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Amélioration de la stabilité après avarie des car-ferries
suite au drame de l'Estonia

Quel avenir pour l'Accord de Stockholm ?

Article dédié à la mémoire des navigants et des passagers disparus dans le drame de l'Estonia

  1. Rappel des circonstances du drame :
         Le navire roulier à passagers «Estonia» (pavillon estonien) appareille de Tallinn en Estonie le 27 septembre 1994 pour Stockholm. Le ferry est affecté sur cette ligne depuis 1993. Il a à son bord 989 personnes, dont 186 membres d'équipage. Dans la nuit du 27 au 28 septembre, les conditions météorologiques deviennent «normalement mauvaises» pour la saison, selon les termes du capitaine d'un des autres ferries en transit cette nuit là. Le vent est de secteur SW, environ 15-20 m/sec (force 7-8), mer formée environ 3-4 m de hauteur significative, période 8,2 sec, température 10-11°C. Le navire est en route au 270, à la vitesse de 15 nœuds environ. Vers 01.50 (UTC + 2), quelques dizaines de minutes après avoir lancé un premier «mayday», l'«Estonia» disparaît des écrans radars des navires sur zone. 852 personnes périrent dans le naufrage.

           Le drame de l'« Estonia » est considéré comme le plus grave des accidents maritimes survenus dans les eaux européennes depuis la deuxième guerre mondiale. L'émoi dans les pays du nord de l'Europe a été immense. Le monde des navires rouliers à passagers qui se relevait à peine du chavirement meurtrier du « Herald of Free Enterprise » (1987, 193 victimes) a été à nouveau sous les projecteurs de l'opinion.

    L'«Estonia» a été construit en 1979 par le chantier allemand Meyer Werft. Le navire a été commandé selon les règles et prescriptions de l'administration finlandaise (son premier pavillon) et «Solas 1974» (bien que non applicable encore en 1979). La Finlande a délégué au Bureau Veritas l'application de la Convention internationale sur le franc-bord. Cette société de classification a par ailleurs été choisie par l'armateur pour l'approbation des plans et le suivi de construction. Les caractéristiques principales de l'«Estonia» sont :
    Longueur h.t. = 155,40 m
    Largeur = 24,20 m
    Hauteur du pont de cloisonnement sur ligne zéro (pont principal roulier) = 7,65 m
    Tirant d'eau maximum = 5,60 m
    Déplacement lège = 9733 t
    Déplacement au moment du drame = approx. 12046 t

           Comme beaucoup de ferries de cette époque, l'accès à son pont roulier principal (qui est aussi son pont de cloisonnement au sens de Solas) se fait pour la partie avant par l'intermédiaire d'une étrave relevable (ou « casque »). Une rampe interne articulée permettant l'interfaçage du navire avec les installations portuaires est installée dans cette partie avant, au niveau du volume du casque. Cette rampe constitue une deuxième barrière d'étanchéité.

  1. Causes du drame :
  2.        La commission d'enquête dénommée « Joint Accident Investigation Commission ou JAIC » de l'Estonie, de la Suède et de la Finlande, les pays riverains touchés par le naufrage, qui a travaillé sur la tragédie pendant près de 3 années, a rendu un rapport dont les conclusions sont :
    • l'étrave relevable (ou casque) du navire s'est désemparée dans le mauvais temps créant une entrée d'eau vers le pont roulier principal par la rampe interne dont l'étanchéité n'était pas bonne
    • le navire a commencé à prendre de la gîte sur tribord (approx. 10°). Le casque a fini par se détacher structurellement et en se libérant du navire a endommagé la partie haute de la rampe interne articulée
    • la rampe ainsi déformée n'a plus fait son office de barrière secondaire et le pont roulier principal a été envahi
    • le navire a subi une perte de stabilité majeure avec prise de gîte tribord importante. Il s'en est suivi une perte de propulsion puis de production d'énergie électrique, et le naufrage est survenu en moins de 50 minutes

           Les conclusions du JAIC ont été contestées par des professionnels (Allemagne, pays du constructeur + quelques architectes navals européens) et une partie de l'opinion publique. Sous la pression de celle-ci, relayée par les politiques, une contre-enquête sous forme d'une étude approfondie de la séquence de disparition de l' « Estonia» a été menée, plusieurs années après les travaux initiaux du JAIC. Cette étude a été diligentée par la Suède, pays qui a payé le plus lourd tribut en vies humaines dans le drame (projet de l'Agence gouvernementale suédoise pour l'innovation VINNOVA 2006-2008). Des études scientifiques sophistiquées basées sur des simulations numériques et des essais sur modèle ont été réalisées à cette occasion. Ces études ont confirmé en partie les premières conclusions, tout en donnant une vision scientifique plus approfondie de la séquence du drame.

