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Analyse de l'évolution de la sécurité maritime


Par le Professeur Jean-Pierre Beurier,
Directeur du Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes.


résumé d'un article paru dans DMF Février 2004, avec l'aimable autorisation de l'auteur.



      Les événements de mer de ces dernières années ont focalisé l'attention du monde de la mer sur la sécurité maritime. La situation alarmante des vraquiers secs ou liquides d'une partie de la flotte mondiale est partiellement responsable de ces accidents aux conséquences humaines et environnementales dramatiques. On a tour à tour dénoncé la vétusté des navires, leur manque d'entretien, la faible compétence des équipages hétérogènes, ainsi que les inextricables montages administrativo-financiers inventés par des propriétaires peu scrupuleux pour tenter de fuir leurs responsabilités. Les abordages récents de ces dernières années entre des navires de pêche et des cargos en Manche ou dans le proche Atlantique ne laissent pas également de surprendre, alors que les conditions météorologiques n'étaient pas particulièrement défavorables.
      Les causes principales de ces drames sont bien connues et ont souvent été dénoncées par les navigants, les experts et les juristes maritimistes. La fréquence des événements et leur gravité a fini par faire réagir les décideurs tant nationaux que communautaires, qui sont à l'origine de nouvelles règles de droit. On ne saurait s'en plaindre si ce n'est que l'on ne peut que constater que ces règles ne proposent que des solutions marginales et ne s'attaquent pas au cœur du problème. Depuis trente ans le marché a fait descendre les marines marchandes dans un "enfer" dont elles ont beaucoup de mal à s'échapper, tant le mauvais navire a chassé le bon, et le financier a chassé l'armateur-transporteur.
      Certes, on peut constater un tardif intérêt des autorités nationales et communautaires pour un réel renforcement de la sécurité maritime ; mais l'abandon de souveraineté de certains États du pavillon, l'irresponsabilité organisée du propriétaire ou de l'affréteur, le cynisme de certaines entreprises de louage de main d'œuvre, rendent illusoires les quelques avancées juridiques obtenues par ailleurs.
      On peut cependant observer quelques frémissements plus significatifs d'une lente "remontée des enfers" : ainsi les assureurs maritimes vont contribuer à assainir l'offre de navires dans la mesure où ils n'acceptent plus de couvrir n'importe quel risque ; la peur du procès a certainement contribué à bouleverser les statistiques de démolition des vraquiers liquides qui ont vu leurs chiffres augmenter sensiblement après les naufrages de l'Erika puis du Prestige ; un net renforcement des inspections dans le cadre des contrôles de l'État du port dans les différents Memoranda a contribué à assainir l'offre de navires. L'ensemble de ces facteurs positifs a fait que les taux de fret ont augmenté en 2003 comme ils ne l'avaient pas fait depuis des années. Ceci constitue la meilleure garantie d'une embellie durable du monde du transport maritime. Un service a un coût, laminer celui-ci par le bas au-delà du raisonnable est dangereux et irresponsable et ne peut que conduire à des catastrophes. Enfin, la condition des marins et les conditions d'organisation du travail à bord ont dépassé le seuil de danger : les travailleurs mal formés et en nombre insuffisant, les problèmes de langues parlées à bord, les bas salaires, les cadences de travail et l'obligation de quart pour le capitaine sont des causes d'accidents inadmissibles. En janvier 2004 s'est tenue à Nantes la session de l'Organisation Internationale du Travail sur la rédaction d'un Code du travail maritime international. Bien que les négociations ne soient pas achevées, on peut penser que là aussi une réaction des États principalement intéressés permettra des avancées minimales dans la sauvegarde de la vie humaine et de la sécurité maritime.
      Tous ces facteurs convergent vers un renchérissement du coût du transport et dès lors le chargeur qui aura payé un prix plus élevé pour le transport de sa marchandise sera en droit d'exiger un service de qualité, c'est lui qui sera en conséquence le meilleur régulateur d'un marché aujourd'hui encore largement responsable du dumping qui a entraîné cette "descente aux enfers" qui a coûté tant de vies et a tant contribué à la dégradation de l'environnement marin.

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