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Evaluation formelle de sécurité (FSA)
sur l'alcoolisme à bord des navires




Imposition de limites obligatoires en matière de consommation d'alcool pendant le quart et lors de l'exécution d'autres tâches à bord des navires.



  1. Introduction et portée de l'évaluation formelle.


  2. La réglementation sur la consommation d'alcool n'est pas une règle uniforme et à portée mondiale :
    • Une recommandation sans caractère obligatoire existe dans la partie B de la STCW.
    • Des restrictions, interdictions sont intégrées dans la législation de certains pays.
    • Certains membres de l'industrie pratiquent la tolérance zéro à bord des navires.


  3. Identification des dangers.


    1. Données statistiques sur les accidents de navires marchands dus à l'alcool.


    2.        Il est difficile d'établir un lien entre les accidents de navires et l'alcool en se fondant sur des faits indiscutables d'où une absence de données statistiques valables. L'enchaînement des faits est souvent difficile à déterminer, l'alcootest suivant les circonstances et le lieu de l'évènement est souvent différé. La responsabilité des accidents est dans une large mesure imputée à l'élément humain et par assimilation avec d'autres métiers du transport et autres activités à terre, l'alcool serait cependant responsable d'un pourcentage non négligeable d'accidents du travail et de décès. L'alcoolisme pathologique est il plus concerné que l'alcoolisme occasionnel ?

   
  1. Les expériences réalisées avec du personnel maritime dans des simulateurs de navigation.


  2.        Le nombre d'échecs d'une même personne passerait en moyenne de 1.0 (état sobre) à 2.6 (en état d'ébriété).Les plus flagrants échecs notés lors des tests seraient :
    • l'accroissement du temps nécessaire à la résolution des problèmes de navigation.
    • l'aptitude à fixer une cible et à suivre des objets du regard est altérée.
    • des difficultés à communiquer avec les autorités et le personnel du bord.
    • des difficultés à différencier les couleurs.
    • les dysfonctionnements des appareils passent inaperçus ou il y est remédié tardivement.
    • une fonction motrice restreinte.
    • l'identification tardive des petits navires.
    • des infractions à la COLREG.
    • manœouvre d'évitement exécutée tardivement, manœuvre de dépassement risquée, distances de sécurité inadéquates, plus grande inclination à prendre des risques.
    • moins apte à effectuer différentes taches en même temps.

             L'alcool a donc des conséquences néfastes sur le système visuel humain qui joue un rôle essentiel dans le processus cognitif d'un personnel exposé à de nombreuses indications visuelles agressives auxquelles il doit réagir. De plus le personnel testé tant au pont qu'à la machine n'a pas ressenti d'impact négatif pour son activité et peu de troubles du comportement ont été décelés par les témoins.

             Les effets débilitants de l'alcool lors du travail du personnel non assujettis à des tâches de quart conduisent à des dysfonctionnements, des opérations erronées et des pannes qui peuvent provoquer des accidents.

    1. La consommation d'alcool à bord chez les gens de mer est une vieille tradition.


           L'alcool était source de motivation et en tant que ration supplémentaire réglementaire était utilisé pour faire durer plus longtemps l'eau potable. Avec la consommation d'alcool s'est aussi développée l'intempérance qui lui est liée. De nos jours la consommation d'alcool est perçue comme un palliatif aux conditions de travail et de vie à bord que sont :
  • Degré d'automatisation qui exige une attention et un contrôle permanents.
  • Conditions de vie et de travail physiquement pénibles ou potentiellement dangereuses
  • Éloignement de la famille et isolement social au milieu d'un équipage multi national.
  • Longues heures de travail sans récupération suffisante.
  • Monotonie des longs voyages en mer.
  • Niveaux d'effectifs inférieurs aux normes
  • Précarité des conditions d'emploi (risque du chômage)
  • Pression exercée par les collègues (relationnel et inaptitudes morale, physique et professionnelle)
  • Taches monotones et administratives de plus en plus lourdes
  • Travail par équipe et de nuit.
       Le recours à l'alcool en abondance pour tenter d'atténuer ces conditions difficiles peut créer très rapidement un cercle vicieux (abandon, fatigue, isolement, solitude, exclusion de l'équipe). La consommation d'alcool augmente en fonction du temps passé en mer, de la durée du voyage et de l'âge du marin. Cependant la consommation modérée d'alcool a une influence positive sur les conditions de vie en collectivité. A l'occasion des réunions conviviales organisées après les heures de service ou pour des conditions spéciales offrent pour les équipages multinationaux la possibilité de s'intégrer et peuvent compenser en partie l'isolement et la solitude. L'abus d'alcool ne joue un rôle plus ou moins crucial pour les gens de mer que pendant les heures de loisir.
             La consommation d'alcool est plus répandue chez les gens de mer que dans le reste de la société en général. Les cas d'incapacité physique ou psychique, les atteintes au bien être, les problèmes sociaux sont proportionnellement importants chez les gens de mer.