           L'épave qui gît dans les eaux internationales par 80 m de profondeur, a été sanctuarisée par l'Estonie, la Suède, la Finlande, la Lituanie, le Danemark, la Russie et la Grande-Bretagne, peu de temps après le naufrage et toute plongée d'inspection est interdite aux ressortissants des pays signataires (« Estonia Agreement » de 1995). Cette décision est contestée par des associations de familles de victimes.

  3. Les conséquences réglementaires du naufrage de l'«Estonia», l'Accord de Stockholm :
  4.        Le naufrage de l' « Estonia», à l'instar de tous les grands drames maritimes, a eu des conséquences innombrables. En matière réglementaire, compte tenu des nombreuses vies humaines perdues et du retentissement dans l'opinion internationale, l'Organisation Maritime Internationale (OMI) a été obligée de réagir fortement. Un groupe d'experts a été rapidement mis en place après le naufrage. Ses travaux ont conduit à la réunion d'une Conférence Solas sur les navires rouliers à passagers en Novembre 1995. Au cours de cette Conférence Solas, de nombreuses décisions réglementaires ont été prises, lesquelles ont eu une grande influence sur les ferries existants et à venir. Ces décisions ont touché tous les domaines, de l'architecture navale aux aspects opérationnels, de la technique aux équipements de sauvetage, des procédures tant à terre que sur le navire.

           En termes de stabilité, lors de la Conférence Solas de Novembre 1995, l'OMI a renforcé son calendrier de conversion des ferries existants pour leur convergence vers la norme Solas 1990 des navires à passagers (qui avait été créée suite au chavirement du ferry « Herald of Free Enterprise » en 1987).

           Mais la modification réglementaire la plus importante va être imposée par 7 pays nord-européens, traumatisés par le drame de l'«Estonia». Ces pays exigent une amélioration majeure de la norme de stabilité après avarie des navires rouliers à passagers, et menacent même de légiférer indépendamment.

           L'OMI va être amenée à adopter lors de la Conférence Solas de Novembre 1995 une résolution (N°14) permettant des accords régionaux intégrant une proposition du groupe d'experts prévoyant la prise en compte de l'accumulation d'eau sur le pont de cloisonnement. La résolution établit les fondements techniques du futur « Accord de Stockholm ». La voie est ainsi ouverte de façon politiquement correcte aux pays nord européens pour créer un standard unilatéral en matière de stabilité après avarie pour les ferries.

           Ce standard envisage la présence d'eau sur le pont continu le plus proche de la flottaison (sur la plupart des navires ro-pax, le pont de cloisonnement) lors de la considération de l'avarie conventionnelle Solas (en l'occurrence « Solas 90 »). Ce standard « water on deck » (w.o.d) est très exigeant dans la mesure, entre autres, où l'effet de surface libre qu'il induit affecte de façon majeure la stabilité résiduelle par une réduction très importante de la hauteur métacentrique (GM).

           Les pays nord européens vont se réunir à Stockholm en Janvier et Février 1996 (en fait, 12 autres pays vont se joindre aux travaux) et vont établir un texte qui va devenir célèbre sous le nom d' « Accord de Stockholm ». Le texte sera signé le 25 Septembre 1996. Les navires rouliers à passagers fréquentant régulièrement les terminaux de la Baltique et des eaux du nord-ouest européen devront être conformes à cet accord quel que soit leur pavillon. Un calendrier d'implantation strict est établi s'étendant du 1er Avril 1997 au 1er Octobre 2002. Le calendrier est fonction de l'index « A/Amax » déjà utilisé par l'OMI dans les années précédentes pour la planification de mise en conformité des ferries à « Solas 90 ».

           L'Union Européenne s'est ensuite appropriée cet accord et a imposé son application à tous les navires rouliers à passagers fréquentant les eaux européennes au sens large, Méditerranée incluse (malgré la résistance de certains). Différents textes se sont succédés dont le dernier est la directive 2003/25/CE. On notera que le texte initial a été légèrement amendé (précisions sur les essais au modèle) au début des années 2000. La directive européenne est intégrée dans la réglementation française au niveau de la division 211 (Stabilité à l'état intact et après avarie) annexée à l'arrêté du 23 novembre 1987.

           Les recherches théoriques et les résultats obtenus par les spécialistes qui ont conduit aux prescriptions de l' « Accord de Stockholm » ont bouleversé l'approche que le monde maritime avait de la stabilité après avarie. Ces études prolongent les travaux déjà menés après le chavirage de l' « Herald of Free Enterprise ».

