Notre collègue J.M. BILLOT a effectué la traduction d'une partie d'article concernant un Rapport d'enquête sur l'échouement
d'un feeder qui a le gros intérêt de reproduire en Anglais les Conclusions de l'enquête...
Ce texte est intéressant, car on voit que:
- De nombreux feeders (sinon tous!) travaillent sur la base de 2 bordées.
- Les quarts correspondants se passent en 0MBO même si sur le papier, un veilleur additionnel est en "Stand-by" (en fait
dans sa cabine).
- Ces navires disposent de dispenses de pilotage (U.K., Allemagne,..) : dans le cas du COASTAL BAY, cela voulait dire
aussi toute la remontée de la Mersey jusqu'aux docks de Liverpool.
- Il ne reste aucune chance à l'officier de quart (Commandant, Second Capitaine) de pouvoir "piquer un roupillon" pendant
que le pilote est (seul) à la passerelle, comme ceci se passe (se passait ?) en Seine...
- Un accident comparable peut aussi se passer en rivière, où les conséquences en termes de pollution peuvent être
redoutables.
- On peut reprocher aux Commandants, même si on reconnaît leur manque de repos, de ne pas naviguer aussi sur Internet.
- On peut aussi leur reprocher de ne pas apporter de corrections aux Instructions de l'Armateur...
- Les visites du Port State Control n'osent pas aborder ces questions (quart et repos, OMBO) sur les navires à 2 bordées,
peut être aussi parce que les inspecteurs ressentent qu'ils apportent un travail supplémentaire aux Officiers de ces
navires ??
- On voit aussi que le Commandant peut être coupable de ne pas à se plaindre de ses conditions à l'Armateur..., ce qui
laisse quelques questions "suggérées".
- Qu'aurait fait l'armateur si le Commandant avait demandé un Lieutenant supplémentaire? Subsidiairement, que serait
devenu le Commandant débarqué?
- Est-ce que l'alarme de l'"Homme mort" n'a pas été déconnectée parce qu'elle induisait un facteur de fatigue supplémentaire ?
- Quel attrait été le rythme de travail des officiers, s'il avait fallu faire appel au veilleur supplémentaire de nuit ? Qui aurait
aidé à la saisie de la cargaison ? etc...
- D'après le rapport, aucune période de temps n'est citée pour les manœuvres : or même un petit navire a besoin de tout
(7!!) son équipage pour passer les écluses de Liverpool et s'accoster.
- Et enfin rappelons que les heures de repos citées dans STCW, comprennent la toilette, les repas, l'organisation du travail
de l'équipage, les manœuvres ( voir plus haut ?) et éventuellement la lecture ou l'écriture du courrier … etc.
Extrait d'un article paru dans "SCHIFFS UND HAFEN" d'octobre 2001
"ENQUETE SUR DES ACCIDENTS DE MER"
par Werner KUTH, du VDKS
NB : L'auteur de l'article y compare deux accidents récents, survenus l'un dans les eaux britanniques et l'autre dans le Sund, à
deux navires pratiquant le quart à la bordée et dispensés de pilotage, et les mesures prises par les Autorités concernées.
Nous n'en avons repris que ce qui concernait le "COASTAL BAY'".
Le Rapport d'Enquête du M.A.I.B. (Marine Accident Investigation Branch), comme tous ceux émis par cet
organisme porte en exergue les mots suivants :
"The fondamental purpose of investigating an accident under these Regulations(1) is to
determine its circumstances and the cause with the aim of improving the safety of Life at Sea
and the avoidance of accidents in the future. It is not the purpose to apportion liability, nor,
except so far as is necessary, to apportion blame."
SYNOPSIS
Le 21/07/2000 le M.A.I.B. est informé que le Feeder porte-conteneurs "COASTAL BAY" s'est échoué sur
Anglesey (Pays de Galles). L'enquête commencera 3 jours après.
Le COASTAL BAY était en route de Dublin vers Liverpool. La route prévue passait dans le DST "The
Skerries" (2).
