Sous l'acronyme de COLREG pour Collision Regulations, en anglais - ou de RIPAM - pour
Règlement International pour Prévenir les Abordages en Mer, en français - on connaît les règles de barre
et de route édictées par l'OMI à l'intention des navires. Pour ceux qui ont eu l'occasion d'étudier les
conditions de nombreux cas d'abordage récents, il est grand temps de se demander si l'acronyme CAO -
pour Collision Assistée par Ordinateur - ne devrait pas être également introduit dans le vocabulaire
maritime. Le cas récent le plus spectaculaire est certainement celui de l'abordage survenu dans le Pas
de Calais le 24 août dernier à 00h55 heure d'été anglaise entre le navire à passagers
Norwegian-Dream,
battant pavillon des Bahamas, et le porte-conteneurs
Ever-Decent, immatriculé au Panama. Par miracle,
on n'eut à déplorer aucune perte de vie humaine mais les dégâts matériels furent très importants et
l'
Ever-Decent eut à combattre pendant plusieurs jours un incendie avant de pouvoir relâcher dans un port.
C'est le vendredi 12 mai dernier, soit quatre jours avant l'ouverture de la 72ème session du Comité
de la Sécurité Maritime à l'OMI, que les autorités maritimes des Bahamas ont publié les résultats de
l'enquête qu'elles ont diligentée sur les circonstances de cette collision.
(Les Bahamas vendent, y
compris à la presse spécialisée, leur rapport £23 port compris, via leur bureau londonien. Rappelons que
le Bureau de la sécurité du transport du Canada diffuse gratuitement sur Internet son rapport sur la
disparition du Flare et de la majorité de son équipage (JMM du 23/06/2000). Les premiers n'ont sans
doute pas les moyens suffisants. ndlr).
Si les dommages effectifs qui en ont résulté sont considérablement sous évalués dans ce
rapport, lequel privilégie essentiellement le fait qu'il n'y ait eu ni perte de vies humaines ni blessures
graves, sa lecture est néanmoins des plus instructives.
Big Brother is watching you !
Un aspect tout à fait intéressant du rapport des autorités maritimes des Bahamas réside dans le
fait que les routes et les évolutions des deux navires en cause, comme de ceux à proximité, ont été
enregistrées par le Channel Navigation Information Service (CNIS) de Douvres. Grâce aux traces radar
ainsi conservées une reconstitution en temps réel a été réalisée, à la demande des autorités maritimes
des Bahamas sur le simulateur de passerelle du
Warsash Maritime Centre à Southampton. Les qualités
évolutives des navires sur zone restent évidemment inconnues et pour simuler celles du
Norwegian-
Dream, ce sont celles d'un autre navire à passagers, le
Fantasy, qui ont été utilisées car leur
modélisation mathématique était en mémoire dans l'ordinateur. Pour ce qui est de la représentation
visuelle de l'
Ever-Decent, on a pris celle d'un porte-conteneurs de 65.000 tonnes également en mémoire.
Il a ainsi été possible, non seulement de reconstituer sur les écrans radar du simulateur
l'évolution des échos des différents navires avec leurs vecteurs relatifs et vrais, mais également de
reproduire sur les sabords de la passerelle du simulateur ce que pouvaient voir, ou ne pas voir, l'officier et
le veilleur de quart à bord du
Norwegian-Dream.
Le rapport des Bahamas ne fait d'ailleurs aucune mention des indications éventuellement
données, par le veilleur à l'officier de quart concernant les navires qu'il observait à vue.
Quoi qu'il en soit, la reconstitution simulée des 43 minutes ayant précédé l'abordage permet
d'apprécier la complexité de la situation à l'approche de la bouée F3 du dispositif de séparation de trafic
du Pas-de-Calais, dans le nord du banc du Sandettié. Elle reproduit le changement de route, du 220° vrai
au 212° vrai, opéré par l'officier de quart du
Norwegian-Dream 29 minutes avant l'abordage, pour se
rapprocher du milieu du couloir de circulation descendant. Le rapport des Bahamas relève que, ce
faisant, le
Norwegian-Dream adoptait une route de collision avec un navire coupant le dispositif de
séparation du trafic et venant du sud-est, et diminuait de 0,8' (mille) à 0,3' la distance de passage sur
l'avant entre son navire et un navire n°2 se trouvant alors sur son tribord avant à environ 8'.