           Des voies nouvelles tant en matière de calcul (les simulations en « time domain ») que d'essais sur modèles ont été ouvertes par les chercheurs (« performance-based standards »). Le retentissement important dans l'opinion publique des drames liés aux navires rouliers à passagers explique bien sûr cette forte activité théorique, tout au long des années 90 et au début du 21ème siècle.

           On notera que l'Accord de Stockholm est une réponse réglementaire sophistiquée à un problème d'envahissement (voir l'analyse du texte dans le paragraphe suivant). Toutefois cet envahissement est imaginé avec l'Accord de Stockholm dans une contexte d'avarie conventionnelle « Solas 90 » par collision. Dans le cas de l' « Estonia », tout comme dans le cas de l' « Herald of Free Enterprise », l'envahissement s'est produit d'une toute autre façon: pour les deux drames l'envahissement s'est fait par l'étrave (portes d'étrave ou « casque »), navire en route, bordé latéral intact.

  5. Analyse de l'Accord de Stockholm :
  6. On notera en préambule qu'en tant que navires à passagers, les ferries doivent respecter l'ensemble des prescriptions de « Solas 90 » (chapitre II-1, partie B) : compartimentage et stabilité résiduelle en avarie. L'Accord de Stockholm pour les navires rouliers à passagers (Ro-Pax) européens, impose qu'une partie des critères déterministes de stabilité après avarie de « Solas 90 » soient respectés, avec une certaine hauteur d'eau sur le pont de cloisonnement (qui est en général sur ce type de navire le pont roulier principal).

    Le principe des calculs de conformité à l'«Accord de Stockholm» est le suivant :
    1. on applique les règles de «Solas 90» pour la stabilité après avarie (ce qui implique notamment un compartimentage conforme)
    2. on détermine à partir de l'étape 1 le franc-bord minimum résiduel, suite à une avarie conventionnelle Solas du premier pont de l'espace roulier situé au dessus de la flottaison (qui est en général le pont de cloisonnement sur les ferries)
    3. on ajoute une quantité d'eau hypothétique calculée selon les prescriptions ci-dessous
    4. on vérifie que les critères « Solas 90 » règle II-1/B/8.2.3 (GZ > 0,10 m, positive range de 15° mini et aire sous la courbe des bras de levier > 0,015 m.rad) sont respectés ; on note que les autres critères de la règle 8 n'ont pas à être respectés

    Critères de détermination de la hauteur d'eau hypothétique =
    • on considère une surface d'eau à une hauteur fixe
    • la hauteur d'eau « hw » est fonction du franc-bord résiduel « fr » : hw = 0,5 m si fr < 0,3 m et hw = 0 si fr > 2 m , interpolation linéaire entre les 2
    • correction des hauteurs ci-dessus en fonction de la hauteur de houle significative Hs (=> zone géographique de navigation), avec interpolation linéaire entre les valeurs de hauteur de vague significative Hs = 1,5 m et Hs = 4,0 m

    Hs est limité à 4,00 m, car les statistiques ont montré que pratiquement 99% des collisions se produisent avec des hauteurs de vagues significatives inférieures à 4,00 m. L'Accord de Stockholm est résolument dans une logique « collision » pour définir l'accumulation d'eau ( confer la fin du §3)…

    Franc-bord d'avarie =



    Hauteur d'eau accumulée =



           Un essai au modèle est admis en équivalence à la démonstration par calcul du respect des règles (règles ci-dessus). Cet essai est très encadré dans la réglementation. La méthode a été amendée début 2000 et les procédures ont été améliorées depuis la résolution 14 de la conférence « Solas 95 ».

           L'essai au modèle est effectué après détermination par calcul du cas le plus défavorable d'avarie au regard de « Solas 90 » règle II-1/8.2.3.2 (critère d'aire sous la courbe des bras de levier). L'axe de l'avarie (brèche) doit se situer à l'intérieur du segment +/- 35%x L pris au milieu du navire. Un essai supplémentaire est réalisé si l'avarie la plus défavorable se situe dans la fourchette +/- 10% x L.

           Le texte donne des prescriptions précises sur la construction du modèle, la mesure de ses caractéristiques (GM à l'état intact, rayons d'inertie), la réalisation de l'avarie (brèche), le spectre de houle à utiliser, les dimensions minimales du bassin, les systèmes de mesure, les procédures d'essai, etc. On notera que les compartiments et espaces du modèle doivent être réalisés avec les perméabilités correctes (surface et volume).

           Le critère de survie pour l'essai au modèle est :
    • l'eau accumulée sur le pont ne fait pas chavirer le navire
    • le modèle atteint un état stationnaire
    • la gîte du navire est inférieure à 20° (gîte stable pendant plus de 3 minutes)
    • le roulis observé pendant les tests ne dépasse pas 30°
    L'essai détermine la hauteur de vague significative Hs critique (limite) permettant de respecter les critères ci-dessus.