    1. L'influence de la quantité consommée (étude tous métiers).


    2.        Les études sur le sujet montrent que la consommation fréquente de petites doses présente un plus grand danger que l'absorption occasionnel de doses massives. Selon les spécialistes le taux d'alcoolémie n'est détectable efficacement qu'à partir de 0.03% environ, la perte de concentration commencerait à partir de 0.05 % selon les études en simulateur pour les gens de mer.

    3. Une attitude culturelle selon les peuples.


    4.        La considération sur la consommation d'alcool en quantité, force des alcools et occasions de consommation varie suivant les pays.

    5. Politique peu homogène de l'industrie en la matière.


    6. L'OMI recommande deux attitudes sans leur attacher un caractère obligatoire:
      • en priant les compagnies, l'administration d'établir des politiques en matière d'alcool et de drogues lors de la mise en œuvre du code ISM (possibilité de régler le problème à leurs convenances et manières).
      • en l'incorporant dans la partie B du code STCW : partie 5 (dédiée à la prévention de l'abus des drogues et de l'alcool) et section B-VIII/2 (recommandation concernant l'organisation de la veille et des principes à observer).

             L'OMI n'aborde pas les problèmes d'alcool dans la règle VIII/1 du chapitre VIII de l'annexe du code STCW (aptitude au service)

             La réglementation n'est pas uniforme parmi les états côtiers qui disposent d'une législation et leur sécurité vis-à-vis du trafic en transit n'est pas assurée. Les états du pavillon ont ou n'ont pas une législation pertinente pour les navires arborant leur pavillon. Les Affréteurs de navires, l'industrie pétrolière, les associations d'opérateurs ont une attitude variable qui va de la tolérance zéro à pas de demande. Les compagnies de navigation doivent se conformer juridiquement aux termes du code ISM et de la norme ISO 9000. La divergence d'attitude en la matière va de la tolérance zéro à aucune consignation par écrit de la politique compagnie en la matière.

             Le type de mise en œuvre, d'application effective et de contrôle varie donc énormément tant sur le degré d'alcoolémie, l'information délivrée au personnel sur les dangers de l'alcool, que sur le personnel concerné par la restriction, que sur les sanctions disciplinaires, les contrôles aléatoires durant l'embarquement, à la suite d'évènements de mer, lors de l'embauche ou examen médical annuel et la présence d'alcool à bord. La tolérance zéro est fréquente dans le transport à la demande, les croisiéristes et les transbordeurs. Les petites compagnies laissent souvent le soin de gérer le problème à leurs capitaines.

  1. Evaluation des risques


    1. L'alcool et le problème de la fatigue.


    2.        Les causes et les conséquences imputables à l'alcool sont pratiquement identiques à ceux liées à la fatigue. La fatigue est la diminution des capacités physiques et/ou mentales à la suite d'un effort physique, mental ou affectif qui peut affaiblir la quasi-totalité des capacités physiques que sont la coordination, le délai de réaction, l'équilibre, la prise de décision, la rapidité et la résistance. Cette définition donnée par l'OMI peut s'appliquer à l'alcoolisme. Cette réaction individuelle est attribuée à la médiocrité des conditions de travail et de vie à bord. La consommation d'alcool contribue a la fatigue ce qui risque fort de créer un cercle vicieux conduisant à affaiblir l'aptitude individuelle et à l'isolement social.

