Retour au menu
Retour au menu
Education et entraînement, comment améliorer l'attractivité des carrières maritimes
Présentation par le Cdt Hubert Ardillon, président du CESMA, lors de l'assemblée générale 2018
de l'Association européenne des pilotes maritimes (EMPA)


Bien évidemment, je n'ai pas LA réponse à la question. Cependant je peux essayer d'y répondre en deux temps.
  1. Première étape : attirer.
Exception faite des jeunes dont la famille vit et travaille dans un environnement maritime, navires, ports, etc., qui ont donc déjà entendu parler du maritime et pour lesquels cela est une espèce d'attraction naturelle, il y a tous les autres. Cette jeunesse qui ne vit pas près des côtes, des ports et qui ne connaît rien ou presque de ce milieu.
C'est vers ceux-là qu'il faut aller en priorité. Le premier éveil peut alors être donné très tôt, dès l'école primaire. Chacun de nous, marins, pilotes, autorités portuaires et maritimes, nous devons aller leur parler, leur montrer ce monde dans lequel nous travaillons et nous vivons.
Il y a quelques années, j'étais invité par un professeur des écoles, dans un village dans la campagne environnante, à rencontrer ses élèves. J'ai passé une après-midi avec des enfants de moins de dix ans, issus pour la plupart d'un milieu social ne leur permettant pas de connaître les choses de la mer, parlant des navires, de mon métier, leur montrant des photos, répondant à leurs questions, questions parfois étranges. Un mois plus tard, je recevais un courrier contenant des dessins faits par les enfants. Plus important certainement, leur maîtresse me racontait que plusieurs d'entre eux exprimaient encore le désir de partir travailler sur ces navires. Comme une petite graine plantée.
 
    Et même si je ne me fais pas d'illusion, cette graine ne poussera probablement jamais, supposons qu'un seul de ces enfants choisisse cette voie. Un seul. Mais quand même un. Mon après-midi aura alors été plus qu'utile.

    L'OMI a créé le poste d'ambassadeur maritime. Interrogez vos administrations. Combien de pays européens ont déjà nommé un ou plusieurs ambassadeurs ? Et sont-ils réellement occupés ?
    Donc, il faut aller dans les écoles. Expliquer comment est la vie, le travail à bord des navires. Quelles sont les opportunités existantes pour une carrière à la mer, ou dans un autre domaine maritime. Mais il faut parler, expliquer, en vérité. Par exemple ne pas cacher le fait que lorsque l'on part de chez soi, le partant et le restant, on a tous un manque de l'autre.
    Expliquer les études faites, les cours suivis, mécanique, mathématique, physique, électronique, navigation certes. Mais aussi les domaines juridique, médical, administratif, facteurs humains. Tant de choses différentes.
    Expliquer que dans ce métier, on peut le même jour, avoir les mains dans le cambouis un moment puis se retrouver à faire du travail administratif ou de la navigation peu de temps après.
    Expliquer la vie aussi. Bien sûr partir en mer pour une période plus ou moins longue suivant le type de navigation effectuée. Mais se retrouver pour un période aussi longue près de ses proches. Avec les «bénéfices» que cela apporte à la vie de famille.

    Parler aussi dans les hydros. Affirmer que ce n'est pas parce que l'on est dans une telle école, et de surcroît citoyen européen, que l'on vivra à bord toujours habillé de blanc. J'ai souvent vu des jeunes officiers qui pensaient être promus capitaine très rapidement. J'en ai même connu qui ont quitté la navigation parce qu'ils trouvaient qu'ils n'allaient pas être promu aussi rapidement qu'espéré. Il est important de leur faire comprendre qu'on ne commence pas tout en haut de la liste d'équipage. Et surtout qu'il faut montrer sa capacité à monter dans cette liste.