           La détermination des cas les plus défavorables peut être faite en utilisant les outils de simulation développés dans les années 90 par certains centres de recherche spécialisés. La simulation fournit un objectif de hauteur de vague significative et l'essai au modèle doit confirmer l'hypothèse. Exemple de résultat de simulation :



           Un essai officiel au modèle se décompose en : inspection du modèle, inspection des 2 avaries, exp. de stabilité du modèle, mesure de la période propre de roulis du modèle, essai sur avarie Solas la plus sévère (2 spectres de vagues Jonswap, avec une Hs en objectif), essai sur avarie milieu (2 spectres de vagues Jonswap, avec une Hs en objectif). La durée d'un essai est d'environ 2 jours (pour ceux auxquels l'auteur a assisté).        Exemple récent de test pour un navire existant (effectué en 2009) : Car-ferry du début des années 1980, de déplacement approx. 10 000 T. Accord de Stockholm applicable au 01/10/2010.

    Définition de l'avarie =



    Les résultats sont consignés dans le document suivant (lequel comprend 2 types de houle pour les essais) =



           L'essai au modèle admis en équivalence donne des résultats moins contraignants que la démonstration par calcul du respect des critères « Solas 90 », règle II-1/B/8.2.3. Le calcul fournit des résultats beaucoup plus conservateurs en général. On peut même rencontrer le cas où le navire ne passe pas en calcul et passe l'essai au modèle. Il a été démontré par les nombreux essais aux modèles effectués, qu'en général un ro-pax conforme à «Solas 90» ou transformé pour y être conforme, passe correctement l'essai au modèle, pour une hauteur de vague critique souvent plus élevée qu'attendu. Ce résultat reflète, d'après certains chercheurs, la meilleure prise en compte par l'essai au modèle des phénomènes physiques « réels » et la sous-estimation de la capacité de résistance de ces navires dans les règles « calcul » de [« Solas 90 »+Accord de Stockholm].

           L'essai au modèle a surtout été utilisé pour les navires existants qui devaient être vérifiés, et éventuellement modifiés selon un calendrier précis pour l'application rétroactive de l' Accord de Stockholm.

  7. Le critère «Accord de Stockholm» et les autres critères (période pré «Solas 2009») :
  8.        Etudions l'exemple d'un navire roulier à passagers (ro-pax) mis en service en 2005, dont les caractéristiques sont les suivantes : 1900 passagers, L = 185 m et B = 28 m

           Les critères utilisés sont ceux de la Résolution A749 pour la stabilité à l'état intact et de «Solas 90» avec «Accord de Stockholm» pour la stabilité après avarie. Le schéma ci-dessous synthétise le document «hauteur métacentrique requise» ou «GM requis» du dossier navire. Les différentes courbes pour les critères «intact» et «avarie» sont représentés pour une assiette positive, nulle et négative.

           Ce navire a une cale axiale située à l'intérieur du B/5 donc à priori en accord avec «Solas 90», puisque la pénétration de l'avarie conventionnelle ne dépasse pas le cinquième de la largeur. L'administration française (Commission Centrale de Sécurité, = «CCS» ) demande toutefois que soit vérifiée la survie du navire en cas d'envahissement de cette cale, avec 2 compartiments envahis par ailleurs (critères = GM résiduel > 0,05 m, angle final < 7°). L'influence de cette exigence est indiquée par la courbe en pointillé long.

           Au tirant d'eau maximum (un peu plus de 6,70 m), ce sont bien les critères [« Solas 90 » + Accord de Stockholm] qui sont prépondérants. On notera que pour les tirants d'eau opérationnels (entre 6,20 m et 6,50 m), ce sont les critères de l'administration française (« CCS ») pour le traitement du problème de la cale centrale qui sont les plus sévères.

  9. L'évolution des règles de stabilité après avarie pour les navires rouliers à passagers (ro-pax) : de «Solas 1974» à «Solas 2009» :
  10.        Les principaux points des différentes règles sont rappelés ici, dans l'ordre chronologique. On se souviendra qu'un navire ro-pax est avant tout un navire à passagers, et qu'en conséquence toutes les règles navires à passagers lui sont applicables. L'Accord de Stockholm vient s'ajouter aux règles navires à passagers pour les navires de type ro-pax. On se reportera aux textes pour les détails (le diable y est, comme toujours…).

