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Échouement du vraquier AMAKUSA ISLAND
à PRINCE RUPERT (Colombie-Britannique)

Extraits par le Cdt Marc Prébot du rapport M14P0150 du Bureau de la sécurité des transports du Canada et observations.
 

Résumé

Le 14 juillet 2014, à 22h09, heure avancée du Pacifique, le vraquier Amakusa Island s'est échoué sur un haut-fond indiqué sur la carte alors qu'il s'approchait d'un poste de mouillage situé à environ 11 milles marins au sud-ouest de Prince Rupert (Colombie-Britannique). Le navire était sous la conduite d'un pilote à ce moment. La marée montante a permis au navire de se remettre à flot 4 heures environ après s'être échoué. Il n'y a eu ni blessure ni pollution, mais la coque du navire a été endommagée.

Fiche technique du navire

Nom du navire   Amakusa Island  

l'Amakusa Island à la suite de l'échouement
Pavillon   Japon  
Type   Vraquier  
Jauge brute   44 547  
Longueur   228,0 m  
Tirants d'eau   13,3 m sans différence  
Construction   2005, Saikai (Japon)  
Cargaison   80 021 tonnes de charbon  

Au moment de l'événement, le navire n'était pas muni d'un système électronique de visualisation des cartes marines (ECDIS)

Déroulement du voyage

Le navire a accosté au quai de chargement de charbon à l'île Ridley (Colombie-Britannique) le 13 juillet. À 19h35 le 14 juillet, un autre pilote de BCCP est monté à bord de l'Amakusa Island pendant que se terminait le chargement de charbon. Le navire devait partir à 20h00, puis se rendre à la station de pilotage au large de l'île Triple (Colombie-Britannique), où le pilote devait descendre avant que le navire poursuive sa route vers le Japon.
Après être monté à bord, le pilote a chargé sur son unité de pilotage portable (PPU) une carte de navigation matricielle de la région, sur laquelle il avait dressé le plan de traversée entre le quai et la station de pilotage. L'officier de navigation du vraquier avait également dressé un plan de traversée sur la carte papier 4936 publiée par l'UKHO.
La résolution MSC.282(86) de l'Organisation maritime internationale (OMI) stipule que les cargos, autres que les navires-citernes, d'une jauge brute de 20 000 tonnes et plus, mais inférieure à 50 000 tonnes, construits avant le 1er juillet 2013, qui effectuent des voyages internationaux devront être pourvus d'un système électronique de visualisation des cartes marines (ECDIS) au plus tard au moment de la première inspection effectuée à compter du 1er juillet 2017.

L'Amakusa Island a terminé de charger sa cargaison à 20h06. Le tirant d'eau du navire a été vérifié avant le départ; il était de 13,3 m en assiette nulle.
À 20h15, l'échange de renseignements entre le capitaine et le pilote a eu lieu; ils ont discuté notamment du plan de traversée de Prince Rupert à l'île Triple. L'équipe à la passerelle était alors composée du capitaine, du pilote, du troisième officier agissant comme officier de quart, et d'un timonier.
À 20h32, le capitaine a été informé que l'administration portuaire de Prince Rupert avait attribué le poste de mouillage 25 au navire. Le capitaine et le pilote de l'Amakusa Island ont relevé l'emplacement du poste de mouillage 25 sur la carte. Puis ils ont ensuite continué à préparer le départ du navire afin de le mettre en route et de libérer le quai pour un autre navire.
L'Amakusa Island a quitté le quai à 20h45 avec l'aide de 2 remorqueurs. À 20h57, le pilote a informé les Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Prince Rupert que le navire se rendrait à l'îlot Greentop (Colombie-Britannique), puis au poste de mouillage 25.
À 21h32, le pilote a informé les SCTM que le navire avait atteint l'îlot Greentop et qu'il les rappellerait lorsque le navire arriverait au poste de mouillage. Après que le navire a contourné l'îlot Greentop et qu'il maintenait le cap vers le poste de mouillage, le capitaine a utilisé la carte papier du navire pour établir une route en ligne droite à partir du poste de mouillage 25 jusqu'au point de changement de cap à proximité de l'îlot Greentop. Cette route passait entre 2 points de danger de navigation que l'équipe à la passerelle avait indiqués sur la carte, soit Gull Rocks et un haut-fond de 11,9 m, tous deux situés à environ 0,4 mille marin (nm) de la route. Le pilote a examiné la route que le capitaine avait tracée afin de vérifier qu'il avait relevé le poste de mouillage approprié et que la profondeur de l'eau le long de la route était suffisante. Il a été établi que la plus faible profondeur indiquée sur la carte pour la route était de 22 m.