    Les jeunes que je rencontre dans les hydros, toujours actuellement à une écrasante majorité, veulent être en mer. Aujourd'hui. Pour combien de temps ? Cela dépend principalement des yeux de la personne qui va les attendre à terre. Il faut le dire aussi. Comme il faut dire que le reclassement dans un autre domaine maritime est possible. Tous ces domaines où leur expérience à la mer sera un plus. L'éducation reçue à l'école, mais aussi sur les navires, la responsabilité donnée à un jeune chef de quart, ou chef de service en charge d'une équipe et d'un département du navire pour la maintenance, tout cela est un plus. Lorsque l'on lit les interviews d'anciens navigants partis à terre, tous disent que cette éducation les a aidés dans leur recherche d'emploi à terre, et surtout les aident toujours dans l'approche de leur travail.
    Les secteurs para-maritimes offrent de telles opportunités. Le besoin de marins d'expérience existe dans les armements, les ports et terminaux, les fermes éoliennes et aquacoles, les administrations, etc. Cette expérience vécue d'avoir été en charge d'un quart et d'une équipe, souvent très jeune, est souvent vécue comme un plus par rapport à un jeune frais issu d'une grande école d'ingénieur.
    Plus paradoxal certainement, la nouvelle vision des navires, le navire autonome (ou sans équipage), est une réelle opportunité actuellement pour un jeune navigant désirant partir à terre. C'est un secteur encore au stade recherche et développement, et l'expérience d'un navigant peut faire évoluer les choses de façon plus facile.

    Ce besoin, cette opportunité existe. Cependant pour certains qui partiront, il y aura un manque. Mer, navire, voyage, équipage…

    Deux choses ont leur importance. Visiter les écoles et parler c'est bien. Mais il faut alors montrer que l'on est, ou a été, heureux de faire ce métier. Être enthousiaste, partager sa passion. Celui qui n'a pas été heureux de sa vie à bord, et qui le montre, n'attirera aucun jeune vers ce métier.
    Il faudrait aussi arrêter un certain «bashing» (mot à la mode) du monde maritime, et particulièrement marine marchande. Il est normal de parler du maritime lors d'un incident. Après tout, les trains arrivant à l'heure n'intéressent personne. Mais pour le maritime, particulièrement les navires marchands, le dénigrement est facile. Bien sûr les navires polluent, beaucoup trop. Mais pourquoi n'entend-on jamais lorsque que l'on parle de ces navires marchands responsables de 15% de la pollution, que les 85% restant viennent bien de quelque part. Et pas de ces navires.

    Deux petits exemples.
    Le début d'année en France a vu une période de fortes pluies et d'inondations. La Seine en crue. En aval de Paris, il y a eu un amas conséquent de détritus divers dont des plastiques et des produits huileux. En aval, donc ne venant pas de la mer. Deux ou trois reportages à la télé, puis plus rien. Qu'aurait-on dit si la même chose était survenue sur la côte ?
    Il y a quelques années, une expérience avait été faite au Havre. Un lâcher à la mer de bouteilles plastiques contenant un message. Ceux qui récoltaient une bouteille devaient envoyer un message expliquant où et quand la bouteille avait été trouvée. Une bonne idée. Le résultat : une page complète dans le journal local pour expliquer que la pollution de la côte et des plages venait bien des navires sur rade. À la même époque il était régulièrement impossible aux navires en escale au Havre de mettre leurs déchets à terre.
    Shipping bashing ? Comment croire que de tels propos attireront les jeunes vers ce milieu ?

  1. Deuxième étape : motiver, ou plus important ne pas démotiver.

  2. De nos jours, les jeunes vivent dans un monde de communication quasi permanente. Lorsque je parle avec des élèves de l'hydro du Havre, la facilité d'accès aux moyens de communications avec les amis et la famille, mais les amis en premiers, ainsi que l'accès à internet est le critère le plus important dans le choix d'une compagnie de navigation. Facilité voulant dire facile, mais aussi pas cher.

