique. Si la consommation d'électricité dépasse la capacité de production des groupes électrogènes en service, le système met en marche d'autres groupes ou arrête les appareils non essentiels pour éviter une coupure générale de l'alimentation électrique. Les disjoncteurs peuvent déclencher automatiquement pour arrêter les appareils lorsque le système de surveillance détecte une situation où l'appareil pourrait être endommagé par une surcharge.
La production d'énergie électrique du Bro Anna comprend un alternateur attelé sur la ligne d'arbre, 3 groupes diesel-alternateurs, 1 groupe de secours, 1 tableau de distribution principal, des tableaux de distribution auxiliaires et un tableau de distribution de secours. Les 3 groupes électrogènes et le propulseur d'étrave étaient connectés à une barre omnibus principale par l'intermédiaire de disjoncteurs. Au moment de l'événement, la production d'énergie électrique du navire était assurée par les 3 groupes électrogènes fonctionnant en parallèle à partir de la barre omnibus principale. Ce mode d'alimentation est utilisé notamment lorsque le navire est amarré à quai.

Production d'électricité

La production électrique du Bro Anna est prévue pour que l'alternateur attelé sur l'arbre fournisse de l'électricité seulement au propulseur d'étrave lorsque le navire effectue des manœuvres. Les 3 groupes électrogènes alimentent alors le tableau principal électrique. Au moment de l'événement, l'alternateur attelé n'était pas en service. Les 3 groupes électrogènes alimentaient le tableau de distribution principal et le tableau de distribution du propulseur d'étrave par l'intermédiaire d'un disjoncteur de couplage. Aucun diesel-alternateur de réserve n'était donc disponible s'il survenait une hausse de la charge électrique excédant la capacité des groupes. L'enquête a établi que les réglages de déclenchement et de temporisation du disjoncteur local du propulseur d'étrave n'étaient pas conformes aux spécifications du fabricant et qu'ils correspondaient à une charge supérieure à celle que le disjoncteur principal du propulseur d'étrave pouvait accepter. Lors de l'accident, le propulseur d'étrave avait été soumis à une surcharge et son disjoncteur local a été en mesure de l'accepter en raison des mauvais réglages de déclenchement et de temporisation. Le disjoncteur principal du propulseur d'étrave a été soumis à la surcharge et le système de surveillance d'énergie électrique a déclenché le disjoncteur principal pour les 3 diesel-alternateurs afin d'éviter cette surcharge des groupes. C'est ce qui a causé la panne générale d'alimentation électrique et provoqué l'arrêt du moteur principal, du propulseur d'étrave et de l'appareil à gouverner. Les 3 diesel-alternateurs ont continué de fonctionner, déconnectés du tableau principal. Le groupe de secours a démarré et s'est connecté au tableau de distribution de secours. L'enquête n'a pas permis de déterminer la source de la surcharge.

Inspections périodiques et réparations

L'enquête a établi que l'équipage avait procédé à des inspections périodiques du propulseur d'étrave et que ce dernier avait fait l'objet de travaux d'entretien et de réparations avant l'accident. L'enquête n'a pas permis de déterminer les raisons pour lesquelles les réglages du disjoncteur local du propulseur d'étrave n'étaient pas conformes aux spécifications du fabricant, ni à quel moment les réglages initiaux avaient été modifiés. Suivant le régime d'inspection du navire, le disjoncteur local du propulseur d'étrave n'était pas soumis à une inspection périodique obligatoire.

Renseignements supplémentaires recueillis au cours de l'enquête

L'automate programmable du système de gestion d'énergie qui contrôlait le propulseur d'étrave s'est révélé défectueux. Le propulseur d'étrave pouvait être mis en service malgré une surcharge, ce qui a imposé une forte surcharge au système de production électrique. La valeur de déclenchement du coupe-circuit du propulseur d'étrave avait été désactivée. Le capitaine, le chef mécanicien et le deuxième mécanicien avaient peu d'expérience à bord du Bro Anna, mais comptaient ensemble plus de 20 ans d'expérience sur ce type de navire. Le 4 août 2017, à 3 h 30, tandis qu'il s'approchait de l'écluse Eisenhower dans la Voie maritime du Saint-Laurent, le navire a subi une panne du propulseur d'étrave et le groupe électrogène nº 3 a cessé de fonctionner. Cet événement a été attribué au système de protection contre la surcharge thermique du propulseur d'étrave.

Messages de sécurité

L'enquête a permis de cerner les conditions dangereuses suivantes en ce qui concerne les systèmes électriques et de gestion d'énergie qui ont rendu le Bro Anna vulnérable à une panne générale de l'alimentation électrique :
  • Les réglages de déclenchement et de temporisation du disjoncteur local du propulseur d'étrave étaient plus élevés que ceux recommandés par le fabricant.
  • Les réglages des disjoncteurs principaux des 3 diesel-alternateurs étaient ceux recommandés par le fabricant pour le déclenchement et la temporisation, qui étaient inférieurs à ceux du disjoncteur local du propulseur d'étrave, si bien qu'ils étaient incapables d'accepter une charge plus élevée.
  • Le système de gestion d'énergie électrique était en mode d'alimentation à quai, de sorte que la sécurité et le rendement des systèmes électriques du navire n'étaient pas optimaux.
Mesures de sécurité prises

Tous les disjoncteurs du propulseur d'étrave et des groupes électrogènes du Bro Anna ont été réglés par un technicien selon les paramètres de déclenchement et de temporisation recommandés par le fabricant. Les gestionnaires du navire ont transmis un avis à tous les navires de leur flotte, leur donnant instruction de vérifier les réglages de déclenchement et de temporisation des propulseurs d'étrave.

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada a autorisé la publication de ce rapport 25 juillet 2018.

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