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La navigation à l´estime peut-elle être abandonnée?



Ces points de vue font suite à l´article de M. Gabriel BERTRAND sur l´obsolescence de l´estime, paru dans la rubrique «Point de Vue» du journal Ouest France le mercredi 15 février 2006


Avis du Capitaine de navire:

       Depuis que l´homme utilise un flotteur pour transporter fret et passagers, son souci essentiel est la conduite "en droiture", terme technique et juridique utilisé pour définir la qualité de la navigation. Toutes les inventions ont pour but d´améliorer la précision de la route suivie et de l´heure prévue d´arrivée, ce qui ressort par définition du calcul de l´estime. Alors, pourquoi et comment l´utilise-t-on...

       Dès qu´il y a déplacement d´un mobile, l´estime est utilisée pour déterminer l´heure d´arrivée. L´armateur, le transporteur aérien comme le transporteur routier ou ferroviaire l´utilisent pour avertir le réceptionnaire de l´heure d´arrivée prévue pour la livraison du fret ou du passager et faire en sorte que cette prévision se concrétise. L´automobiliste en fait autant pour arriver à temps au bureau, à l´usine ou à ses rendez-vous personnels. Il est donc difficile d´envisager la disparition de la navigation estimée.

       Ce moyen de navigation de base repose sur la connaissance aussi précise que possible de la vitesse et de la route suivie. Les éléments perturbateurs, vent, courant, houle, sont pris en compte pour apporter la correction nécessaire au cap à suivre (dérive), et à la vitesse pour obtenir la route vraie et la vitesse sur le fond et en déduire l'heure d'arrivée. Ces corrections sont calculées à partir de tables de courant, des cartes de vent, et de tables de comportement du navire en fonction de son déplacement, de son assiette, et de l'état de la mer. Le nombre élevé de facteurs intervenants nécessite un recalage aussi fréquent que possible de l'estime par des observations (relèvements et distances en vue de terre, passage de lignes de sondes, points astronomiques) ou par l'utilisation d'aides radioélectriques (radiophares, satellites artificiels). Tous les calculs nécessaires sont pour la plupart effectués aujourd'hui par les appareils de navigation, le plus souvent d'une manière automatisée et en arrière plan, devenant ainsi invisibles. L´aboutissement ultime de la technique sur la connaissance de la position est la centrale à inertie, qui intègre en permanence toutes les accélérations pour déterminer le cheminement. Ce système fonctionne admirablement à bord des aéronefs et des sous-marins, parce que les déplacements parasites sont réguliers et faibles par rapport à la vitesse propre du véhicule porteur. Mais en ce qui concerne les navires de surface, un recalage fréquent reste indispensable.

       La connaissance du calcul de l´estime n'est certainement pas devenue superflue. Ce calcul de position fonctionne parfaitement sans accessoires autres qu´une table de calculs (Friocourt, chère aux anciens), pour autant que l´on ait pris le soin d´étalonner l´avance par tour d´hélice et la dérive due au vent, de connaître la dérive due au courant, de régler correctement le compas gyroscopique, ou à défaut, de compenser et réguler correctement le compas magnétique. Car la panne totale électrique n´est pas une vue de l´esprit. C´est en général fatal pour un aéronef, mais un navire continue à flotter, ce qui permet ainsi de continuer le combat contre l´adversité.

       Enfin, une estime correctement menée est un élément primordial de sécurité, parce qu´elle permet de débusquer les erreurs humaines en faisant apparaître une différence anormale entre la valeur estimée et la valeur observée ou relevée. Une erreur importante peut être commise dans la saisie des données pour la traversée prévue : standard géographique en service, coordonnées des points tournants, consignes de cap. Un simple coup d´oeil sur la montre permet de savoir, grâce à l´estime, si le passage au point tournant a bien été effectué comme prévu, permettant ainsi de poursuivre avec certitude la navigation sur le segment de route suivant.


Affichage du suivi de route par le système ECDIS NAVMASTER


       Bref, si certains navigants peut-être, tels monsieur Jourdain, utilisent l´estime sans le savoir, la navigation, qu´elle soit maritime, aéronautique ou terrestre, ne permet pas de s´en passer. Mais la définition de l'estime gagnerait à être mieux connue, ce qui permettrait d'éviter la diffusion de sornettes par des publications sérieuses.

F.X. PIZON,
Cdt (R) à la Cie CMA-CGM


Avis du Pilote de Ligne:



extrait du dossier de vol AF006 PARIS NEW-YORK du 01.09.06
         La trop grande confiance dans les systèmes de navigation par satellites peut engendrer des incidents voire des accidents. En effet, une erreur d´insertion, une non-surveillance du système et une confiance aveugle dans les calculateurs, aujourd'hui des ordinateurs, amènent le pilote sur une trajectoire qu'il croit exacte mais qui n'est que le résultat très précis de calculs numériques. Il appartient au navigateur de toujours mettre en doute ce résultat en ayant au moins une « idée » relativement précise de sa position et de son orientation. Cela fait partie de ce que l'on appelle en aéronautique les « règles de l'art ». Il doit corréler la position extrêmement précise du système GPS, bientôt GALILEO avec celle obtenue par le calcul de l'estime.

       La précision de navigation n'est d'ailleurs pas encore assez grande pour suivre des trajectoires terminales autour des aérodromes. Pour cela, il est nécessaire d'utiliser une station au sol, qui recevant les signaux satellites et connaissant exactement sa position, calcule l'erreur locale du positionnement par satellite et en informe l'aéronef. Ce recalage augmente la précision de la navigation, et permet des approches tout à fait sûres. Cet équipement coûteux commence à équiper les grands aéroports mais peut-on envisager de l'installer dans les innombrables aéroports ou dans les zones maritimes critiques?

       De plus, si une panne générale du système survient, l'avion remet les gaz et se retrouve assez vite en sécurité, le navire n'a pas forcément la même liberté de manœuvre. Pour l'un comme pour l'autre, il faut tout mettre en œuvre pour éviter les erreurs qui amènent à ce type de situation.

       En navigation aérienne, l'erreur est généralement humaine, et c'est assurément par la redondance des méthodes de surveillance dans toutes les différentes phases que l'on peut éviter les déviations de route. La théorie des plaques de J.REASON, bien connue en aéronautique, s'applique à ce raisonnement. Elle consiste à fragmenter chaque étape d'un processus général et connaissant les faiblesses de chaque étape, à essayer qu'elles ne coïncident pas avec les faiblesses des autres phases afin qu'aucune erreur ne puisse aboutir. Supprimez un élément du processus et le facteur de risque augmente.

       En conclusion, Galileo peut certes apporter une précision encore plus fine et constituer un moyen de positionnement supplémentaire, mais recourir uniquement à un système doublé GPS/Galileo sans l'expertise de la navigation classique, presque qualifiée de secours dans ce cas précis, contribue à la diminution de la sécurité.

B. FAVROT,
Pilote de Ligne à la Cie Air France

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