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Théorème des probabilités totales, formule de Bayes
et étude de la stabilité des navires après avarie


voyage pédagogique au cœur des règles probabilistes Solas 2009




  1. Introduction
  2.        La perte de flottabilité et de stabilité suite à une avarie de coque est à l'origine des plus grandes pertes en vies humaines dans le monde maritime. Rien n'est plus terrible à la mer que de perdre sa flottabilité et sa stabilité.

           Pour une grande partie des projets de navires, l'étude de la stabilité après avarie est faite, depuis le 01/01/2009, en application des règles dites « Solas 2009 ». Ces règles sont de nature « probabilistes ». Les navires concernés sont les :
    • navires à passagers
    • navires rouliers à passagers (ropax ou car-ferries)
    • porte-conteneurs
    • navires rouliers
    • navires de charge généraux (cargos)
    • vraquiers non couverts par la règle 27 de la Convention internationale Franc-Bord
    • navires spéciaux (câbliers, navires sismiques…)
    Le reste de la flotte marchande est étudié selon des principes dits « déterministes » :
    • pétroliers (règles Marpol 73/78)
    • chimiquiers (règles du Code IBC)
    • gaziers (règles du Code IGC)
    • navires couverts par la règle 27 de la Convention Internationale Franc-Bord
    • navires à grande vitesse (HSC Code 2000)
    • navires offshore
           Le principe des règles dites probabilistes pour l'étude de la stabilité après avarie (Solas 2009) a été élaboré par les chercheurs sur la base des travaux du Professeur K. Wendel (dans les années 60). L'O.M.I a relativement rapidement intégré ces principes dès 1974 à titre alternatif pour les navires à passagers (Résolution A 265) et à titre obligatoire en 1992 pour les navires de charge secs.

           La différence de principe entre les règles « probabilistes » et « déterministes » est très grande. Schématiquement on peut dire qu'avec les règles probabilistes (Solas 2009) l'architecte naval est libre de dessiner le navire comme il l'entend sous réserve d'atteindre un niveau global de sécurité. Il projette le compartimentage selon ses propres contraintes. Le niveau de sécurité est caractérisé par un index A appelé index atteint. Pour que le projet soit conforme, l'index atteint A doit être supérieur à un index requis R. Le principe du calcul de A est rappelé au paragraphe 3.

           Les règles déterministes imposent un certain nombre de critères qui doivent être respectés avec des hypothèses d'avarie fixées à l'avance et, en parallèle, un compartimentage donné établi sur des bases rigides. Les avaries sont de dimension « réglementaire » et sont appliquées dans des conditions fixées au préalable. Le principe déterministe d'étude de la stabilité après avarie est relativement intuitif. Les calculs sont facilement interprétables, en particulier par les navigants.

           Ce n'est plus le cas avec les règles probabilistes qui par essence (confer le paragraphe 3) impliquent un nombre très élevé de calculs ; l'automatisation de ceux-ci est une nécessité incontournable pour rendre opérationnelle la méthode. Dès lors, la lisibilité des calculs est beaucoup moins grande que dans le principe déterministe et leur interprétation à la fois théorique et pratique n'est pas aisée.

           D'une manière générale, la communauté scientifique spécialisée considère que l'approche probabiliste est meilleure et qu'elle permet de dépasser certains défauts voire contradictions et incohérences de l'approche déterministe.

           Cet article est un essai de nature pédagogique sur la signification profonde de l'index atteint A des règles probabilistes (et donc également de l'index requis R qui fixe le niveau de sécurité). On y montre au §4 que cet index A est très simplement et directement issu des grands théorèmes de base de la théorie des probabilités et l'on en donne son interprétation théorique et … pratique. Auparavant un petit rappel de probabilités (§2) et une large synthèse des règles probabilistes de Solas 2009 (§3) sont présentés afin de permettre au lecteur d'avoir une vision globale du sujet.

  3. Petit rappel sur les théorèmes des probabilités totales et la formule de Bayes
    1. Généralités :


    2. Une expérience aléatoire est une expérience, au sens large du terme dont le résultat ne peut être déterminé avant qu'elle ne soit réalisée et qui dépend donc du hasard. L'univers de l'expérience aléatoire est l'ensemble Ω des résultats possibles de cette expérience. L'ensemble Ω des résultats possibles est le premier élément servant à décrire de façon rigoureuse une expérience aléatoire.