Très curieusement, le rapport des Bahamas ne mentionne pas que ce changement de route de
8° du
Norwegian-Dream met ce dernier également en route de collision avec un autre navire n°3 situé
aussi sur son tribord avant, à environ 9'. Ce navire qui file 20 nœuds n'est autre que l'
Ever-Decent qui est
en train de dépasser le navire n°2. Autrement dit, en changeant de route pour se rapprocher de la partie
médiane de son couloir de circulation, le
Norwegian-Dream se met dans une situation telle qu'un navire
lui passera à 3 encablures de son étrave et se met en route de collision avec un navire sur son bâbord et
un autre sur son tribord.
Le compte rendu du
Warsash Maritime Centre aux autorités des Bahamas concernant ses
travaux de simulation relatifs à cet abordage fait également valoir qu'en introduisant manuellement la
vitesse fond estimée du
Norvegian-Dream, soit 14,5 nœuds, au lieu de sa vitesse surface de 17 nœuds,
tous les vecteurs vrais des autres navires affichés sur l'écran du radar sont entachés d'erreur.
Enfin, à partir des traces radar conservées par le CNIS de Douvres, on sait que l'
Ever-Decent
coupait ce dispositif sous un angle de 67° et non pas perpendiculairement à la direction générale du
trafic, comme le veut la règle 10, paragraphe c, du RIPAM, ce que ne manquent pas de relever les
autorités maritimes des Bahamas.
Le squeeze de l'officier de quart
Au bridge (le jeu de carte, pas la passerelle des anglophones), se faire "squeezer" signifie être
mis dans une situation telle que l'on doit se défausser des cartes que l'on souhaitait pouvoir conserver en
"garde". C'est ce qui s'est passé aussi bien pour l'officier de quart du
Norwegian-Dream que pour celui de
l'
Ever-Decent. Notons à propos de ce dernier que, selon certaines informations qui n'ont pu être
authentifiées à ce jour, il y aurait eu un pilote hauturier à bord.
Toujours est-il que, après le changement de route du
Norwegian-Dream venant du 220° vrai au
212° vrai, on a vu que ces deux navires se trouvaient en route de collision. Le
Norwegian-Dream voyant
l'
Ever-Decent sur son tribord avant devait manœuvrer : c'est la règle 15 du RIPAM qui stipule que "
le
navire qui voit l'autre navire sur tribord doit s'écarter de la route de celui-ci" en ajoutant qu'il doit
également "
éviter de croiser sa route sur l'avant". Difficile en l'occurrence pour le
Norvegian-Dream de
respecter cette règle puisqu'il faudrait alors qu'il vienne sur tribord pour passer sur l'arrière de l'
Ever-
Decent et que le
Norwegian-Dream a justement sur son tribord un navire qu'il est en train de dépasser.
L'
Ever-Decent étant le navire privilégié (prioritaire dans le langage des terriens; ndlr), devait maintenir son
cap et sa vitesse (règle 17, paragraphe a) i, du RIPAM). Toutefois, selon cette même règle 17 il doit
manœuvrer s'il apparaît évident que l'autre navire ne le fera pas ou que la seule manœuvre de ce dernier
sera insuffisante pour éviter l'abordage. Enfin, la règle 17 précise que le navire privilégié qui manœuvre
pour éviter un abordage ne doit pas "
abattre sur bâbord lorsque l'autre navire est bâbord à lui".
C'est justement le cas de l'
Ever-Decent qui, pas plus que le
Norwegian-Dream, ne peut pas
envisager d'abattre vers tribord puisque c'est là que se trouve le navire n°2 qu'il est en train, lui aussi, de
dépasser. Ainsi le paquebot et le porte-conteneurs sont-ils limités dans leur capacité de manœuvrer
conformément aux règles parce que, plus rapides que la moyenne des autres navires, ils sont l'un et
l'autre en cours de dépassement et que "
tout navire qui en rattrape un autre doit s'écarter de la route de
ce dernier" (règle 13, § a, du RIPAM).
