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Echouement en juillet 2018 du transporteur de gaz liquéfié Pazific
dans le détroit de Sape, Indonésie

Traduction libre et résumé par le Cdt Prébot du rapport d'enquête maritime 241/18
du Bureau fédéral allemand d'enquête sur les accidents maritimes


Le Pazifik - source : rapport du BSU
  1. LES FAITS
    Le Pazifik est un transporteur de gaz liquéfié. Mis en service en 2005, le navire est géré par un armateur allemand, sous pavillon allemand au moment des faits.

    Chargé de 18 000 tonnes d'ammoniaque, il appareille du port indonésien de Luwuk le 7 juillet 2018 par bonnes conditions météo à destination du port australien de Kwinana. Il suit la route prévue au passage-plan, le faisant transiter de la mer de Flores vers le détroit de Sumba en passant par le détroit de Sape entre les îles de Banta et Komodo.

    Le 9 juillet 2018 vers 10h18, heure locale, le commandant, qui normalement ne participe pas au quart, remplace l'officier de quart qui devait participer à une instruction. A 10h24, à l'entrée du détroit de Sape, la présence de nombreux pêcheurs entraîne le passage en barre manuelle et, aux environs de 10h42, oblige le navire à suivre une route parallèle à la route tracée à environ 0,25 mille dans le SE. A 11h00, l'officier normalement de quart est de retour à la passerelle, mais le commandant garde le quart.

    Aux environs de 11h11 le navire s'échoue à la vitesse de 18 nœuds à la position : 08°29,2 S ; 119°20,3 E.

    L'accident n'entraîne ni blessé ni pollution. Après transfert de cargaison et de ballasts, le navire se renfloue seul le 14 juillet 2018. Il regagne par ses propres moyens un chantier à Singapour, dans lequel 50 m de tôles de fond seront remplacées.


Carte de la zone - source : rapport du BSU


  1. RAPPORT du BSU («Bundesstelle für Seeunfalluntersuchung»)
    L'enquête ne relève aucune anomalie concernant les qualifications de l'équipage ou le respect des heures de repos.

    1. LA ZONE DE L'ECHOUEMENT
Le détroit de Sape est situé dans les eaux côtières indonésiennes, entre les îles principales de Banta et Komodo. Les fonds et les îles dans cette région sont d'origine volcanique. Plusieurs petites îles se trouvent entre les deux îles principales.

Brisants - source : rapport du BSU

Rochers à fleur d'eau - source : rapport du BSU
  1. L'ANALYSE

    1. Le «passage-plan»
Le navire est équipé d'un ECDIS Transas comme moyen principal de navigation. C'est l'UKHO qui fournit les ENCs via une licence et le logiciel ChartCo. Les cartes pour le voyage ont été installées le 5 juillet 2018. Les dernières mises à jour ont été faites le 8 juillet 2018. Le passage-plan a été approuvé par le commandant le 6 juillet 2018, et communiqué le même jour à tous les officiers.

Voyage Plan - source : rapport du BSU
  1. Le choix de la route
Le logiciel ChartCo proposait un passage par le détroit de Sape. Cette route a été préférée à celle passant par le détroit de Lombok plus à l'Ouest, que le commandant connaissait mais qui entraînait à faire 200 milles de plus.
Une modification fut apportée pour passer entre les îles de Banta et Nisabedi, passage qui présentait une largeur de 2,5 milles, au lieu de 1,5 mille entre les îles de Nisabedi et Lubuthare comme proposé par le logiciel.


Passage Plan - source : rapport du BSU
  1. Les cartes papier
Les cartes papier indonésiennes (ID 268 et ID 295) et britanniques (BA 2903 et BA 2910) ont été étudiées par le BSU. Des différences significatives ont été relevées concernant les symboles affichés à l'endroit de l'accident :

- Les cartes britanniques BA 2903 et BA 2910 (Echelle 1 : 500,000) affichent le symbole d'une roche à fleur d'eau, c'est-à-dire une roche submergée temporairement :

Carte BA 2910, échelle 1 : 500,000 - source : rapport du BSU


- La carte indonésienne ID 295 (échelle 1 : 200,000) affiche le symbole d'une roche, mais il n'apparaît pas clairement si elle est submergée en permanence ou non :