             Un évènement A est un sous-ensemble de l'univers Ω tel qu'à l'issue de l'expérience aléatoire, il est possible de déterminer si l'évènement A s'est produit (réalisé) ou non. A est inclus dans ou égal à Ω. On appelle évènement impossible un évènement qui ne contient aucun des évènements de l'univers Ω et évènement certain l'ensemble de toutes les possibilités, c'est-à-dire l'univers Ω lui-même.

             Plaçons nous dans le cadre de cet article : Ω sera un ensemble fini (ensemble discret) => on a Ω = { } les éléments de cet ensemble étant les ωi. Le cardinal de Ω (nombre d'éléments de l'ensemble) vaut n. Puisque Ω est fini (discret), alors tous ses sous-ensembles sont des évènements. En anticipant un peu sur le §4, il est clair que l'univers des avaries possibles pour un navire est fini !

    3. Probabilité :


    4. L'espace [Ω, P(Ω ) ensemble des évènements A] est dit probabilisable. On appelle probabilité sur cet espace toute application p de P(Ω) dans l'intervalle [0,1] de R, respectant les axiomes suivants :
      p(A) ≥ 0
      p(Ω) = 1
      p(AB) = p(A)+p(B) [ pour deux évènements incompatibles, mutuellement exclusifs, c. à d. ne pouvant être réalisés simultanément ⇔ AB = ф ] A tout évènement A inclus dans Ω est associé un nombre appartenant à l'intervalle [0,1]. Le triplet (Ω, P(Ω),p) est un espace probabilisé fini (espace ou domaine d'étude sur lequel on a défini une probabilité). On a :
      1. pour tout évènement A, 0 ≤ p(A) ≤ 1
      2. p(ф) = 0
      3. p(Ā) = 1 - p(A) (probabilité du contraire d'un évènement)
      4. pour deux évènements quelconques, on a : p(AB) = p(A) + p(B) - p(AB) (généralisation par la formule de Poincaré)
      5. si les évènements Ai sont mutuellement exclusifs (AiAj = ф), alors

      6. et si l'on considère l'univers Ω entier =>
        Un évènement A est considéré négligeable si p(A)= 0
        Un évènement A est considéré comme quasi certain si p(A)=1

      La définition axiomatique de la probabilité ci-dessus permet de déduire les définitions classiques :
      1. de type « P.S Laplace » = probabilité d'un évènement A définie comme le « rapport du nombre de cas favorables à la réalisation au nombre total de cas possibles », avec une condition d'équiprobabilité des cas élémentaires :
        p(e1) = ... = p(en) = p(ei) = 1/n, soit
      2. de type « en fréquence » = évaluation de la fréquence avec laquelle l'évènement A se réalise au terme de n répétitions de l'expérience aléatoire (#A = nombre de réalisations de l'évènement A).
    5. Système complet (partition) :


    6. On appelle système complet d'évènements de Ω (on parle aussi de partition de l'univers Ω ) toute famille d'évènements (Ai), avec i entier naturel, telle que :
      • les évènements soient deux à deux incompatibles (AiAj = ф)
      • Ω = i Ai (la réunion de tous les évènements est l'univers de l'expérience aléatoire)
      A l'issue de l'expérience aléatoire, un et un seul de ces évènements sera réalisé. On a : => la somme des probabilités des évènements Ai vaut 1
      Exemple pour un univers à 5 éléments :


    7. Probabilité conditionnelle, évènements indépendants :


    8. Soit un évènement A de probabilité non nulle. Pour tout évènement B :
      La probabilité p(B|A) est appelée probabilité conditionnelle « sachant A » (la probabilité de B est calculée en sachant que l'évènement A s'est réalisé).
      Deux évènements A et B sont indépendants (pour la probabilité p) si l'on a :
      On a alors :
      p(B | A) = p(B)
      p(A | B) = p(A)
      On généralise en disant que les n évènements Ai sont mutuellement indépendants (pour la probabilité p) en écrivant :

    9. Théorème des probabilités totales :


    10. Soit un système complet d'évènements (Ai) (de probabilités non nulles) => les évènements sont deux à deux incompatibles (Ai) (Aj) = ф et Ω = iAi.
      Alors pour tout évènement B, on a :


      La probabilité de B est calculée comme une somme pondérée des probabilités conditionnelles : p (B | Ai), les poids étant les probabilités
      p(Ai).
      On se rappellera qu'une somme pondérée de nombres bi vaut , avec (somme des poids). On a bien dans le cas du théorème des probabilités totales (la somme des probabilités p(Ai) est égale à 1).