    «Solas 1960» pour mémoire (règles déterministes) :
    Hauteur métacentrique résiduelle (GM) > 0,05 m
    «Solas 1974» (règles déterministes) :
    • hauteur métacentrique résiduelle (GM) au stade final de l'envahissement > 0,05 m
    • si envahissement asymétrique => angle de gîte < 7°
    • ligne de surimmersion non noyée

    Résolution A265 (règles probabilistes) 1974, utilisables en équivalence :
    (cf l'annexe de cet article pour une présentation du concept probabiliste ; la « A265 » a été peu utilisée à l'époque en dehors de cas spécifiques, en raison de sa complexité et de sa nouveauté)

    «Solas 1990» (règles déterministes) :
    Au stade final après avarie et après équilibrage éventuel :
    • arc courbe de stabilité au-delà de l'angle de gîte d'équilibre > 15° ( 10° si condition sur aire sous courbe plus importante)
    • aire sous courbe de stabilité de l'angle d'équilibre à [ angle envahissement progressif ou 22°/27° en fonction du standard 1 ou 2 compartiments envahissables ]
    • bras de levier > 0,10 m en tenant compte du plus grand des moments inclinants = tassement des passagers sur un bord, du débordement des embarcations avec leurs passagers sur un bord et de la pression du vent
    • dans les stades intermédiaires d'envahissement le bras de levier > 0,05 m et l'arc > 7°
    • au stade final après équilibrage éventuel hauteur métacentrique résiduelle (GM) > 0,05 m
    • angle de gîte final > 7° ou 12° ( selon standard 1 ou 2 compartiments envahissables)
    • ligne de surimmersion non noyée

    «Solas 1995» et Accord de Stockholm de 1996 (règles déterministes) :
    Confer les paragraphes précédents
    «Solas 2009» (règles probabilistes) :
           «Solas 2009», en vigueur depuis le 1er janvier 2009, est un nouvel ensemble de règles probabilistes applicables aux navires à passagers et aux navires de charge secs. Le lecteur trouvera en annexe une note introductive au principe de l'analyse probabiliste de la stabilité après avarie. Les prescriptions de "Solas 2009" s'appliquent au travers de 3 règles (on s'intéresse ici au cas des navires transportant plus de 400 passagers) :
    • règle 7 => l'index atteint A > index requis R
    • règle 8 /1 => compartimentage derrière la cloison d'abordage jusqu'à 0,08 x Ls doit avoir un facteur de survie «s» > 1,00
    • règle 8 /2 (de nature déterministe) => le navire doit résister tout au long de sa longueur à une petite avarie conventionnelle de longueur 0,03 x Ls ou au moins 3,00 m (Ls étant la longueur utilisée dans les calculs probabilistes , égale approximativement à la longueur h.t) et pénétration 0,1 B ou au moins 0,75 m (B = largeur) s'étendant verticalement de la quille à 12,5 m au dessus de la flottaison en charge maxi ; la résistance est calculée par le fait que les facteurs de survie « s » > 0,9
    Nota = pour la règle 8/2, le fait de dire que le navire doit résister tout au long de sa longueur à l'avarie conventionnelle implique qu'une cloison transversale puisse être touchée et que 2 compartiments adjacents longitudinalement soient envahis ; on se rappellera par ailleurs que dans les règles probabilistes, l'architecture est libre (cf. l'annexe).

           Dans l'étude VINNOVA, les chercheurs se sont livrés à un exercice théorique extrêmement intéressant : ils ont recalculé l'«Estonia» en fonction des prescriptions de "Solas 74", "Solas 90", "Solas 90" + Accord de Stockholm et "Solas 2009". Le schéma ci-dessous synthétise les principaux résultats (différentes courbes de hauteur maximale du centre de gravité KG) de l'étude «Stability Analysis MV Estonia» de Safety At Sea Ltd, société rattachée au département architecture navale, Université de Newcastle (cf. bibliographie).

    Courbes de hauteur maximale du centre de gravité KG, pour navire sans assiette (even keel). Caisses de gîte non reliées.
    Avec "Solas 2009", l'«Estonia» aurait bien respecté le critère A > R < => A (0,85869) >R (0,79357)
    Courbe 1 = Résolution A 749 (stabilité à l'état intact)
    Courbe 2 = «Solas 74»
    Courbe 3 = «Solas 90»
    Courbe 4 = «Solas 95» + Accord de Stockholm
    Courbe 5 = «Solas 2009» règle 8.2-3
    Courbe 6 = «Solas 2009» règle 8.1


    Dans cette étude, le critère le plus contraignant est l'Accord de Stockholm…

  11. La controverse «Solas 2009 / Accord de Stockholm» :
  12.        A l'issue des longs travaux d'harmonisation des règles de stabilité après avarie effectués par l'OMI de 1995 à 2005, qui ont conduit à l'adoption de règles probabilistes «navires à passagers et navires de charge secs» applicables à partir du 1er janvier 2009 («Solas 2009»), quelques chercheurs ont immédiatement soulevé la question suivante : les nouvelles règles de Solas 2009 couvraient-elles bien le bloc réglementaire «Solas 1990 + Accord de Stockholm» ? La question posée a rapidement tourné à la controverse scientifique car le problème est complexe.