Carte ID 295, échelle 1 : 200,000 - source : rapport du BSU

- La carte indonésienne ID 268-2 (échelle1 : 50,000) affiche un haut-fond de 9 m :

Carte ID 268-2, échelle 1 : 50,000 - source : rapport du BSU
  1. La carte ENC
L'écran de l'ECDIS affichait le symbole suivant pour indiquer un danger isolé dans le SE du lieu de l'échouement et le NW de l'île de Nisabedi :
En interrogeant la carte ENC ID 300295 avec le curseur-pointeur de l'ECDIS, on obtient les détails supplémentaires suivants :
« Rocher sous-marin (toujours sous l'eau / submergé) 1 MAR 2017 »


Ecran ECDIS - source : rapport du BSU

Il n'y a pas d'autre indication sur la profondeur et pas de ligne de sonde autour de la position du danger isolé. La profondeur moyenne indiquée autour du danger est d'environ 100 m.

Le BSU en a conclu qu'il était impossible pour l'équipage d'avoir une information précise sur le danger à partir de la documentation du bord. Le fait que le danger soit signalé comme toujours immergé par des fonds d'une centaine de mètres l'a conduit à estimer que passer au-dessus ne présentait pas de risque.

La route tracée passait à environ 0,8 mille des hauts-fonds les plus proches de l'île Banta et 0,7 mille du danger isolé.

Le «CATZOC» (précision de la carte) pour cette zone est caractérisé par la lettre C, indiquant une précision de plus ou moins 500 m, soit 0,27 mille. Cela impliquait donc dans le cas le plus défavorable un CPA de 0,8 – 0,27 = 0,53 mille avec l'île de Banta et 0,7 – 0,27 = 0,43 mille avec le danger isolé.

  1. Suivi de la route sur l'ECDIS
La route suivie retrouvée dans l'ECDIS est conforme aux déclarations de l'équipage.


Ecran ECDIS - source : rapport BSU

Zoom de l'écran ECDIS Source : rapport du BSU
  1. Le couloir de sécurité (XTD)
Le couloir de sécurité est pris en compte lors de la vérification automatique de la route sur l'ECDIS. Le couloir est visualisé par une ligne rouge sur la partie gauche et une ligne verte sur la partie droite de la route tracée.

Il était réglé à 1 mille pour l'ensemble du voyage, mais réduit à 0,1 mille sur le segment de route où s'est produit l'accident. Cela a été considéré comme approprié par le BSU car supérieur aux recommandations du manuel du bord qui stipulaient que, le navire se trouvant en « eaux confinées », il devait appliquer un couloir de sécurité d'une largeur au moins égale à deux fois la largeur du navire, soit 64,4 m.
  1. Instructions nautiques
Dans la version électronique des instructions nautiques de l'UKHO, on lit pour le détroit de Sape (§ 6.9) : «Le passage à l'Est de Pulau Banta est navigable, mais rarement utilisé, excepté par les ferries ou autres navires locaux, car les courants de marée sont forts et les zones de mouillage sont rares (…).»

De plus, on trouve la mention suivante pour l'île de Nisabedi :

«A 1 mille dans le NNW de l'île un petit rocher découvrant est dangereux : les brisants à cet endroit sont indécelables par marée haute et conditions de mer habituelles dans la région»

Ceci correspond exactement à la situation existante à l'endroit de l'échouement.
  1. CONCLUSIONS

    1. CONCLUSIONS DU BSU

      1. Les causes de l'échouement
Pour le BSU, cet accident est dû principalement à l'ECDIS, moyen principal de navigation et à ce titre remplaçant d'autres sources importantes d'information, telles que les instructions nautiques, sans moyens efficaces pour les remplacer.

De plus, il souligne les différences entre les cartes existantes.

Sur la carte ENC N° ID 300295, carte à la meilleure échelle disponible (1 : 180,000), un haut-fond est indiqué à environ 2 encablures (0,2 mille) au Sud Est du lieu de l'accident et porte la mention «rocher toujours submergé». L'attribut CATZOC (C) de la carte indique une précision horizontale de 500 m et une précision verticale pour une sonde de 30 m de 3,5 m dans 95% des cas.