    3. Les effets débilitants


    4.        L'alcool nuit aux performances en matière de cognition, de concentration (être attentif, évaluation des situations, mémoire défaillante, prendre les mesures appropriées pour résoudre les problèmes et réagir au bon moment). La fatigue mentale, le manque et la mauvaise qualité du sommeil, le sentiment de solitude et le stress dû à la charge de travail sont des facteurs aggravants. Jusqu'alors les prescriptions applicables aux navires étaient moins rigoureuses en raison de la faible densité du trafic et de la modeste vitesse des navires. Mais désormais on considère que les facultés cognitives nécessaires sont au moins aussi importantes en raison de l'augmentation constante de la taille des navires et des grandes distances d'arrêt nécessaires, de l'accroissement du trafic et de l'augmentation de la charge de travail.

    5. Le risque financier


    6.        Le risque selon la définition technique du terme est calculé en multipliant la probabilité des évènements par le nombre de pertes, ce qui est difficile à appréhender en l'absence de données fiables. Chaque accident de plus se produit dans des conditions spécifiques et entraîne des pertes particulières. L'abus d'alcool et ses effets débilitants sur l'exécution des tâches à bord des navires de commerce a fait l'objet d'études détaillées. Mais on possède peu de données sur le coût des accidents liés à l'alcool sinon en totalisant les demandes d'indemnité. Les experts avancent le chiffre annuel de 91 250 000 USD pour les accidents attribuables à l'alcool soit 2285 USD/an/navires de plus de 300 UMS de jauge brute.

             Appliquer les résultats des études et les données statistiques concernant l'élément humain (fatigue et alcool) et les études sur l'indemnisation des accidents liés semble logique et permet d'appréhender un coût de l'abus d'alcool par navire et par an.

      Coûts directs : les dégâts aux équipements portuaires, les dégâts au navire, les dépenses lors de l'intervention des sauveteurs ou des intervenants requis par les autorités (analyse, coût des sauveteurs, soins dans les hôpitaux, perte totale d'un navire, l'indisponibilité du personnel, dépenses de maintenance imprévue, la perte d'affrètement, les réparations versées à l'ayant droit…..

      Coûts indirects : l'atteinte à la réputation de la compagnie, l'effet néfaste sur la santé et l'intégrité des gens de mer, préjudices subis par l'environnement


  2. Option de maîtrise des risques


           La consommation d'alcool est donc ancrée dans l'aptitude personnelle, les conditions sanitaires de travail et de vie, les milieux culturels qui sont aussi autant de moyens de lutte à envisager pour la qualité des prestations professionnelles et la préservation de l'environnement. Les diverses parties prenantes de l'industrie sont toutes qualifiées pour prévenir l'abus malgré des divergences dans l'application des textes et normes. Des mesures sont envisageables par l'adoption d'une culture institutionnelle sur les effets débilitants de l'alcool et la prise de mesures institutionnelles qui renforceraient la protection des eaux territoriales. Les assureurs devraient être associés à ce processus car ils sont directement intéressés par la prévention de l'abus d'alcool.


    1. Fixation d'une limite du taux d'alcoolémie.


    2.        Des mesures universelles devraient fixer le taux d'alcoolémie autorisé, le personnel concerné par cette décision, les moments autorisés pour une éventuelle consommation, les éventuels contrôles par les organismes de contrôle souverain dans les eaux territoriales, les zones économiques, les eaux internationales (inspections ponctuelles en cas de soupçon).