De toute évidence aucun des deux navires a envisagé d'appliquer la règle 8, § c, du RIPAM qui
dispose que "
si cela est nécessaire pour éviter un abordage ou pour laisser plus de temps pour
apprécier la situation, un navire doit réduire sa vitesse ou casser son erre"...
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Commentaires concernant les représentations graphiques
des images radar
Il s'agit des images radar telles qu'elles pouvaient être vues à la passerelle du
Norvegian-Dream
à trois instants donnés,
H-30, H-29, H-13 avant l'heure H de la collision sur l'écran du radar réglé en
mouvement et vecteurs relatifs. Le centre de l'écran représente le navire porteur du radar c'est à dire le
Norvegian-Dream. Les traits pointillés figurent les limites du couloir de circulation descendant du
dispositif de séparation de trafic du Pas de Calais.
En configuration mouvement et vecteurs relatifs, tout écho d'un navire dont le prolongement
passe par le centre de l'écran indique qu'il y a route de collision avec ce navire.
Sur chacun des graphiques les cercles concentriques sont espacés d'un mille et permettent
d'apprécier la distance entre le
Norvegian-Dream et chaque écho. Dans un souci de simplification, seuls
les 4 échos de navires ayant joué un rôle significatif dans les 30 minutes précédant l'abordage ont été
conservés.
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Figure 1 (H –30)
"Une demi-heure avant la collision, le Norwegian-Dream est en route au 220° vrai qui est la
direction générale du couloir de circulation descendant du dispositif de séparation de trafic qu'il
emprunte. Sur son bâbord, le navire 1 vient du Sud-Est, pour couper le couloir de circulation. La
prolongation de son vecteur relatif montre qu'il va passer sur l'arrière du Norwegian-Dream. Celui-ci
dépasse un navire 4 dont la prolongation du vecteur relatif montre que sa route est convergente avec
celle du Norwegian-Dream mais sans danger. Sur son tribord, le Norwegian-Dream a deux autres navires,
le 2 dont la prolongation du vecteur relatif indique qu'il passera à 0,8 mille sur l'avant et le 3, qui rattrape
le 2, dont la prolongation du vecteur relatif montre qu'il passera à 0,5 mille de l'étrave du navire à
passagers. Tout est donc clair et compte tenu des distances de passage minimum (environ 1,5 mille)
des navires 1 et 4, une réduction de la vitesse pourrait être envisagée pour augmenter la distance de
passage minimale du navire privilégié 3".
Gestion des ordures ménagères et qualité du quart
Le chapitre V de la Convention internationale sur la prévention de la pollution due aux navires,
dite Convention MARPOL 73/78, traite de la prévention de la pollution maritime par les déchets et
ordures ménagères provenant des navires. Dans ce chapitre sont indiquées les méthodes de tri sélectif
devant être appliquées à bord des navires, les endroits de stockage appropriés à prévoir et la décharge à
terre de ces déchets et ordures ménagères. Un registre "ad hoc" est prévu qui permet donc la gestion de
cet aspect de la vie à bord en gardant la trace du type et des quantités de déchets et ordures collectés à
bord et déchargés à terre. Le
Norwegian-Dream arrivant à Southampton le matin même, il importait que
le registre soit complété et signé avant l'arrivée.
Un matelot s'est donc présenté à la passerelle à 00h40. La porte d'accès à celle-ci est
normalement condamnée pour éviter toute intrusion intempestive mais, dans le cas présent, l'officier de
quart a laissé entrer le matelot puis a contrôlé et signé les différentes rubriques du registre. L'officier de
quart a estimé que toute l'opération avait duré environ 3 minutes. Trois précieuses minutes de distraction
dans une situation délicate où l'
Ever-Decent et le
Norwegian-Dream sont en route de collision et durant
lesquelles le navire n°1, également en route de collision et à 2,5' du
Norwegian-Dream va abattre sur
tribord pour passer sur son arrière. L'
Ever-Decent n'est plus alors qu'à 3,5' du paquebot qui, lui aussi,
maintient sa route et sa vitesse.