La carte papier indonésienne N° 268 (WGS 84, 2012) à l'échelle 1 : 50,000, basée sur des relevés hollandais effectués en 1904, affiche quant à elle un haut-fond d'une profondeur de 9 m, sans autre indication.

Sur la carte papier indonésienne N° 295 (WGS 84, 2016) à l'échelle de 1 : 200,000 le haut-fond est marqué sans profondeur spécifique et à environ 0,2 mille vers le SE par rapport à la carte N° 268, c'est-à-dire comme sur l'ENC, visiblement de façon erronée, sinon le PAZIFIK ne se serait pas échoué.

Enfin, sur la carte papier britannique N° 2910 (WGS 84, 2012) à l'échelle de 1 : 500,000 le haut fond est correctement placé sans profondeur spécifique. Cette carte se réfère aux cartes indonésiennes de 1981 à 2011 et est basée sur des relevés effectués entre 1901 et 2011.

Il y a donc clairement une différence entre la carte ENC et les cartes papier. Le BSU remarque que si les officiers ont l'obligation d'utiliser tous les moyens disponibles pour s'assurer d'un voyage-plan sûr, ils n'ont pas vraiment accès à tous ces moyens.

De plus, le système de management de sécurité de la compagnie (SMS) décrit des procédures spécifiques que l'équipage est tenu de respecter. Comme le PAZIFIK est un pétrolier, il suit également les « guidelines » de l'OCIMF (Forum International des Compagnies Pétrolières), qui vont jusqu'à définir les réglages pour l' ECDIS.

Par exemple, l'attribut CATZOC dans l'ENC a des conséquences sur le clair sous quille à respecter et la largeur du couloir de sécurité à choisir. L'application des réglages préconisés peut conduire soit à limiter le chargement pour respecter le clair sous quille, soit à réduire la trace du navire au minimum en ajustant le XTD, et le moindre écart de route déclenchera une alarme.

Ici, l'officier de quart a dû éviter des pêcheurs près de l'endroit de l'accident et il est sorti de sa route (avec un XTD réglé à 0,1 mille de chaque côté), ce qui l'a conduit sur un haut-fond non marqué sur la carte.

Pour le BSU, cet accident ne se serait probablement pas produit avec des cartes papier, car des levés plus précis étaient disponibles et la mention de la véritable nature du danger aurait incité le bord à prendre une marge de sécurité plus grande.

De plus, les instructions nautiques mentionnent que le passage à l'Est de Pulau Banta est navigable mais rarement utilisé. A l'endroit de l'accident est décrit un haut-fond découvrant dangereux indétectable à cause des remous dus à la marée.
Bien que cette information apparaisse également dans la version électronique des instructions nautiques disponible à bord, le BSU a estimé qu'il était difficîle de trouver une référence dans l'ENC quand un tel haut-fond est mal positionné, au contraire de la carte papier où une référence peut être recherchée en toute connaissance de cause.

Il rappelle qu'une ENC au format S-57 n'est qu'une image issue des cartes papier conventionnelles et ne contient pas de renseignements provenant des instructions nautiques électroniques. Sinon, une description correcte du danger aurait immédiatement attiré l'attention et probablement écarté le choix de cette route. Le BSU en déduit que l'accident est dû à l'ECDIS et aux réglages effectués.

Les routes pour le voyage d'Indonésie à l'Australie étaient fournies par ChartCo, un fournisseur de services. La route proposée était la plus courte. Une route dans l'ECDIS doit normalement être utilisée si elle est considérée comme vérifiée. En conséquence, pour le segment de route considéré, le XTD avait été diminué de 1 mille à 0,1 mille.
Avec 1 mille, il y aurait eu une alarme pendant le « check » automatique dans l'ECDIS, et avec 0,1 mille de XTD le PAZIFIK ne se serait pas échoué s'il avait respecté strictement le couloir de sécurité. Pour les enquêteurs, la plus grosse faille de l'ECDIS est le fait que l'attribut CATZOC ne soit pas inclus dans la préparation de route.