      Illustration sur un univers partitionné en 6 éléments (système complet d'évènements) :



    11. Formule de Bayes :


    12. C'est un corollaire du théorème des probabilités totales. Pour tout système complet d'évènements (Ai) (de probabilités non nulles) ou partition de Ω et pour un évènement B de probabilité non nulle, on a :



      On appelle probabilités à priori les probabilités p(Ai). Ce sont les probabilités disponibles avant l'expérience aléatoire sur l'évènement B. Si l'expérience a lieu, et que l'évènement B se réalise, il est alors possible de calculer les probabilités p(Ak | B) lesquelles probabilités tiennent compte de l'information obtenue avec la réalisation de B. On appelle les probabilités p(Ak | B) des probabilités à posteriori.
      Si on interprète les Ai comme des causes possibles, le calcul précédent recherche les probabilités des causes.

  4. Les règles probabilistes d'étude de la stabilité après avarie (synthèse)
  5. Le référentiel réglementaire se trouve dans la Convention Solas, au chapitre II-1, auquel on se reportera pour le détail des règles, lesquelles sont toutefois synthétisées ci-dessous. L'avarie considérée est du type collision (brèche au bordé) avec envahissement consécutif. Les distributions de probabilités modélisées ne sont rapportées qu'aux seules collisions entre navires. Le cas de la collision avec un obstacle comme un iceberg ou un ouvrage portuaire n'est pas considéré stricto sensu dans la mesure où les distributions de probabilités (et donc les formules réglementaires) ne font référence qu'aux statistiques de collisions entre navires. Par extension, toutefois, l'envahissement est le risque qui est considéré ici.

    Dans l'étude probabiliste de la stabilité après avarie et du compartimentage des navires, on part d'un projet de navire dessiné librement. On ne privilégie aucun principe de compartimentage : transversal, longitudinal ou horizontal. Du fait de la grande liberté laissée au concepteur, il faut parler plutôt de zones que de compartiments (la nuance est subtile, le lecteur se reportera aux règles).

    1. Les probabilités d'envahissement :


    2. Extrait des Notes explicatives du chap. II-1 de Solas 2009 (O.M.I) :



      Pour chaque compartiment (zone) ou groupe de compartiments (zones), on calcule le facteur suivant :
      (i, indice du compartiment considéré ou du groupe de compartiments considéré).
      ai représente le « niveau de sécurité » du compartiment (zone) considéré (ou du groupe de compartiments ou zones considéré)
      pi représente la probabilité d'envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiments ou zones considéré). Pour le facteur si voir plus loin.
      La formulation de pi est basée sur des statistiques d'avarie (à partir desquelles des distributions de probabilités sont élaborées, lesquelles permettent ensuite la construction des formules réglementaires).

      Il existe une longueur maximale normalisée d'avarie (normalisation => opération consistant dans les formules à diviser la longueur d'avarie par la longueur du navire). La longueur de la brèche est donc proportionnelle à la longueur du navire, mais elle est limitée à 60 m. La définition de la longueur d'avarie est particulière dans les règles probabilistes et ne doit pas être rapprochée de celle des règles déterministes, dans lesquelles la longueur maximale absolue d'avarie théorique est beaucoup plus petite.

      Un facteur « r » est introduit dans la formulation de « p » pour tenir compte d'un cloisonnement longitudinal éventuel (ou de cloisons longitudinales successives dans le sens transversal) : « r » est la probabilité de ne pas endommager la cloison longitudinale.



      Lorsqu'un groupe de compartiments (zones) est considéré, le principe de calcul de pi découle des formules suivantes (notations Solas 2009), pour 2 compartiments (ou zones) ou 3 compartiments (ou zones) :
      et
      (schéma ci-dessous)


    3. Probabilité de survie :


    4. si représente la probabilité de survie après envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiments considéré). La survie considérée est la résistance à l'enfoncement et/ou au chavirage. Ce facteur nécessite le calcul complet de la courbe de stabilité résiduelle (bras de levier de redressement GZ), de la flottaison d'avarie, des conditions d'envahissement du navire, etc.



