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Pour éviter les abordages, appliquer les règles !


Merci à monsieur Lucien Breton – Officier en chef des Affaires maritimes à la retraite, ancien chef de centre de Saint Malo - de nous autoriser à publier l'article ci-dessous paru dans Le Marin du 31.08.2007.



       Tout le monde s'accorde à dénoncer le caractère répétitif des abordages en mer au large de nos côtes et à déplorer l'allongement sans fin de la liste des marins pêcheurs qui perdent inutilement leur vie en cherchant à la gagner.
Mais au-delà des déclarations compassionnelles de circonstance, qu'est-il fait de concret pour tarir autant que faire se peut la dramatique litanie des navires de pêche impliqués dans les accidents maritimes ? Peu de choses en réalité.

       Les constats sont clairs : les abordages sont consécutifs à des défauts de veille sur les passerelles, lesquels sont généralement eux-mêmes la conséquence de l'embarquement d'un équipage insuffisant en nombre et en qualité. Mais il est malsain de dresser les gens de mer les unes contre les autres, en ne voyant que de sombres brutes d'un côté et de valeureux professionnels de l'autre.

       Ce manichéisme inconséquent, guidé parfois par des intérêts annexes inavoués, est on ne peut plus stérile. En 2002 déjà, le BEA mer mettait en exergue que si la qualité de la veille était bien souvent déficiente à bord des navires de commerce étrangers, elle n'était guère meilleure sur bon nombre de navires de pêche français. La situation ne s'étant pas améliorée depuis cette mise au point justifiée, il convient de rechercher des solutions efficaces et pratiques en ayant le courage de regarder la réalité en face.
 



COMMERCE : REMEDIER AUX EFFECTIFS INSUFFISANTS

       En ce qui concerne les navires marchands, à court et moyen termes, il est illusoire d'espérer amender les conventions de Genève et de Montego Bay qui déterminent les principes de la liberté des mers, de la libre immatriculation des navires et de l'immunité souveraine des États du pavillon, en offrant de solides bases juridiques aux pavillons de complaisance.

       Toutefois, pour remédier aux effectifs insuffisants en nombre et qualité sur ces bâtiments, les autorités maritimes françaises pourraient se concerter, avec la Commission européenne, pour faire réellement appliquer, dans le ressort de l'Union européenne, les dispositions de deux conventions de l'Organisation maritime internationale (OMI) : l'une appelée STCW95 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille, et l'autre dénommée ISM code (Code International de gestion de la sécurité).

       Pour ne citer qu'un exemple précis, le simple respect de l'alinéa stipulant que "le repos de 10 heures minimum, dont 6 heures consécutives, est impératif par périodes de 24 heures" est susceptible de bouleverser beaucoup d'organisations du travail, principalement à bord des caboteurs étrangers. Cette suggestion est certainement plus réaliste que la délirante demande de contrôler systématiquement tous les navires empruntant le rail d'Ouessant.

PÊCHE : CHANGER LES MENTALITÉS

       Pour ce qui est des navires de pêche, l'ambitieux objectif affiché en 2001 par le ministre de "faire entrer la sécurité dans la culture des métiers de la pêche" ayant fait long feu, il s'agit de remettre l'ouvrage sur le métier. La tâche est certes des plus ardues puisqu'elle nécessite de changer les mentalités. Elle ne demande pourtant pas d'imaginer une nouvelle réglementation, mais de faire appliquer les textes existants et notamment le règlement international pour prévenir les abordages en mer. Elle exige qu'une action déterminée, faisant une large place à la concertation et à la pédagogie, soit conduite dans le milieu de la pêche. Les problèmes à traiter, sans œillères, sont largement connus de vieille date.
A bord des navires de pêche :
  • une veille visuelle et auditive appropriée doit être assurée en permanence,
  • toutes les aides à la navigation doivent être utilisées pour déterminer les risques d'abordage (radar, alarme anti collision, radio …),
  • le quart ne doit être confié qu'à une personne certifiée connaissant bien les règles de barre et de route. Elle doit être physiquement apte à la veille et maîtriser les rudiments de la langue anglaise,
  • le patron ne pouvant assumer ce rôle en permanence, les décisions d'effectifs des navires armés à la pêche côtière et hauturière doivent être revues dans cette optique, en faisant primer la sécurité sur des considérations économiques,
  • la notion de navire privilégié en pêche (et non pas prioritaire) n'exclut pas l'obligation de manœuvrer pour éviter les collisions,
  • les feux et marques de pêche ne doivent être montres ni en route, ni au port évidemment, pour qu'ils soient pris au sérieux,
  • l'homme de quart ne doit pas s'occuper en priorité des appareils de pêche (sondeurs, commandes à distance tournées vers la poupe…). Il ne doit pas négliger l'écoute des fréquences radio de détresse au profit des fréquences de pêche,
  • l'installation de téléviseurs dans les passerelles est interdite,
  • l'octroi de dérogations à la formation professionnelle est à réduire drastiquement.
       La mise en œuvre de toutes ces obligations dictées par le bon sens représente un énorme challenge pour les pouvoirs publics, les organisations professionnelles, les équipages et les établissements d'enseignement maritime. Elle peut permettre de sortir de l'hypocrisie actuelle, qui entoure ces sujets souvent tabous. Cette quasi-révolution culturelle, bien plus difficile à mener que la validation, par l'OMI, de l'installation de gyrophares spécifiques à bord des navires de pêche, est la condition sine qua non pour réduire le nombre des abordages et, corrélativement, celui des marins qui y laissent leur vie.

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