Comme il avait chargé sur son UPP une carte de navigation matricielle avec une droite azimut-distance dynamique, le pilote a pu surveiller la vitesse par rapport au fond (SOG) et le temps d'arrivée au poste de mouillage. Une fois le navire établi sur la droite azimut-distance dynamique, le pilote a réglé l'UPP en mode asservi, de sorte qu'il affichait le navire à l'écran comme une icône stationnaire sous laquelle défilait la carte.
À 21h48, le navire se trouvait à 5,7 nm du poste de mouillage, et le pilote a ordonné de mettre la machine principale en demi-vitesse avant. La vitesse du navire était alors de 8,3 nœuds (fond). Entre-temps, le capitaine avait envoyé son second et 2 membres de l'équipage à l'avant pour s'apprêter à mouiller l'ancre.
À 21h56, le pilote a ordonné de mettre la machine principale à en avant lentement et, une minute plus tard, à en avant très lentement.
À 22h00, l'officier de quart, qui effectuait la surveillance radar et portait la position du navire sur la carte, a calculé une position en utilisant l'azimut et la distance sur la carte à partir de Gull Rocks. Le navire se trouvait à environ 0,10 mille au sud de la route tracée sur un cap vrai de 224,8°. Cinq minutes plus tard, l'officier de quart a porté la position du navire à 0,05 mille au sud de la route tracée sur la carte. À 22h06, le navire est passé par le travers de Gull Rocks à une vitesse d'environ 6 nœuds sur un cap vrai de 226,7°.
À 22h09, un tremblement s'est fait sentir à bord du navire, et la vitesse a diminué. Après avoir reçu confirmation que l'ancre n'avait pas été jetée par inadvertance, le pilote a donné l'ordre d'arrêter la machine principale et a ordonné à l'officier de quart d'établir la position du navire sur la carte pendant qu'il vérifiait la position sur son PPU. L'échosondeur du navire indiquait à ce moment une profondeur d'eau sous quille de 27 m. Peu de temps après, on a entendu, par les évents du pont, de l'eau qui pénétrait dans les ballasts de double-fond.
Le capitaine a ordonné à l'équipage de sonder tous les ballasts, et le pilote a informé les SCTM de la situation. Le remorqueur Smit Star est arrivé à 22h28 et on lui a demandé de sonder la profondeur autour du navire. Environ 10 minutes plus tard, après que le capitaine et le pilote ont examiné en détail la carte, on a pu confirmer que le navire était échoué sur un haut-fond de 10,7 m indiqué sur la carte. Le navire se trouvait à 54°07.308' N, 130°31.042' W, à environ 140 m au sud de la route tracée. Les nouveaux tirants d'eau étaient de 15,73 m à l'avant et de 12,12 m à l'arrière.
Vers 02h25, le navire a recommencé à flotter à la marée montante et s'est déplacé vers l'arrière pour s'éloigner du haut-fond. Sous la conduite du pilote de relève, le navire s'est déplacé par ses propres moyens, escorté par le remorqueur, vers le poste de mouillage 16 pour y subir d'autres vérifications. Plus tard au cours de la journée, des plongeurs ont évalué les avaries du navire et ont commencé à effectuer des réparations.

Le 8 septembre, les réparations temporaires étaient terminées sous la surveillance de la société de classification du navire, et le navire est parti le lendemain à destination du Japon.

Conditions environnementales

Au moment de l'événement, le ciel était dégagé et des vents légers soufflaient de l'ouest. Le soleil s'est couché à 22h08, et le crépuscule civil a pris fin à 22h59. La basse mer à Prince Rupert a eu lieu à 22h02, atteignant une hauteur de marée de 1,3 m. La prochaine pleine mer à Prince Rupert le 15 juillet 2014 a eu lieu à 04h06, atteignant une hauteur de marée de 6,9 m.

Carte de navigation

La carte utilisée à bord de l'Amakusa Island était la carte 4936 de l'UKHO qui est une reproduction fidèle de la carte 3957 du Service hydrographique du Canada (SHC). Le pilote utilisait une carte de navigation matricielle sur son PPU, laquelle comprenait les mêmes données que la carte 3957 du SHC.
La carte 3957 du SHC représente le haut-fond sur lequel s'est échoué l'Amakusa Island au moyen de lignes bathymétriques. Le nombre de lignes bathymétriques autour du haut-fond de 10,7 m indique que le fond marin s'élève à cet endroit. Le haut-fond est également indiqué par une mesure de sondage de 10,7 m. Le haut-fond n'est pas ombragé ni coloré, car il est à plus de 10 m de profondeur (pour les profondeurs de moins de 10 m, le SHC ajoute du bleu ou du gris).
Un haut-fond de 11,9 m juste au sud du haut-fond de 10,7 m est indiqué sur la carte et est marqué d'un « R » pour signaler un fond rocheux.
Le SHC publie également la carte 3956, une carte plus récente qui couvre la même région que la carte 3957.