Collision Assistée par Ordinateur
A la lecture du rapport des Bahamas, on ne peut s'empêcher de lui trouver un petit côté
"wargame". Les reproductions des images radar reconstituées selon que l'on se trouve à bord du
Norwegian-Dream ou de l'
Ever-Decent foisonnent. On en oublierait presque que l'on était un 24 août par
grand beau temps avec un vent de secteur Est force 3, une visibilité de l'ordre de 10' et qu'à la passerelle
du paquebot il y avait deux paires d'yeux.
Car c'est finalement l'
Ever-Decent qui va appeler par VHF le
Norwegian-Dream et attirer son
attention par des flashes lumineux. Il n'est plus alors qu'à 1',8 du navire à passagers et l'on est à moins
de 5 minutes de l'heure de la collision. L'
Ever-Decent demande au
Norwegian-Dream, de venir à tribord
pour lui passer sur l'arrière, L'officier de quart du navire à passagers acquiesce et revient au 220°.
Comme il a déclaré aux enquêteurs qu'il estimait que le porte-conteneurs passerait à 0',6 sur son avant
et qu'en revenant de 8° sur tribord il allait rendre plus importante cette distance de passage, cela montre
que l'officier de quart a confondu entre les deux écrans radars alors en service celui qui était en
présentation vecteurs vrais avec celui qui était en présentation vecteurs relatifs.
Figure 2 (H –29)
Une minute plus tard, l'officier de quart du Norwegian-Dream décide de venir de 8° sur tribord
pour adopter une route vraie au 212° et se rapprocher ainsi du milieu du couloir de circulation
descendant du dispositif de séparation de trafic. Il apparaît clairement sur la représentation graphique
que, ce faisant, il diminue non seulement à 0,3 mille la distance de passage minimum avec le navire 2
mais, surtout, il adopte une route de collision avec les navires 1 (non privilégié) et 3 (privilégié).
En effet, selon la reconstitution qui a été faite, l'observation du vecteur vrai sur l'écran radar du
Norwegian-Dream, juste après l'heure de la communication VHF, montre que ce vecteur est à 0,7' sur
l'avant tandis que le vecteur relatif sur l'écran de l'autre radar en route à la passerelle du navire à
passagers confirme la route de collision avec l'
Ever-Decent qui n'est plus qu'à 1,2' du
Norwegian-Dream.
Bien que l'expression fasse un peu vieillotte, le bon sens marin ne trouve pas son compte dans
l'évaluation de l'évolution d'une telle situation uniquement par l'usage du radar.
Figure 3 (H-13)
Treize minutes avant la collision, le navire 1 (non privilégié) manoeuvre sur son tribord, à environ
2,5 milles du Norwegian-Dream, pour passer sur l'arrière de celui-ci. Le Norwegian-Dream reste en route
de collision avec le navire privilégié 3 (il s'agit de l'Ever-Decent).
Le rapport des autorités maritimes des Bahamas ne manque pas de relever, à juste raison, qu'au
cours de l'échange VHF avec l'
Ever-Decent, ce dernier n'a pas signalé que le navire n°2 qu'il venait de
dépasser était venu sur bâbord pour passer sur son arrière et que, dans ces conditions, le
Norwegian-
Dream venant à tribord allait se retrouver dans une position rapprochée avec le navire n°2. Ce navire qui,
au moment de la collision, passera à seulement 2 encablures de l'arrière du porte-conteneurs et du
navire à passagers a continué sa route sans se préoccuper du devenir des deux navires qui venaient de
s'aborder. Selon plusieurs indications concordantes il s'agirait du navire roulier
Rosa-M de la
Mediterranean Shipping Company.