Peu de temps avant 23h00 le 20/07, le Second Capitaine prend la relève du quart du Commandant.
Environ 30 minutes plus tard, il s'endort. Un changement de route projeté n'est pas effectué et le navire
s'échoue à 00h20 le 21/07.
L'enquête met le doigt sur trois principales causes:
- Le Second Capitaine s'est endormi par fatigue extrême ou épuisement total.
- Le Second Capitaine était seul sur la passerelle.
- L'alarme de "l'homme mort" n'était pas en service.
Ces facteurs étaient le résultat de sérieux défauts de management du CB, négligences et manquement
aux exigences de STCW 95 en ce qui concerne les instructions fixant l'organisation du quart et le
personnel de quart de nuit à la passerelle.
Ces dernières exigences sont applicables à tous les navires fréquentant les eaux territoriales britanniques.
Sont aussi concernés l'Armateur et l'Affréteur quant au respect de ces consignes.
DONNEES NAVIRE:
Nom du Navire = COASTAL BAY
Pavillon = Antigua & Barbuda
Armateur : Cie "A" (*)
Opérateur : Cie "J" (*)
Registre = Haren / Ems
Type de navire : Porte-conteneurs feeder / navire de diverses.
Volume utile: 2481 BRZ
Longueur hors-tout = 87,42 m
Tirant d'eau maximum = 5,20 m
Année de construction = 1997
Puissance motrice = 1320 KW
Vitesse en service = 12 nœuds
Equipage = 7 personnes
DONNEES METEO:
Bonne visibilité, vent orienté au sud force 1 à 2
Heure du Coucher du Soleil = 21h30
DEROULEMENT DES FAITS:
La dernière visite du "Port State Control" par la "Maritime and Coastguard Agency" avait eu lieu le
08/01/00 à Liverpool. Aucune remarque ne fut faite.
La dernière visite du "Germanischer Lloyd" datait du 27/06/00.
L'équipage était de 7 personnes, dont parmi ceux-ci le cuisinier qui était en "surnombre" de la décision
d'effectif.
Le Commandant commandait depuis 1978, et le COASTAL BAY depuis 1996. Ses durées
d'embarquement étaient de 3 à 4 mois et demi, suivis par 6 semaines de congés.
Il était en possession d'une "dispense de pilotage" pour tous les ports de Mer d'Irlande jusqu'à Greenock.
Le Second Capitaine était Officier de Quart depuis 1996 et Second Capitaine depuis 1997 sur le
COASTAL BAY, avec des périodes d'embarquement de 5 à 6 mois. Avant l'accident il avait entamé un
embarquement de 4 mois le 27/04/2000. Il ne buvait aucun alcool et se trouvait en bon état de santé.
Le Commandant se trouvait à la passerelle depuis le départ de Dublin le 20/07 à 19h24 et occupait la
fonction d'officier de quart. Le matelot de veille quitta la passerelle vers 20h08, le navire étant sous pilote
automatique, le matelot se trouvant alors en "Stand-by".
A 22h56 le Second Capitaine ayant pris la relève du quart, le commandant quitta la passerelle, après avoir
auparavant informé le Second Capitaine de la route et de la vitesse (12,5 à 13 nœuds) et du prochain
changement de route vers 23h50, modifiant la route du 091° au 048°. Après la prise de quart, le Second
Capitaine se mit à vérifier la stabilité du navire. Vers 23h20 il vérifia la position au moyen du GPS et
corrigea la route au 098° pour tenir compte d'une dérive due au courant. Le lieu du changement de route
devait être atteint à 23h45.
Le Second Capitaine s'absenta pendant environ 1 minute et demie aux toilettes puis revint dans la
timonerie.
Son souvenir suivant fut la vue de lumières sur l'avant du navire.
Une manœuvre immédiate de mise en "Arrière Toute" n'eut aucun effet, et le navire se mit au plein.
Il était 00h20 le 21/07.
Dans les premières heures du matin un remorqueur déséchoua le COASTAL BAY.
La réparation à Liverpool dura environ 4 semaines.