Instructions nautiques

Les instructions nautiques pour la partie sud du détroit de Chatham (Colombie-Britannique) (carte 3957) indiquent qu'un haut-fond de 10,7 m se trouve à mi-chemin entre Ettrick Rock et Gull Rocks et pour le voyage en cause, c'était la première fois que le pilote pilotait un navire de Prince Rupert jusqu'au poste de mouillage 25. Avant le présent événement, le pilote n'avait jamais piloté un navire vers les postes de mouillages extérieurs du sud ni n'avait emprunté auparavant la route passant au sud de Gull Rocks. La route qui passe au sud de Gull Rocks est plus courte d'environ 1,5 nm que la route qui passe au nord.

Planification du voyage


Route de l'Amakusa Island en direction du poste de mouillage 25 comparativement aux routes suivies par trois autres navires depuis 2012.


L'équipe à la passerelle de l'Amakusa Island avait dressé un plan de voyage pour la traversée de Prince Rupert vers le Japon. Il avait été rédigé sur le formulaire fourni par la société et traitait notamment des points de jalonnement, des tirants d'eau, des distances, des points d'appel et de la vitesse sécuritaire dans la zone portuaire (c'est à dire 6 nœuds).

Lorsque le navire a reçu l'ordre inattendu de se rendre au poste de mouillage 25, le capitaine et le pilote ont relevé ce poste sur la carte et ont continué de préparer le départ. Après que le navire a contourné l'îlot Greentop et qu'il se dirigeait directement vers le poste de mouillage 25, le capitaine a tracé une route sur la carte depuis le point de changement de cap à l'îlot Greentop jusqu'au poste de mouillage 25.

L'équipe à la passerelle avait relevé Gull Rocks et Ettrick Rock comme étant des zones dangereuses. Le pilote et le capitaine avaient établi à 22 m la plus faible profondeur d'eau le long de la route entre l'îlot Greentop et le poste de mouillage 25.

Planification de la traversée par le pilote

Avant l'événement à l'étude, le pilote avait relevé diverses zones dangereuses sur la carte matricielle du PPU qu'il utilisait, dont Ettrick Rock et un haut-fond de 11,9 m situé au sud de l'endroit où le navire s'est échoué.

Unité de pilotage portable

L'APP fournit une UPP à chaque pilote de BCCP. Les PPU sont des appareils électroniques portatifs qui permettent aux pilotes d'utiliser des cartes électroniques pour faciliter le pilotage. L'APP dispense également une formation initiale de 5 jours sur l'utilisation d'un PPU et une formation d'appoint de 2,5 jours. Ni BCCP ni l'APP n'ont établi d'exigences sur la méthode d'utilisation des logiciels. Elles n'exigent pas non plus des pilotes qu'ils planifient leur traversée ni qu'ils enregistrent la route du navire sur le PPU.

Le PPU permet au pilote d'utiliser au choix une carte vectorielle ou une carte de navigation matricielle. Une carte de navigation vectorielle est une carte de navigation électronique pouvant être affichée sur un système de cartes électroniques (ECDIS). En plus de fournir la position en temps réel du navire, l'ECDIS peut être programmé pour tenir compte des caractéristiques propres au navire ainsi que des conditions météorologiques et du trafic maritime. Un ECDIS programmé avec ces paramètres peut émettre des alarmes visuelles et sonores pour signaler les dangers. L'utilisateur peut donc régler des alarmes, dont une signalant une profondeur d'eau insuffisante au cours de la planification ou de l'exécution du voyage. De plus, l'utilisateur peut sélectionner le type et le niveau de précision de l'affichage sur l'ECDIS (p. ex. l'ECDIS peut afficher les lignes bathymétriques sans le texte afférent). Un ECDIS permet également de zoomer gros plan sur la carte afin de voir plus de détails.
Une carte de navigation matricielle est essentiellement une carte de navigation papier affichée en format électronique. Elle ne comporte pas les fonctions programmables d'une carte vectorielle.
Il n'y a aucune exigence internationale sur l'utilisation des unités de pilotage portables. Les avertissements de sécurité affichés sur les cartes matricielles sont les mêmes que ceux qui apparaissent sur les cartes papier. Un zoom gros plan sur les cartes matricielles n'affiche pas plus de détails. L'UPP du pilote permettait d'utiliser des cartes vectorielles et des cartes matricielles; toutefois, au cours du voyage en cause, le pilote a choisi d'utiliser une carte matricielle qui ressemblait davantage à la carte papier du navire.