           Le Maritime Safety Committee (MSC) 84 de l'OMI (mai 2008), sur demande de l'Union Européenne, a mandaté le sous-comité en charge de la stabilité (SLF) pour reprendre entièrement la question. Le SLF 51 (juillet 2008) a missionné un groupe de travail par correspondance. Celui-ci a analysé les résultats des études les plus récentes, et rendu compte de ses travaux fin 2009 en prévision de la réunion du SLF 52 (janvier 2010). Le SLF a ensuite remis son rapport au MSC au printemps 2010. Le groupe de travail a, entre autres, travaillé sur :
    • une étude d'EUROYARDS, consortium des grands chantiers européens (STX Europe, Fincantieri, Meyer Werft, Thyssen Krupp Marine, Damen et Navantia)
    • une étude des sociétés d'engineering Safety-at-Sea/Deltamarin commandée par le Royaume-Uni et les Pays-Bas
    • une étude du consortium HSVA (Université et bassin des carènes de Hambourg, chantier FSG et la société d'engineering Ship Design and Consult) commandée par l'EMSA (European Maritime Safety Agency)
           Ces 3 études passionnantes (références en bibliographie) complètent une vision déjà donnée par d'autres études publiées auparavant. Elles font appel soit à l'expérience des chantiers dans l'étude pratique des navires, soit aux procédés de recherche les plus sophistiqués développés depuis une quinzaine d'années par les scientifiques (simulation numérique, essais au modèle).

           Les conclusions ne sont pas homogènes, mais quelques grands traits ressortent. Certaines études disent que «Solas 2009» ne couvre pas le problème de l'eau accumulée sur le pont roulier principal et que «Solas 2009» est un standard inférieur à «Solas 90 + Accord de Stockholm». D'autres avancent l'inverse ou tout au moins que «Solas 2009» est globalement un standard équivalent, plus sûr par principe (concept probabiliste).

           Comparer les niveaux de sécurité n'est pas simple. Les deux systèmes réglementaires analysés sont basés sur des principes différents (déterministe et probabiliste). La méthodologie de comparaison elle-même fait débat. Le principe d'étude probabiliste prend en compte des avaries plus proches de la réalité, mais certains garde-fous de l'analyse déterministe ont sauté (ligne de surimmersion, cloison longitudinale cale inférieure au-delà du B/5). On notera que l'on s'était posé moins de question dans les années 1990 avec le système de classement des ro-pax existants, basé sur le critère «A/Amax», lors de l'établissement des programmes de convergence vers «Solas 90» de ces navires : on mélangeait bien à cette occasion les 2 systèmes d'étude…

           Il ressort des travaux ci-dessus que les navires ro-pax de taille moyenne qui transportent peu de passagers (approx. 5 ou 600 personnes à bord), lorsqu'ils sont étudiés et conçus selon «Solas 2009» présentent un niveau de sécurité inférieur à celui auquel conduit l'étude selon «Solas 90» + Accord de Stockholm. Dans ce cas, c'est le mode de calcul de l'index de compartimentage requis «R» qui est en cause, sa formule favorisant les grands navires avec beaucoup de personnes à bord.

           Certains travaux ont aussi montré que la règle 8 de «Solas 2009» était insuffisante dans le cas des ro-pax. Il est apparu que ces navires, lorsqu'ils ont une longue cale sous pont de cloisonnement, avaient un niveau de sécurité assez inférieur au niveau donné par «Solas 90» + Accord de Stockholm. C'est ici la possibilité avec «Solas 2009» d'avoir une cloison longitudinale trop près du bordé (pénétration conventionnelle à B/10) qui est pointée du doigt. La règle 8 de principe encore déterministe ( !) est intégrée à l'ensemble probabiliste pour couvrir le cas d'une petite avarie aux conséquences dangereuses ; elle est moins exigeante que le déterminisme de «Solas 90» (pénétration conventionnelle à B/5) et donc dans le cas des ro-pax avec longue cale abaisse le niveau de sécurité.



    A l'occasion de tous ces travaux, des propositions d'amélioration de « Solas 2009 » ont été faites.