    Puis leur rêve doit rester vivant.
    Les jeunes que je rencontre ont souvent la mer dans les yeux. Pour eux, embarquer, travailler sur un navire, est presque toujours synonyme de voyages, d'escales. D'aventures. Mais sur des navires VLCC, VLPC, VLCG, l'aventure à la mer est loin d'être plaisante. Loin des côtes, navigant dans des DST, suivis de près par les bureaux à terre (ils disent d'ailleurs pourchassés), où est le plaisir ?
Pour eux, l'équipage, et principalement le capitaine, n'a plus le navire en main. Et une première partie du rêve s'écroule.
Les escales ? Lorsqu'un de ces VL-navires peut entrer dans un port, il est toujours très, trop, loin de la ville. L'escale se passe souvent sur la base d'un quart 6/6, plus les manœuvres, les inspections diverses et variées, soutage et autres interventions, il est de plus en plus difficile de partir faire un tour à terre. Et une deuxième partie du rêve s'en va.
Les qualifications demandées, exigées, pour naviguer sur un certain type de navire. Les jeunes souhaitent pouvoir changer de navire, de genre de navigation lorsqu'ils le veulent. Ils n'envisagent pas, ou de moins en moins, rester toute leur vie sur le même navire, de devenir un «routinier» du pétrole, du conteneur, ou du trans-Manche. Changer de genre de navigation est à leurs yeux le meilleur moyen pour continuer à découvrir le monde et leur environnement de travail. Mais il faut pour cela tout un tas de qualifications diverses. Qualifications qui s'autodétruisent après cinq ans. Malheureusement, la règlementation en ce qui concerne les qualifications nécessaires, est de plus en plus stricte. Et cela n'incite pas à changer de navires. Et après quelques temps à la mer, une troisième partie du rêve part en fumée.
 
    Les équipages multiculturels. Au début c'est sensationnel. On voit différentes approches de la profession. Différentes cultures aussi. Ils apprennent. Mais parfois, il y a trop de nationalités à bord. Lorsque sur 15 ou 20 membres d'équipage, on trouve 5, 10 voire plus de nationalités différentes, il y a de grandes chances pour qu'un membre de cet équipage soit le seul de sa nationalité, voire de sa langue maternelle. En conséquence il se retrouve plutôt seul. Pour un jeune qui débute, cela peut être difficile à vivre. Et surtout ne pas lui donner l'envie de continuer l'expérience.

    Enfin, et cela a aussi son importance, la motivation à rester sur les navires va dépendre aussi de l'attitude des collègues plus âgés. J'ai connu un certain nombre de marins qui passaient leur temps à critiquer leur travail, leur navire, leur environnement. Comment penser que cela va attirer et motiver un jeune qui débute à rester dans ce monde ?
    Il y a maintenant plus de vingt ans, un jeune élève, pour son premier embarquement, à Rotterdam, est parti avant la fin de l'escale. On peut bien sûr le critiquer, mais on peut aussi essayer de comprendre pourquoi. Au regard de la liste d'équipage, il s'est avéré que ce jeune était le seul à avoir moins de 50 ans, et que pendant les quelques heures où il avait pu vivre à bord, on ne lui avait parlé que de retraite. Et que ce n'était pas un métier à faire. Le tristement célèbre : «Jeune, ne fais pas ça !».

    Récemment, je lisais dans un magazine maritime, l'interview d'un skipper, sorti de l'hydro. À la question recommanderiez-vous à un jeune de faire ces études, il répondait oui. Mais il ajoutait aussitôt qu'il fallait entrer dans cette école, «mais de vite avoir idée en tête pour en sortir, car c'est de plus en plus dur de vivre aujourd'hui loin des siens». Ah bon ? Avant cela ne l'était pas ?

    Comment penser que cela puisse attirer un jeune et le motiver à avoir un plan de carrière à la mer ?

Pour conclure, comme tout le monde ici, je n'ai pas la solution miracle pour attirer un jeune sur les navires ou dans un environnement maritime.
Cependant certaines choses peuvent et doivent être faites.
Rencontrer la jeunesse, et lui parler. Promouvoir le monde maritime, et pas seulement le navire, ce monde est si vaste. Dire que l'expérience de la navigation est utile pour pouvoir se reclasser à terre dans cet environnement maritime. Dire surtout la vérité sur les conditions de travail et de vie à bord. Et montrer les réelles chances de recevoir cette éducation.
Et puis, même si cela est en opposition avec ce qui est voulu par l'industrie maritime, faciliter le changement de navigation. Et pourquoi pas, redonner aux marins un peu de la liberté qu'ils avaient autrefois ?

Mais le plus important est de parler aux jeunes. Mais, s'il vous plait, toujours de façon positive.

Cdt Hubert Ardillon,
Président du CESMA
Vice-président de l'AFCAN
Retour au menu
Retour au menu