(Ce beau navire a bien occupé la préfecture maritime de Cherbourg :
le 30/11/97, ses 22 hommes d'équipage étaient évacués; le porte-conteneurs se trouvant à 20 miles
environ de Cherbourg avec une gîte constante d'une quarantaine de degrés. Pour sauver le navire, il fut
échoué sur la plage de Becquet (JMM du 5/12/97,- p.2784). Il reprenait son service à la mer le 14 février
1998 après d'importants travaux. Si l'état du pavillon, Chypre, ainsi que la compagnie n'ont pas jugé
nécessaire de diffuser le fruit de leurs enquêtes et analyses ni, pour le premier, de répondre à notre
télécopie, le Bureau français d'enquêtes après accidents soulignait le 10 juillet 1998, que cet
"événement avait eu pour cause de très sérieux dysfonctionnements internes à ce navire " (... ) qui
"peuvent et doivent être corrigés par un effort particulier de l'armement (... ) : circuit de ballastage
"complexe " qui n'était pas en bon état de fonctionnement (l'ensemble des sondes pneumatiques était
HS depuis de longues années); .grave déficit de communication à l'intérieur de l'état-major du navire"; le
second capitaine n'avait pas pris de repos depuis plus de 24h.; "L'utilisation permanente dans des
fonctions de lieutenant d'un élève insuffisamment expérimenté" a paru également susceptible de
déboucher sur de "sérieux inconvénients"... etc.)
En fait le
Rosa-M, ou tout autre navire à sa place, aurait très bien pu être impliqué dans une
collision à trois tant les distances entre les navires étaient faibles et les vitesses élevées. De ce qui est
demeuré un accident grave on risquait alors de passer à une tragédie maritime de l'ampleur de celle de
l'
Estonia.
A quand la prochaine par Internet ?
Tous les espoirs sont permis et l'on n'arrête pas le progrès. On a d'ailleurs parfois l'impression
qu'on a besoin de catastrophes soigneusement analysées à posteriori pour pouvoir avancer. C'est ainsi
qu'en mars dernier Samsung Heavy Industries a présenté son nouveau système de navigation maritime
sans personnel de conduite, directement contrôlé et commandé via le réseau Internet.
Il s'agit en fait de l'utilisation conjointe et, on l'espère, harmonieuse, d'un système de navigation
intégré et d'un système de commande et de contrôle du navire qui rend théoriquement possible une
navigation sans personnel à bord; les informations venant du navire et les instructions en provenance de
la terre transitant par le réseau internet.
Samsung Heavy Industries n'a pas précisé si, en cas de naufrage, les avocats de Bill Gates
auront du travail supplémentaire.
Quoiqu'il en soit, Samsung Heavy Industries est loin d'être le premier à chercher à affranchir le
navire de la présence de marins à bord. Depuis le système COLAV (Collision Avoidance) développé par
l'université de Tokyo et testé à l'état de prototype sur simulateur dès 1987, en passant par le SAFES -
outil permettant la solution de problèmes de routes convergentes de navires en faisant appel aux
méthodes de la logique floue - dont le prototype a été mis au point en 1993 à l'université d'Osaka, on est
arrivé au SPES (Ship-board Piloting Expert System) mis au point par le Rensselaer Polytechnic Institute
aux USA et intégré dans le système "Exxbridge" distribué par Sperry Marine. Ce système expert
apporte une aide décisionnelle pour éviter les risques de collision et d'échouement, en particulier dans
les eaux resserrées. Son premier test opérationnel s'est déroulé entre les ports de New-York et Valdez
en 1995. L'histoire ne rapporte pas si ce trajet expérimental avait été choisi en souvenir de l'accident de
l'
Exxon-Valdez six ans plus tôt.
Il existe ainsi de part le monde au moins une dizaine de systèmes experts et d'aide à la
décision susceptibles de remplacer, au moins en théorie, la présence humaine à la passerelle. De
même, au moins quarante systèmes similaires seraient en mesure d'assurer la gestion de la partie
propulsion-énergie d'un navire, voire de gérer la lutte contre un incendie ou une voie d'eau. On est
toutefois encore assez éloigné d'une utilisation pratique et économique généralisée de la plupart de ces
systèmes experts.
Et maintenant !