           Certains demandent à ce qu'on introduise la règle suivante : l'index atteint A doit être supérieur à l'index requis pour tous les tirants d'eau, donc pour tous les cas de chargement (A > R, quel que soit le tirant d'eau). «Solas 2009» prévoit pour les navires à passagers une valeur minimale de 0,9.R pour les 3 cas réglementaires de base seulement. D'autres ont demandé la modification de la formule du facteur de survivabilité «s» de «Solas 2009» :
en
    au motif que la valeur GZ max = 0,12 m de la formule de «Solas 2009» est valable pour tout type de navire pour une hauteur de vague critique de 4,00m, alors que des études montrent que les navires ro-pax ne résistent à une telle hauteur de vague critique qu'avec un GZ de 0,25 m approx.

    D'autres propositions ont été faites (cf. bibliographie)

           Toutes les études dont il est question ici sont basées sur des navires existants ou en projet (ou dessinés à cet effet), avec donc un échantillon limité de cas. Le nombre de navires étudiés est toutefois de plus en plus important. Le reproche fait par certains pays à ces travaux considérées comme limités, est injuste : pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir du nombre très restreint de navires ro-pax dans le panel de navires essayés aux modèle au début des années 2000 pour obtenir la formulation des facteurs de probabilités de «Solas 2009» !

           La question a même été posée par un grand pays (non membre de l' Union Européenne) de savoir si lors du travail d'harmonisation des règles de stabilité après avarie ayant conduit à « Solas 2009 », il avait été prévu d'inclure l'Accord de Stockholm. Le processus devait fournir un nouveau corpus de règles équivalentes aux règles existantes (tout en tentant de pallier aux défauts majeurs des règles déterministes). La feuille de route de l'harmonisation ne comprenait pas apparemment les accords « régionaux »…

           La complexité du problème ne favorise pas toujours la transparence du débat, lequel reste souvent circonscrit au petit cercle des spécialistes. L'OMI, de par son mode de fonctionnement même (recherche d'un consensus), permet à certains pays de « freiner » les améliorations attendues par d'autres. Certains pays sont plus en pointe sur le sujet que d'autres. L'administration maritime britannique (MCA) par exemple fait un travail remarquable en postant sur son site beaucoup de travaux et publications scientifiques concernant cette controverse.

  1. En guise de conclusion :
  2.        Il n'est pas tout à fait sûr, à la lumière des travaux scientifiques publiés depuis quelques années que «Solas 2009» couvre correctement dans tous les cas le problème de l'accumulation d'eau sur le pont de cloisonnement des navires rouliers à passagers (en général le pont roulier principal). Mais par ailleurs beaucoup s'accorde à considérer que les règles probabilistes de «Solas 2009» sont scientifiquement meilleures que les anciennes règles déterministes et la grande liberté accordée par ces règles aux constructeurs de navires est un aspect majeur. La controverse entre spécialistes sur la question est intense et le débat qui s'en ait suivi au comité spécialisé (SLF) de l'OMI au cours de l'année 2009 principalement n'a rien tranché.

           L'OMI a décidé en juillet 2010 d'attendre le résultat des nouvelles études en cours (essentiellement financées par l'Union Européenne ou certains pays européens) pour statuer éventuellement … fin 2012, début 2013.

           L'Union Européenne a, en attendant, appliqué le principe de précaution dans cette controverse. En imposant la double étude («Solas 2009» et «Solas 90» + Accord de Stockholm, Directive 2003/25/CE retranscrite dans la division 211 du Règlement français) jusqu'à ce que des conclusions scientifiques claires sur le sujet soient connues, l'Union a fait preuve de sagesse.

  3. Bibliographie et Références :
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  Solas 2009, chapitre II-1
Notes explicatives concernant les règles de compartimentage et de stabilité après avarie du chapitre II-1 de la Convention Solas
Solas 1974 (édition amendée 2004), chapitre II-1
OMI Resolution 14 Solas Conference 1995
OMI MSC Circ 1891 et Resolution 141(76)
Directive 2003/25/CE
OMI Résolution A 265 et ses Notes Explicatives
OMI Résolution A 749
Code Intact Stability 2008
Division 211 du règlement français (stabilité à l'état intact et après avarie)
Rapport initial du JAIC = http://www.onnettomuustutkinta.fi/estonia/
Critique du rapport JAIC par un groupe d'experts allemands = http://www.estoniaferrydisaster.net/estonia
Critique du rapport JAIC et de l'étude Vinnova par l'architecte naval A.Björkman = http://heiwaco.tripod.com
Etude Vinnova 2006-2008 (Consortium SSPA) = http://www.safety-at-sea.co.uk/mvestonia/
Etude Vinnova 2006-2008 (Consortium HSVA) = http://www.vinnova.se/upload/dokument/Verksamhet/Transporter/Sjosakerhet/Estonia/HSVA1663FINAL.pdf Rapport SLF 52/11/1 = http://www.rina.org.uk/c2/uploads/slf%2052_11_1.pdf
Etudes Euroyards (Solas 2009 versus Stockholm Agreement)
Etudes et recherches MCA (Solas 2009 versus Stockholm Agreement) = http://www.mcga.gov.uk/c4mca/mcga07-home/aboutus/mcga-aboutus-whatwedo/mcga-aboutus-research2/mcga-vesselsafety-final_reports.htm
Etudes et recherches EMSA (2009 versus Stockholm Agreement) = https://extranet.emsa.europa.eu/index.php?option=com_joomdoc&task=cat_view&gid=279&Itemid=100005
François-Xavier Nettersheim
Capitaine de 1ère Classe de la Navigation Maritime
Ingénieur d'armement indépendant