      * La probabilité de survie au stade final d'envahissement se calcule par la formule suivante (pour tous les navires) : (on ne doit pas prendre GZ et range supérieurs à 0,12 et 16).
      ⇒ K=1 si l'angle d'équilibre après avarie θe est inférieur à 7° pour navires pax et 25° pour les autres navires
      ⇒ K=0 si l'angle d'équilibre après avarie θe est supérieur à 15° pour navires à passagers et 30° pour les autres navires
      ⇒ interpolation entre les deux selon : (navires pax) et (autres)
      * Pour les navires à passagers on doit de plus calculer les facteurs de probabilité de survie aux stades intermédiaires d'envahissement, si l'équilibrage par les dispositifs ad hoc n'est pas réalisé en 60 secondes ; ce temps doit être calculé selon MSC 245(83) :

      Si l'angle d'inclinaison atteint est > 15° => sintermédiaire= 0

      * smom est propre aux navires à passagers, et est calculé en évaluant les moments inclinant spécifiques suivants : usage des bossoirs de mise à l'eau de la drome sur un seul bord, tassement des passagers sur un seul bord et effet du vent traversier.
      avec Mheel = maximum des 3 moments ci-dessus.
      Pour tous les cas examinés : .

      * Dans le cas des navires de charge, on prendra sintermédiaire = sfinal et smom = 1

      * Des dispositifs d'équilibrage (inondation volontaire d'un espace non touché par l'avarie) peuvent être installés afin de diminuer l'angle de gîte d'équilibre atteint après l'envahissement. Le temps nécessaire à l'équilibrage ne doit pas être supérieur à 10 min. Les calculs sont à présenter selon les directives de la MSC 245(83).

      * Les textes donnent une certaine forme de limite à l'enfoncement (flottaison finale) du navire en avarie : pour un certain nombre de cas, le facteur de survie passe à zéro (si = 0), et donc rend nulle la contribution du compartiment ou groupe de compartiments considéré.
      L'index atteint A ne progresse donc pas.

      On notera que Solas 2009 n'interdit pas les immersions de certains points (comme c'est le cas dans les règles déterministes), mais stipule seulement que dans ces cas le facteur de survie si passe à 0.
      Ces cas sont :
      • immersions d'ouvertures (y compris gaines de ventilation, tuyauteries majeures, etc.) non étanches à l'eau qui pourraient conduire à un envahissement progressif au stade final (flottaison finale)
      • pour les navires à passagers, on ne doit pas noyer les routes d'évacuation situées ou passant sur le pont de cloisonnement au stade final d'envahissement.
      • en phases intermédiaires (ce qui implique donc que celles-ci soient calculées) et au stade final d'envahissement : toute possibilité d'envahissement progressif, toute immersion des postes de commande des portes étanches, noyage d'un panneau d'échappée verticale situé au pont de cloisonnement
      * Un facteur « v » pondère le facteur de survie si pour la présence de cloisonnement horizontal au dessus de la flottaison. Il fonctionne comme le facteur « r » appliqué dans le calcul de p.



    5. Index atteint ou index de compartimentage :


    6. En effectuant la sommation de tous les calculs de niveau de sécurité individuels, on obtient ainsi une valeur A appelée « index de compartimentage » ou « index atteint » :



      L'index de compartimentage ou index atteint A, représente un certain niveau de sécurité du navire.

      * Une évaluation complète du niveau de sécurité impliquerait de calculer A dans tous les cas de chargement imaginables pour un navire donné : n = nombre de cas de chargement étudié et wi = coefficient de pondération pour chaque cas de chargement, fonction du temps passé dans cette situation de chargement par exemple. Dans « Solas 2009 », on se limite à 3 cas de chargement, les wi valant alors [0,4], [0,4] et [0,2] => les index atteints partiels As,Ap et Al étant calculés pour des cas de chargement (tirants d'eau, stabilité initiale, etc.) correspondant aux situations lège, chargement partiel et pleine charge (« deepest subdivision draught » ds ; « light service draught » dl ; « partial subdivision draught » dp ) définis dans les règles.
      * Solas 2009 introduit une limite inférieure pour chaque index atteint partiel As, Ap et Al et l'on doit avoir dans chaque cas : pour les navires à passagers et pour les navires de charge (pour la définition de R voir ci-dessous).
    7. Index requis :


    8. La méthode probabiliste fixe par ailleurs un index R appelé « index requis » et l'on doit avoir :
      pour que le projet de navire soit conforme aux règles.