Pour eux, un ordre de précision de la carte pouvant aller jusqu'à 500 m devrait être signalé par une alarme importante de l'ECDIS, en plus des 30 alarmes et avertissements déjà existants.
  1. Les enseignements à tirer
Bien que la précision de la carte puisse être affichée à la demande sur l'écran sous forme de symboles avec 6 étoîles maximum, ces symboles sont difficîles à comprendre par l'officier de quart et n'ont pas d'incidence sur le système de vérification automatique de la route. Leur interprétation est laissée aux soins de l'utilisateur.

A l'OHI, un groupe de travail dédié (Groupe de travail sur la qualité des données – DQWG) étudie sur les options possibles pour améliorer entre autres la connaissance et la présentation de la qualité des données.

Pour aider les marins, un guide est en train d'être développé (S-67, Guide maritime pour la précision de l'information de profondeur sur les cartes électroniques de navigation), qui rappelle le sens des symboles ZOC (« Zone of confidence ») et leur utilisation en navigation. Une possibilité de retour d'information est prévue.

En outre, la pertinence de propositions pour une présentation plus intuitive des données est examinée. Pour les nouvelles données au format S-101, qui est prévu de remplacer le format S-57 en 2023, comme pour les cartes existantes, l'information sur la qualité de l'ENC a été sensiblement améliorée, en donnant notamment la possibilité d'afficher la variation de la qualité dans le temps.

Par exemple, le banc de sable Goodwin dans le Pas-de-Calais change de 2,4 m par semaine. Des zones qui avaient une profondeur de 20 m il y a 12 ans sont maintenant à sec. Le QoBD (Quality of bathymetrie data) est stocké en tant qu'élément variable dans l'objet méta-donnée. On peut imaginer un affichage comme pour le CATZOC. Une décision sur une extension par laquelle l'attribut QoBD serait inclus dans la préparation et la fonction de vérification du voyage-plan sur l'ECDIS est à l'étude.
  1. REMARQUES COMPLEMENTAIRES
Les enquêteurs mettent en cause l'ECDIS en considérant que si l'équipage avait utilisé les cartes papier il n'y aurait pas eu d'accident. Mais ils ne pointent pas le fait que les conditions n'étant pas réunies pour utiliser l'ECDIS seul, l'utilisation de la carte papier était ici obligatoire.
Et on peut rajouter qu'une utilisation mieux adaptée de l'ECDIS aurait pu également éviter l'accident, surtout associée à une bonne application des principes de base de la navigation maritime, en particulier concernant les points qui suivent.

  1. L'échelle de la carte :
La carte papier qui aurait dû être utilisée est la carte indonésienne ID 268-2 à l'échelle 1 : 50,000 (carte à la plus grande échelle disponible).
Le problème est qu'elle n'a pas son équivalent en carte numérique, comme le montre l'extrait du catalogue de l'OHI ci-dessous.
La carte ENC disponible à la plus grande échelle est la carte ID 300295 à l'échelle 1:180,000, issue de la carte papier ID 295, elle-même à l'échelle 1 : 200,000. Il n'existe pas de carte ENC équivalente à la carte papier ID 268-2. Il n'existe pas non plus de carte RNC équivalente du fait de l'absence d'une carte papier UKHO à cette échelle.

Or, «dans les régions où les ENC ou les RNC ne sont pas disponibles, les navires doivent posséder toutes les cartes papier nécessaires à la traversée prévue». (publication de l'OHI : «Cartes électroniques, et prescriptions d'emport : les faits», 2e édition, 2007, page I/16).

Extrait du catalogue des cartes ENC de l'IHO
    Une carte à l'échelle 1:180,000 n'est pas adaptée pour ce passage. On le vérifie en appliquant la règle du pouce. Cette dernière exige de passer à au moins 2,7 cm de la terre ou d'un danger, quelle que soit l'échelle de la carte utilisée. A l'échelle 1 : 180,000, cela représente 2,6 milles. Or, c'est à peu de choses près la plus grande largeur existante entre l'île de Banta et l'île de Nisabedi. Le passage dans l'Est de Banta n'était donc pas autorisé avec la seule carte ID 300295.