    3. Suppression totale de l'alcool à bord de certains navires.


    4.        La politique de tolérance zéro supprime la consommation et la détention d'alcool. Ainsi il n'est plus nécessaire de s'interroger sur le % autorisé, l'influence des consommateurs au repos sur le personnel de quart ou en service. Les navires interdits devraient l'être universellement pour une bonne compréhension. Mais la consommation d'alcool à terre par le personnel autorisé à y descendre échappe au domaine sous contrôle. L'accès à bord du personnel en état d'ébriété devra être contrôlé pour que la reprise d'activité soit permise ( % admissible et fixation du temps de récupération de l'aptitude). Ce terme est à fixer d'une manière universelle pour permettre une vérification lors d'une inspection par l'état du port ou du pavillon.

    5. Test aléatoire et analyse d'haleine.


    6.        Vérifier que le taux d'alcoolémie fixé est bien respecté et pratique d'une forme de dissuasion efficace lors d'exercices dédiés ou lors de test aléatoires. Tests pratiqués par le personnel à terre de la compagnie ou en mer par le personnel habilité du navire. Les inspecteurs de l'état du pavillon ou du port sont autorisés dans certains cas. L'utilisation d'analyseurs d'haleine est moins invasive et plus facile à mettre en œuvre que l'analyse d'urine. Les taux d'alcoolémie compris entre 0.00 et 0.03 % peuvent dépendre de la consommation de certains médicaments.

    7. Par la formation et l'information.


      • Formation à bord lors des exercices et séances de formation / familiarisation.
      • Inscrire la question de l'alcool au programme des études des écoles de formation.
      • Information par les syndicats, les agences de recrutement, les compagnies de navigation et le personnel du niveau management à bord des navires.


    8. Vie à bord.


    9.        Avoir du personnel qualifié et en nombre suffisant pour une organisation du travail à bord qui réduise la fatigue. Offrir une nourriture adaptée et saine dans des emménagements permettant le repos.

    10. Coût des mesures de contrôle.


    11.        C'est le prix des équipements de dépistage : analyseurs d'haleine ou tests d'urine. Les tests d'urine se font en laboratoire par des sociétés extérieures. Les délais d'acheminement peuvent dépasser la période de détection de l'alcool (entre 24 et 30 H après consommation).Il faut compter jusqu'à 5100 USD pour 30 tests annuels et ce sans intégrer le salaire du personnel durant le test.. L'analyseur d'haleine coûte entre 500 et 2000 USD, il est étalonné par le fabricant et a une durée de vie d'environ 7.5 ans. Le mode d'emploi est facile, l'utilisation est possible à tout moment .Il faut compter 253 USD pour 30 tests annuels et ce sans intégrer le salaire du personnel bord qui fait et subit le test. Le coût du test effectué lors des inspections PSC ou du pavillon devrait être moindre car les contrôleurs peuvent faire partie de l'équipement des inspecteurs.


  1. Analyse coûts – avantage


  2.        Les coûts et les estimations en l'absence de données fiables ne permettent pas d'établir un rapport coût efficacité. L'analyse coût-avantage repose donc sur l'application d'un taux d'alcoolémie limitée à 0.05 % et les amendements dédiés des divers textes.

    1. Estimation de la réduction des risques par rapport au coût des mesures de contrôle.


    2.        Le test du taux d'alcoolémie présente un effet dissuasif. L'option de l'analyseur d'haleine semble la plus efficace, la plus économique, d'un emploi facile, d'une bonne souplesse et finalement d'un coût négligeable.

    3. Conséquence en matière de réglementation.


    4.        Révision du chapitre IX de la SOLAS « gestion de la sécurité des navires » Amendement à la règle VIII/1 « aptitude au service » de l'annexe de la convention et de la section A-VIII/1 « aptitude au service » du code STCW. Révision de la partie 5 de la section B-VIII/2 « prévention de l'abus des drogues et de l'alcool » du code STCW.

    5. Autres mesures


    6.        L'amélioration des conditions de travail et de vie, des effectifs suffisants à bord, des périodes de navigation plus courtes et l'allègement de la charge de travail des gens de mer renforceraient les mesures prises pour limiter les abus d'alcool. Mais le budget à y consacrer devrait dépasser les 2285 USD estimés comme représentant le coût des accidents liés à l'alcool.


Cdt Thierry Rossignol


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