Bien que cela n'apparaisse pas dans le rapport des autorités maritimes des Bahamas, on a
appris que selon les instructions de l'armateur
Norwegian Cruise Lines, la veille aurait dû être doublée
dans cette zone de trafic congestionnée. Le non-respect de cette consigne de l'armateur représente une
non-conformité majeure au regard du code ISM et justifierait le retrait de son certificat de gestion de la
sécurité (SMC ou Safety Management Certificate) au
Norwegian-Dream, voire la remise en cause de
l'attestation de conformité (DOC ou Document of Compliance) délivrée à
Norwegian Cruise Lines.
Au cours d'un séminaire récent traitant de la sécurité des grands navires à passagers, Douglas
Bell, directeur adjoint des affaires maritimes des Bahamas, ne s'est pas exprimé sur ce constat. Il a
notamment préféré expliquer que l'
Ever-Decent et le
Norwegian-Dream avaient l'un et l'autre commis des
fautes et que bien des facteurs, en particulier l'intensité du trafic, étaient intervenus dans la collision. Les
autorités maritimes des Bahamas estiment que l'absence d'un système d'aide à la décision a été la
raison principale de l'erreur de navigation qui a entraîné la collision. Elles pensent que, même si le
Norwegian-Dream avait à sa disposition une technologie dernier cri, aucun de ces équipements
n'apportait une aide suffisante pour gérer les informations reçues. M. Douglas Bell a indiqué que son
administration considérait que les prescriptions actuelles concernant l'équipement et la formation
n'étaient "
pas suffisantes" pour les grands navires à passagers comme le
Norwegian-Dream. Il a ajouté
qu'elle allait demander à l'OMI d'étudier la possibilité de préconiser la mise en place de systèmes de
gestion de l'information afin que l'officier de quart puisse d'avantage hiérarchiser les données qu'il reçoit
en diminuant ainsi les risques d'accident.
On peut réellement se demander s'il est absolument nécessaire pour l'OMI d'édicter de nouvelles
recommandations et/ou règles à ce sujet. Tout marin sait d'expérience qu'un écho radar n'est pas assez
sensible, notamment dans des eaux resserrées, pour servir de seule référence. De nos jours, une large
place est faite à l'entraînement sur simulateur dans les écoles maritimes et il est évident que cet
entraînement est important pour la formation des futurs navigants. Il est tout aussi évident qu'une large
pratique en mer est absolument indispensable pour consolider cet apprentissage sur simulateur. Il y a
suffisamment d'exemples d'accidents causés tant par la simple lecture de l'écran radar que par le fait
qu'on ait appuyé sur un (mauvais) bouton.
A la suite de l'abordage entre le
Norwegian-Dream et l'
Ever-Decent, les associations de pilotes
hauturiers des pays européens ont profité de cet accident pour faire savoir qu'elles étaient de plus en
plus préoccupées par l'efficacité des dispositifs de séparation du trafic dans les eaux européennes en
général et tout particulièrement par celle du dispositif de séparation du trafic dans le Pas-de-Calais. Les
associations de pilotes hauturiers des pays européens reconnaissent volontiers que ces dispositifs de
séparation du trafic ont apporté d'indéniables améliorations, mais considèrent que l'on commence
désormais à revenir à "
l'anarchie" qui prévalait avant leur mise en place.
La plupart des navires appliquent les règles internationales pour éviter les abordages en mer,
mais force est de constater qu'un nombre croissant de navigants soit ignorent les dispositions de ces
règles, soit les interprètent d'une façon telle que les navires alentour ne comprennent rien leurs intentions
ou, au pire, se retrouvent dans des situations de collision évitée de peu.
De plus en plus d'officiers de quart sont persuadés qu'une fois qu'ils ont bien engagé leur navire
dans le couloir de circulation d'un dispositif de séparation du trafic, les limites de celui-ci constituent des
barrières protectrices leur assurant une priorité absolue sur tout navire coupant le couloir de circulation
dans lequel il se trouve.
Non seulement cette interprétation des règles internationales pour éviter les abordages en mer
est totalement erronée mais, de surcroît, elle est de plus en plus répandue, que ce soit dans les eaux
européennes ou dans celles du reste du monde.