Annexe
Introduction à la méthode probabiliste d'analyse de la stabilité après avarie

Dans l'étude probabiliste de la stabilité après avarie et du compartimentage des navires, on part d'un projet de navire dessiné librement.
La méthode probabiliste s'appuie sur la notion de niveau de sécurité ou de risque, les deux notions étant liées.
On peut écrire que : Risque = P. C
avec : R = risque, P = probabilité pour qu'un événement survienne, C = gravité des conséquences de la survenue de l'événement. On évalue le niveau de sécurité par : Niveau de sécurité = [ 1 - Risque ]
La méthode probabiliste cherche à évaluer ce niveau de sécurité par une analyse systématique et exhaustive. Pour chaque espace/compartiment ou un groupe d'espace/compartiments, on calcule le facteur suivant :
ai = pisi - i , indice du compartiment considéré (ou du groupe de compartiment considéré)
- «a» représente le «niveau de sécurité» du compartiment considéré (ou du groupe de compartiment considéré)
- pi représente la probabilité d'envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiments considéré) ; sa formulation est évidemment basée sur des statistiques ; elle tient compte de l'architecture du navire (cloisonnement longitudinal) par l'introduction d'un facteur «r» dans la formulation de «p»
- si représente la probabilité de survie après envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiment considéré) ; ce facteur nécessite le calcul complet de la courbe de stabilité résiduelle (GZ), de la flottaison d'avarie, des conditions d'envahissement du navire, etc ; il prend en compte les conditions dans lesquelles l'équilibre est atteint (stades d'envahissement), les moments inclinants «parasites» (tassement passagers, …); un facteur «v» pondère «si» pour la présence de cloisonnement horizontal au dessus de la flottaison, etc … Il passe à 0 si les chemins d'évacuation, certains systèmes critiques sont noyés ou si un envahissement progressif survient dans la condition étudiée.

Il n'y a pas d'exigence pour chaque avarie prise séparément, seul le résultat final (la sommation de toutes les contributions de chaque cas) compte pour l'évaluation du niveau de sécurité.

En effectuant la «sommation» de tous les calculs de niveau de sécurité «individuels», on obtient ainsi une valeur A appelée «index de compartimentage» ou «index atteint» :
  A est appelé « index atteint »
L'«index de compartimentage» ou «index atteint» A, représente un certain «niveau de sécurité» du navire. Ce niveau est sans signification s'il n'est pas comparé à un critère, pour dire si ce niveau est bon ou pas.
La méthode probabiliste établit un index R appelé « index requis » et l'on doit avoir : A > R

La fixation de ce niveau a un caractère «arbitraire». En matière réglementaire, il correspond à quelque chose de «sociétal» : R est en quelque sorte un «niveau de sécurité minimal» tel qu'accepté par la société ou imposé à elle par le législateur, en fonction de critères scientifiques, techniques, économiques, sociologiques. R est clairement un élément «politique».

A = probabilité [avarie si collision] x probabilité [survie si avarie] et A = probabilité [survie si collision]
[ 1 – A ] = probabilité [ perte du navire si collision ] et [1 – A ] est le risque de couler ( ou de chavirer et couler ) en cas de collision
[ 1 – A ] est le pourcentage d'avaries auxquelles le navire ne peut résister
[ 1 – R ] est le pourcentage d'avaries auxquelles le navire ne doit pas survivre

Calculer ou plus exactement fixer l'index requis R n'est pas difficile. Il suffit de placer la barre à un certain endroit. Calculer l'index atteint A est une toute autre chose.

Une évaluation complète du niveau de sécurité implique de calculer A dans tous les cas de chargement imaginable pour un navire donné. On peut alors pondérer les valeurs de A en fonction de l'intensité que l'on souhaite donner au A spécifique à un cas de chargement.
  n = nombre de cas de chargement étudié et wi = coefficient de pondération pour chaque cas de chargement

Pour des applications législatives, il faut évidemment se limiter. Dans «Solas 2009», on a :
  (les wi valant [0,4], [0,4] et [0,2]) soit : A = 0,4 As + 0,4 Ap + 0,2 Al


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