Le Second Capitaine ne peut plus du tout se souvenir de ce qui s'est passé entre 23h25 et le moment ou
il a vu des lumières sur l'avant à 00h20. Il ne sait pas non plus, s'il s'est endormi assis ou debout.
L'équipage est fourni par la Firme "M" à Limassol, Chypre, avec un contrat de 3 à 7 mois.
Les officiers perçoivent une solde, qui comprend les heures supplémentaires. Le COASTAL BAY avait une
Charte-partie "to operate 7 days a week throughout the year, including Bank holidays".
Typiquement le COASTAL BAY arrivait dans un port(3) entre 06h00 et 07h00 et après les opérations
commerciales appareillait de nouveau le jour même entre 19h00 et 20h00.
Le Commandant et le Second Capitaine se partageaient les heures de travail en mer et au port.
Le Second Capitaine prenait en général le quart à la mer de 23h00 à 05h00 et supervisait les opérations
commerciales de 12h00 jusqu'au départ.
Le Commandant se reposait jusqu'à 05h00 (étant en charge du pilotage) et menait des travaux de routine
et de surveillance des opérations commerciales jusqu'à 12h00. Ensuite il restait à la passerelle depuis
l'appareillage jusqu'à 23h00.
Du 13 au 20 juillet 2000, le navire se trouvait chaque jour soit à Dublin, soit à Liverpool, d'où il appareilla le
20/07.
Temps de repos :
Les occasions de repos ou plutôt de sommeil de l'équipage étaient en conséquence de l'horaire du navire
et des réalités locales.
Le Commandant et le Second Capitaine avaient généralement la possibilité de deux périodes de repos
dans les 24 heures :
- le Commandant de 12h00 à 15h00 et plus tard de 23h00 à 05h30. Du fait de diverses autres interruptions
il ne disposait fréquemment que de deux heures l'après-midi et de 5 heures la nuit.
- le Second Capitaine pouvait se reposer de 06h00 à 11h30 et de 19h00 à 23h30. Le 20 juillet il avait pu
dormir de 06h00 à 11h30 et ensuite de 20h30 à 22h40, quand le Commandant le réveilla.
Le Rapport d'enquête donne alors une citation détaillée de la Règle VIII/1 et de la Section A-VIII/1 de
STCW 95 dans lesquelles il est prescrit un temps de repos d'au moins dix heures au total dans les 24
heures, dont au moins un repos de six heures d'affilée.
Ensuite le Rapport se penche sur l'
armement de la passerelle.
Au large, on peut voir que le Commandant et le Second Capitaine effectuent de façon routinière
leur quart
de nuit seuls sur la passerelle.
Ceci se passe autrement dans les eaux où le pilotage est obligatoire (mais dont le COASTAL BAY était
dispensé). Un veilleur supplémentaire se trouve alors à la proximité de la passerelle, mais seulement
quand l'officier de quart l'appelle pour des cas de nécessité (par exemple : mauvaise visibilité, mauvais
temps ou forte intensité du trafic).
Ni l'opérateur du navire ni le Commandant n'avaient conscience que de nuit, un veilleur supplémentaire
devait se trouver sur la passerelle, et que ceci s'appliquait aussi aux navires sous pavillon d'Antigua et
Barbuda.
D'un autre côté le Manager du navire exigeait du Capitaine qu'il se comporte en conformité avec STCW 95.
Alarme de l' "Homme mort "
Une telle alarme était installée, mais rarement utilisée. Le Commandant ne l'utilisait pas du tout, et le
Second Capitaine seulement quand il se sentait fatigué.
Le système n'était pas en marche le jour de l'accident. Lors d'une réparation à Liverpool, l'alarme ne sera
pas activée. Ni le Commandant ni le Second Capitaine ne savaient que l'alarme était en panne. Il a été
reconnu que l'alarme n'a pas été testée par le "Germanischer Lloyd" au cours de son inspection.
On ne sait pas si l'alarme avait été vérifiée pendant la visite du Port State Control en janvier 2000.