C'est ainsi que l'Association des pilotes hauturiers de la Mer du Nord mentionne dans son
rapport "
An area of concern" de multiples constats de contravention aux règles internationales pour éviter
les abordages en mer allant par exemple de bateaux de pêche ou de caboteurs pétroliers ne montrant
pas les feux ou marques réglementaires ou bien n'émettant pas les signaux sonores et lumineux
prescrits ou encore empruntant au nord du banc du Sandettié la route en eau profonde réservée aux
navires à fort tirant d'eau.
Un autre sujet de préoccupation est l'usage inconsidéré de la voie 16 en VHF (réservée aux
appels d'urgence, de sécurité ou de détresse). Cette infraction est vraisemblablement due à la paresse
et/ou au manque de formation du personnel. Dans certains cas il n'est même pas répondu aux appels
VHF et l'on n'ose croire que, dans le Pas-de-Calais et en Mer du Nord, des officiers diminuent le volume
sonore du récepteur VHF ou même l'éteignent : ce serait en flagrante contravention avec les règlements
internationaux.
L'Association des pilotes hauturiers de la Mer du Nord estime qu'une mauvaise maîtrise de la
langue anglaise peut également entrer en ligne de compte, en conjonction avec une formation
insuffisante et la méconnaissance des règles internationales pour éviter les abordages en mer.
L'Association des pilotes hauturiers de la Mer du Nord n'hésite d'ailleurs pas à mettre en garde les
experts chargés d'évaluer la qualité de l'enseignement maritime dans les différents pays membres de
l'OMI en leur disant que ces experts seraient bien avisés de prendre en compte les remarques faites par
ces hommes du métier que sont les pilotes hauturiers.
Un autre sujet de préoccupation de ceux-ci est l'usage exagéré qui est fait du positionnement
automatique par satellite (GPS). Il semble que l'automaticité du point fourni par le GPS a définitivement
fait disparaître chez les navigants le réflexe marin qui consiste à régulièrement vérifier sa position par
rapport aux bouées, phares ou autres amers. Même si, parce que cela est plus facile à gérer pour lui, le
Channel Navigation Information Service demande désormais la position du navire en latitude et longitude,
telle qu'elle est donnée au GPS, ce n'est pas une raison pour ne pas également se positionner en
relèvement et distance. Cette incapacité à se situer spatialement dans son environnement peut avoir
pour conséquence une complète désorientation lorsque l'on est amené à effectuer un important
changement de route.
On attend Panama !
En un peu moins de neuf mois, les autorités maritimes des Bahamas ont réussi à boucler leur
enquête et à publier leur rapport sur l'abordage survenu. Elles cherchent visiblement, dans leur rapport ou
dans les commentaires qu'elles en font, à minimiser la responsabilité du
Norwegian-Dream dans la
collision et à montrer que le comportement de l'
Ever-Decent n'est pas exempt de reproche. On serait
presque tenté de penser que Bahamas a coiffé Panama en lui faisant un peu porter le chapeau !
On attend maintenant que les autorités maritimes du Panama publient leur propre rapport, sans
trop oser y compter. Faut-il en effet rappeler qu'au début de l'année dernière le Panama n'avait jamais
transmis à l'OMI 85 rapports sur des accidents graves impliquant des navires arborant son pavillon, dont
27 pour la seule année 91-92.
Pour anecdotique que cela puisse paraître, faut-il également signaler qu'en rémunérant (tous
frais compris) à US $180 par navire les experts qu'elles commissionnent à l'étranger pour effectuer des
visites annuelles, les autorités du Panama doivent savoir que ces visites annuelles ne peuvent que se
borner à un renouvellement automatique des différents certificats.
Bref, comme souvent dans ce genre d'affaire, nous ne saurons jamais tout. Les mesures
concernant les défauts les plus aisés à corriger seront sans doute prises et il ne nous restera plus qu'à
attendre la prochaine catastrophe maritime pour que le monde politico-médiatique s'agite à nouveau,
sans que jamais ne se manifeste une volonté politique ferme et à long terme, la constance étant seule
garante de succès dans le domaine maritime.
Cdt J.D. TROYAT