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En passant par les passerelles
"MORBIHAN" 1947


Voici un nouvel extrait des souvenirs de Jean Chennevière.
Notre intention est d'utiliser ceux-ci comme base d'une nouvelle rubrique intitulée ‘'En passant par les passerelles''.
Elle prend la suite de celle d'Yves Charlot "en passant par la cambuse" et accueillera des anecdotes qui auront marqué la carrière des navigants.
A vos plumes les anciens...et aussi les plus jeunes !



 
Sur cet embarquement je puis ressortir quelques souvenirs assez précis. En effet la majorité de l'équipage était partie en groupe pour armer le navire qui avait été lancé aux chantiers Harland & Wolff à Glasgow et était alors en achèvement. Je sais que nous avions pris le ferry à Dieppe pour Newhaven, puis le train avec changement à Londres. Concernant ce voyage ferroviaire une chose nous avait surpris, c'est que les bagages n'étaient pas enregistrés mais mis par les passagers eux-mêmes dans un wagon-soute et récupérés par eux à l'arrivée.
Sans doute ce souvenir, ainsi que d'autres qui suivent, a-t-il été plus marqué dans mon esprit par le fait que, bien que simple élève officier, j'étais le seul à me débrouiller quelque peu en anglais, les habitués de la COA n'étant pas «conversant» en cet idiome, et qu'il me fallut faire le truchement, ceci tant bien que mal, surtout arrivés aux chantiers où le langage de bien des ouvriers était plus proche du «erse» que de la langue shakespearienne.

En attendant la livraison du navire nous fûmes logés au foyer du marin, dans des conditions correctes et surtout en pouvant bénéficier des rations prévues pour les marins marchands qui étaient mieux lotis que les terriens. Ainsi nous avions peut-être droit à un œuf par jour au lieu de deux par semaine. En effet près de deux ans après la fin du conflit les Britanniques étaient encore très rationnés, sans doute même plus que les Français. Malgré ce traitement de faveur nos bons bretons étaient assez rebutés tant par les mets servis que par leur répartition au fil de la journée. Dur d'avaler des harengs saurs ou du bacon au petit déjeuner, n'est-il pas ?
Difficile également de trouver le sommeil fin juin par quelques 56° de latitude nord ! On peut toujours se promener dans la ville en attendant une tardive et brève obscurité mais pas moyen de se réconforter avec quelque boisson, les pubs étant fermés depuis longtemps (Time is up gentlemen !)

Une anecdote sortant de la routine fut celle de la valise d'un membre de l'équipage, volée et retrouvée, plainte ayant été dûment portée, un ou deux jours après par la police écossaise, mais là aussi, corvée de truchement pour moi. Peut-être l'identification des biens avait-elle été rendue plus aisée par le fait que nous avions tous quelques vêtements standards, ceux du «sac de sécurité».
Mais vint le moment des essais les 1er et 2 juillet à l'issue desquels nous fîmes route vers Cardiff afin d'y embarquer du fret, pour l'Afrique du Nord je crois, puis début de la rotation régulière entre l'Algérie, Bordeaux et Nantes.
Notre escale bordelaise dut avoir lieu en juillet si je m'en réfère à l'anecdote suivante. Nous étions à quai à Bassens et comme c'était un dimanche nous ne travaillions pas ce qui me permit d'aller me promener avec quelques collègues jusqu'au plus proche village. La marche sous le chaud soleil du Sud-Ouest nous avait sans doute assoiffés car nous sommes entrés pour nous désaltérer dans le premier café venu. Celui-ci était doté d'un poste de radio ce qui nous permit de suivre la fin du reportage sur la dernière étape du Tour de France et d'apprendre la victoire inattendue de Robic. Nul besoin de dire que celle-ci fut fêtée comme il se doit par la majorité bretonne du bord !

Outre l'Algérie ce premier voyage nous conduisit d'ailleurs jusqu'en Tunisie, ce qui est attesté par des photos prises à Kairouan où j'avais pu me rendre en compagnie de l'élève Machine à partir de Sousse où nous étions en escale.
Une annotation qui fut portée sur mon fascicule, sans doute dans l'un de ces ports, vient rappeler que les restrictions sévissaient encore en France et que les marins marchands étaient là aussi quelques peu favorisés par rapport aux citoyens ordinaires : je lis en effet «carte d'habillement renouvelée».
Le navire également sortait de l'ordinaire. Si le «Samuel de Champlain» avait déjà pu nous paraître plus moderne, tout est relatif, penseront peut-être une décennie plus tard les nouveaux venus dans le métier, que dire alors du «Morbihan» ?
C'était en effet la toute première unité d'après-guerre armée par D.V. et tout était nouveau. Finesse de la coque, puissance de la machine, premier gyro (nous étions même allés faire une visite à l'AOIP pour nous y familiariser), panneaux de cale métalliques, cales 3 et 6 frigorifiques, treuils électriques et logements autrement confortables que ceux des bâtiments d'avant-guerre.


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