    Il aurait fallu tracer et suivre la route sur la carte papier ID 268-2, conjointement avec l'ECDIS (circulaire 1503 de l'OMI, ou « Guide des bonnes pratiques », A -7).
  1. Le réglage du XTD
Les officiers ont réglé le XTD à 0,1 mille pour ce passage, ce qui signifie une largeur du couloir de sécurité de 0,2 mille. C'est la largeur recommandée par la procédure compagnie, mais elle a eu 2 conséquences dommageables :
  • Lors de la vérification automatique de la route («check route»), le danger isolé n'a pas dû déclencher d'alarme puisqu'il était en dehors du couloir.
  • Le navire est sorti du couloir de sécurité pour éviter des pêcheurs. Au moment de l'accident il suivait donc une route qui n'avait pas été vérifiée et n'était donc pas sûre.
Il aurait été possible de conserver la valeur de 1 mille utilisée pour l'ensemble du voyage comme le montre la figure N°1.


Figure N°1

Une autre option aurait pu être de réduire le XTD, mais à une valeur moindre, par exemple 0,5 mille, pour tenir compte du passage en eaux resserrées tout en évitant un couloir trop étroit (voir image N°2).

Dans les deux cas il y aurait eu une alarme signalant la présence du danger isolé, ce qui n'empêchait pas d'adopter cette route. Rappelons que le but du «check route» n'est pas d'éliminer toute alarme signalant un danger sur la route, mais d'en être informé.

En tout état de cause, il n'apparaît pas cohérent de diviser brutalement la valeur de ce réglage par 10. Cette initiative semble être due à l'application sans discernement de procédures clairement inadaptées à la situation.

Dans le rapport du BSU, les réglages du «Safety Frame», ou cadre de sécurité autour du navire, ne sont pas mentionnés. Sur la figure N°2 ci-dessous on montre ce qu'aurait donné un réglage du XTD à 0,5 mille avec un «Safety Frame» d'une longueur équivalente à un préavis de 6 minutes, valeur couramment admise.


Figure N°2

On voit bien que, avec un préavis de 6 minutes, l'officier de quart avait encore la possibilité d'une manœuvre d'urgence, en cassant éventuellement son erre si la présence de pêcheurs interdisait un changement de route.
  1. La non-prise en compte du danger isolé
Même en absence d'alarme pendant le «check-route», l'équipage avait remarqué la présence d'un danger, qui apparaissait sur la carte ENC sous la forme d'une croix magenta, symbole caractéristique de l'ECDIS signalant une obstruction à une profondeur inférieure à la profondeur de sécurité.

En interrogeant la carte avec le curseur-pointeur, les officiers ont lu l'information d'une «roche toujours submergée». Les fonds à cet endroit étant autour des 100 m, ils ont considéré que cela ne présentait pas de danger pour le navire.

On peut remarquer que cette appellation ne correspond à aucun des symboles affichés sur les cartes papier de la zone, pas plus qu'à aucun des symboles réglementaires répertoriés par exemple dans l'ouvrage 1D du SHOM. D'après cet ouvrage de référence, la mention correcte aurait dû être «roche dangereuse pour la navigation, de profondeur inconnue», ce qui aurait sûrement incité à plus de prudence.


Symboles des cartes papier - Extrait de l'ouvrage 1D

Cependant, le symbole de danger isolé symbolisé par la croix magenta apparaissant à l'écran aurait dû être suffisant pour alerter les officiers de quart. On n'ose pas imaginer qu'ils en ignoraient la signification.
  1. La mauvaise interprétation sur la précision de la carte
Les 3 étoîles du CATZOC sont censées indiquer une précision des levés de plus ou moins 500 m, c'est-à-dire environ 0,2 mille ou 2 encablures. Cela correspond à peu près à l'écart de positionnement du danger constaté entre les différentes cartes.

Rappelons que cette précision de 500 m est issue du diagramme des sources de la carte papier ayant servie à la fabrication de l'ENC et signifie en réalité que les points de sondage ont été faits tous les 500 m. Sur ce type de levés anciens, on ne connaît pas véritablement la forme ou l'étendue du haut-fond, et on doit donc prendre un large tour.