Analyse des évènements ayant mené à l'échouement

Au moment où l'Amakusa Island s'apprêtait à quitter Prince Rupert pour le Japon, le capitaine a reçu l'ordre inattendu de jeter l'ancre au poste de mouillage 25. Le pilote et le capitaine, qui, ni l'un ni l'autre, n'étaient allés au poste de mouillage 25 auparavant, ont relevé ce lieu sur la carte. Une fois que le navire était en route et qu'il avait changé de cap à l'îlot Greentop, le capitaine, se rendant compte de l'intention du pilote de se diriger directement vers le poste de mouillage, a tracé la route sur la carte, et le pilote l'a examinée. Cette route passait légèrement au nord d'un haut-fond de 10,7 m indiqué sur la carte, à une distance minimale d'environ 140 m. Cette distance minimale n'était pas sécuritaire pour l'Amakusa Island étant donné sa taille et son tirant d'eau, ce qui indique que le haut-fond n'avait probablement pas été relevé ou que sa profondeur avait été mal interprétée.

De plus, la carte n'a pas été suffisamment examinée et les instructions nautiques n'ont pas été consultées pour relever tous les dangers possibles sur la nouvelle route. Lorsque le capitaine a tracé la route, il est probable qu'il s'attendait à ce que le pilote la confirme d'après sa connaissance de la région. Le pilote a accepté la route tracée par le capitaine. Il est probable qu'aucun d'eux n'a vérifié individuellement s'il y avait des dangers de navigation le long de la route.

En outre, l'effort visuel requis pour consulter les détails d'une carte (comme les mesures de sondage de profondeur, imprimées en police de caractères de 7 points) peut réduire l'attention. Dans le cas présent, la route tracée par le capitaine croisait plusieurs profondeurs, dont une, que le pilote et le capitaine avaient établie comme étant la plus faible, à 22 m. Le haut-fond de 10,7 m, qui se trouvait légèrement à l'écart de la route prévue, est peut-être passé inaperçu ou a été mal interprété en raison de l'attention exigée pour consulter les détails sur la carte le long de la route.

Bien que le pilote ait surveillé la progression du navire sur son unité de pilotage portable (PPU), l'utilisation d'une carte matricielle l'empêchait de recourir à des fonctions de planification de route et de surveillance qui peuvent aider à détecter des dangers connus. La carte matricielle ne permettait pas de signaler automatiquement une profondeur d'eau sous quille insuffisante. Le navire était équipé d'un échosondeur, mais le transducteur était installé à l'arrière. Même s'il avait été installé à l'avant, il est peu probable qu'il aurait empêché l'échouement compte tenu de la vitesse et de l'erre du navire.
Le haut-fond de 10,7 m indiqué sur la carte n'a pas été relevé par l'équipe à la passerelle, ni au cours de la planification du voyage ni pendant la surveillance de la progression du navire vers le poste de mouillage. Par conséquent, le navire, avec son tirant d'eau de 13,3 m, s'est échoué sur le haut-fond de 10,7 m indiqué sur la carte.

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. La destination du navire a changé de façon inattendue au moment du départ, et la nouvelle route passait à proximité d'un haut-fond de 10,7 m indiqué sur la carte.
  2. Le haut-fond indiqué sur la carte n'a pas été relevé par l'équipe à la passerelle, ni au cours de la planification de la nouvelle route ni pendant la surveillance de la progression du navire.
  3. L'unité de pilotage portable du pilote n'utilisait pas toutes les fonctions de planification de route et de surveillance permettant de détecter des dangers connus.
  4. Le navire, avec son tirant d'eau de 13,3 m, s'est échoué sur un haut-fond de 10,7 m indiqué sur la carte.

Faits établis quant aux risques

En novembre 2014, la société de gestion responsable de l'Amakusa Island a installé un système électronique de visualisation des cartes marines (ECDIS) à bord du navire. Elle a également dispensé de la formation à l'équipage sur divers aspects de la performance humaine.

Comparaison des cartes 3956 et 3957 du Service hydrographique du Canada

 

Les différences suivantes sont notables : La carte 3956 comporte moins de lignes bathymétriques et plus de mesures de sondage que la carte 3957. De plus, sur la carte 3956, la nature du fond marin du haut-fond de 10,7 m est signalée par la lettre « R » qui indique un fond rocheux, alors qu'elle n'était pas indiquée sur la carte 3957 au moment de l'événement.

Comparaison par le Cdt Prébot de la carte raster utilisée par le Pilote avec une carte vectorielle




Réglages effectués : Safety contour = 20m - Délai d'alarme = 5 minutes

On constate qu'avec une carte ENC et des réglages correctement effectués, l'échouement aurait pu être évité grâce au déclenchement de deux alarmes : De plus la visualisation du haut-fond par coloration en bleu de la zone en dessous de 20m et les hachures de la zone de «no go area» («shallow pattern») le mettent en évidence à l'écran.

Cdt Marc Prébot


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