On ne sait pas non plus, si l'alarme du récepteur GPS était en service, qui aurait dû avertir du
dépassement du point de changement de route (vers 23h45).
"Operating Orders"
L'opérateur du navire a édicté des directives quant à l'opération du navire.
Celles-ci ne prévoyaient rien en ce qui concerne les domaines de la prise de quart et des temps de repos
pour les gens de quart. Elles ne prévoyaient pas non plus la présence d'un homme de veille à coté de
l'Officier de Quart pendant les heures d'obscurité l'exception du cas de visibilité réduite. Pas d'instructions
non plus quant aux essais et à la mise en route de l'alarme de"l'homme mort".
Le commandant a omis soit d'établir des consignes soit de compléter les consignes de l'opérateur.
Ceci sera reproché aussi au moment de l'accident du "CITA" en 1997, également navire sous pavillon
d'Antigua et Barbuda. Depuis lors, il existe des instructions, qui sont diffusées aussi sur Internet, qui
régissent le comportement des navires dans les eaux territoriales britanniques.
EXPLOITATION DES DONNEES
"Coastal Bay" était employé sur un horaire serré.
Le travail 7 jours sur 7, la navigation de nuit et les opérations commerciales de jour avec divers autres
travaux à accomplir pour le Commandant et le Second Capitaine devaient avoir pour résultat un état de
fatigue ou d'épuisement.
Dans le cas favorable, six heures de travail suivies de six heures de repos peuvent assurer deux périodes
de repos de six heures chacune dans une journée de 24 heures.
En réalité il en est tout autrement.
Les changements dans l'horaire, les besoins essentiels des repas, les contacts avec l'équipage et autres
ne sont pas pris en compte.
En outre le sommeil n'est pas garanti, pour un Officier même s'il est en situation de pouvoir observer les
temps prescrits de repos mis à sa disposition. Le 20 juillet, le Second Capitaine a dormi 5 heures et 30
minutes le matin et 2 heures 10 minutes le soir.
Ceci est bien inférieur aux temps prescrits par STCW 95.
Depuis 84 jours (avant la date de l'accident) cela donnait un retard de sommeil et ce retard devenait
important.
Ces observations concourent à ce que le Second Capitaine, dans la nuit du 20 au 21 juillet ne pouvait plus
rester éveillé.
Le fait que ni le Commandant ni le Second Capitaine ne pouvaient profiter des heures de repos prescrites,
témoignent d'une organisation défectueuse du Management à bord. Le Commandant n'avait pas informé
l'opérateur du navire des circonstances qui empêchaient l'application de STCW 95.
Au-delà aucune instruction écrite n'est donnée concernant la Prise de Quart et les Temps de Repos.
Le navire était armé avec le nombre minimum d'officiers, celui qui était nécessaire selon la "décision
d'effectif". Du fait de la succession de ports correspondant à la Charte-partie les prescriptions de STCW
95 n'étaient pas remplies avec 2 officiers de navigation. C'était à l'opérateur du navire de renforcer
l'équipage en conséquence.
En outre, la conduite du navire sans veilleur supplémentaire de nuit transgressait à STCW 95.
S'il s'était trouvé une seconde personne sur la passerelle dans la nuit du 20 au 21 juillet, celle ci aurait pu
empêcher l'endormissement du Second Capitaine.
Selon les déclarations de l'Armateur, de l'opérateur du navire et du Commandant, ils n'avaient reçu aucune
copie de la circulaire émise par "Antigua et Barbuda", concernant le veilleur supplémentaire de nuit ni que
des instructions étaient disponibles sur Internet.
Le rapport déplore que ni le Manager du navire ni le Commandant n'aient émis des consignes quant à
l'utilisation de l'alarme de l'homme mort.
Il critique aussi que l'alarme, bien que probablement déjà en panne, n'ait pas été enclenchée pendant la
nuit de l'accident.
(1) du Royaume Uni dans ce cas.
(2) DST = dispositif de séparation du trafic.
(3) Dublin ou Liverpool.
(*) Les noms ne sont pas cités par l'auteur de l'article.