En prenant une distance de sécurité de 0,5 mille, ce qui était possible ici, le navire ne se serait pas échoué malgré l'«erreur» de positionnement du danger sur l'ENC.
Et si la carte papier au 1 : 50,000 avait été utilisée comme exigé par la règlementation, et la règle du pouce appliquée, la route aurait dû être tracée à 2,7 cm du danger, ce qui équivaut à 0,7 mille, éloignant davantage encore le risque d'échouement.
  1. Conclusion générale
On peut considérer que l'équipage n'a pas utilisé l'ECDIS à bon escient. L'objectif de cet appareil est de rendre la navigation plus sûre, notamment en remplaçant les cartes papier existantes. Mais ici il n'y avait pas de carte ENC à l'échelle de la carte papier existante.

A cela s'ajoutent des réglages inappropriés, résultant de l'application de procédures internes inadaptées à la situation.

L'utilisation de l'ECDIS demande réflexion et bon sens marin. La plupart des principes qui régissent la navigation avec des cartes papier doivent continuer à être appliqués pour une navigation sûre. En particulier, la règle du pouce est toujours d'actualité. Elle permet notamment de s'assurer que l'on dispose bien des bonnes cartes dans certains passages étroits. Encore une fois, ce n'était pas le cas ici.

De plus, l'utilisation de l'ECDIS ne dispense pas de consulter les instructions nautiques, qu'elles soient sous format papier ou numérique, en attendant l'arrivée de la norme S 101 qui permettra de les intégrer à la carte.

Enfin, il est une règle d'or, rappelée dans l'ouvrage de référence du SHOM «L'hydrographie, les documents nautiques, leurs imperfections et leur bon usage» :

«Comme il est difficîle de déterminer le point haut d'un haut-fond, il est vivement recommandé de ne pas passer sans nécessité sur un haut-fond, même si sa cote cartographiée le permet à priori sans danger.»

Ne pas la respecter constitue une faute nautique qui a plusieurs fois été sanctionnée par les tribunaux en France.

Si toutes les règles de bonne pratique de la navigation avaient été respectées :
  1. le navire ne serait probablement pas passé par le détroit de Sape, ce qui n'était pas une absolue nécessité pour lui. On voit sur l'extrait ci-dessous que ce n'est pas une route très fréquentée et que le passage par le détroit de Lombock, auquel avait initialement pensé le commandant, est celui choisi par la plupart des navires. Vu la taille et le type de ce navire, c'était particulièrement recommandé.
  2. si le navire était malgré tout passé par là en respectant toutes les règles d'utilisation de l'ECDIS, l'accident ne serait sans doute pas arrivé non plus, comme nous l'avons montré ci-dessus.
On peut enfin remarquer en complément que l'application des règles internationales concernant la tenue du quart auraient dû conduire à renforcer la veille et adapter la vitesse étant donné la présence de nombreux pêcheurs. Or :
  • le navire est passé en barre manuelle, mais il n'est pas fait mention d'un veilleur pour remplacer le barreur.
  • l'échouement s'est produit à 18 nœuds, c'est-à-dire à pleine vitesse.
Le veilleur aurait peut-être repéré les brisants à l'endroit du haut-fond et une vitesse mieux adaptée permis une mesure d'évitement.


Extrait Marine Traffic
  1. GLOSSAIRE
«Safety Alarm» : alarme de sécurité pour prévenir d'un risque d'échouement.

«Safety Frame» : cadre de sécurité qui définit la limite à l'intérieur de laquelle tout danger déclenchera une alarme de sécurité pendant le suivi de la route.

Check Route : contrôle automatique de la route tracée sur la carte à l'aide d'un outil interne à l'ECDIS, utilisé au moment de la préparation du voyage.

XTD : «Cross Track Distance», appelé aussi XTE («Cross Track Error»), couloir de sécurité qui encadre la route tracée. Limite Td en vert, limite Bd en rouge. Tous les dangers situés à l'intérieur du couloir déclenchent une alarme au moment du «Check Route». Une sortie du navire en dehors du XTD pendant le suivi de la route déclenche une alarme de sécurité.

CATZOC : attribut faisant partie du méta-objet «Quality of data» (M-QUAL) qui permet pour chaque objet ou chaque zone de préciser les caractéristiques des données bathymétriques.
Cdt Marc Prébot
membre de l'AFCAN

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