      Il n'y a pas d'exigence pour chaque avarie prise séparément, comme dans la méthode déterministe, seul le résultat final A (l'index atteint = sommation de toutes les contributions de chaque cas) compte pour l'évaluation du niveau de sécurité.

      L'index requis R, au contraire l'index atteint A, est calculé très simplement ( Ls étant la longueur de compartimentage) :
      1. pour les navires de charge de plus de 100 m (entre 80 et 100 m => formule d'interpolation, confer règles)
      2. pour les navires à passagers avec N = N1 +2.N2 ( N1 = nombre de personnes pour lesquelles des embarcations de sauvetage sont prévues ; N2 nombre de personnes - y compris les officiers et l'équipage - que le navire est autorisé à transporter, en excès de N1 )
L'index requis R est très « politique ». Sa valeur est un compromis, laborieusement obtenu à l'OMI. Il est symbolique de l'antagonisme « sécurité/efficacité commerciale » de tout projet de navire : un navire très sûr au point de vue de la stabilité après avarie est un navire très cloisonné mais de ce fait un navire difficilement exploitable…
    1. Autres points de Solas 2009 :


    2. * Les perméabilités, dans Solas 2009, varient selon les 3 tirants d'eau ci-dessus (à l'état intact), et avec le type de navire (rouliers notamment).

      * Des règles complémentaires de nature déterministes (!), les règles II-1 / 8 et 9, ont été établies. Ces règles sont là pour boucher les éventuels trous dans la raquette des prescriptions probabilistes :
      • la règle 8 stipule que le facteur de survie si ne doit pas être ˂ 0,9 pour une avarie déterministe fixée par la règle sur toute la longueur (avarie de bordé) et que le facteur de survie si ne doit pas être ˂ 1 en cas d'avarie sur les compartiments avant (0,08 L , à partir de la perpendiculaire avant).
      • la règle 9 impose un double-fond de la cloison d'abordage à la cloison de coqueron arrière, en protection d'une avarie d'échouage (hauteur du double-fond = B/20, sans dépasser 2,000 m). S'il n'est pas possible de construire ce double-fond, des calculs doivent démontrer la capacité de survie du navire à une avarie de fond déterministe fixée par la règle : le facteur de survie si ne doit pas être ˂ 1.

      L'hypothèse de l'échouement (avarie de fond) fait partie des conditions couvertes par le corpus réglementaire probabiliste de Solas 2009 contrairement à ce que l'on entend dire parfois. La règle 9, par contre, n'est pas probabiliste. De nouvelles recherches financées par l'Union Européenne pour entre autres englober -éventuellement- dans l'ensemble probabiliste le cas de l'échouement sont en cours (programme GOALDS, confer le site internet en bibliographie). Les conclusions de ce programme de recherche seront présentées prochainement à l'O.M.I. Curieusement, la règle 8, déterministe, est souvent déterminante dans les projets de navire, notamment les « petits » navires à passagers, comme si l'ensemble législatif probabiliste était insuffisant, mais ceci est une autre histoire...

    3. Les calculs de Solas 2009 :


    4. Les calculs nécessaires pour obtenir l'index atteint A sont complexes et très nombreux. Seule une application informatique spécialisée permet l'usage de la méthode probabiliste.

      La création du modèle géométrique du navire avec son architecture intérieure du navire est difficile (compartimentage étanche à l'eau, mais aussi de type A incendie qui est désormais intégré dans Solas 2009). Ce modèle doit prendre en compte toutes les ouvertures ou possibilités d'envahissement progressif, pour la mise à zéro éventuelle du facteur de survie si . La définition exacte des ouvertures ou dispositifs pouvant conduire à un envahissement progressif est un point critique pour une obtention fiable de l'index atteint A.

      L'apprentissage par les concepteurs de navire de ces logiciels très élaborés prend énormément de temps. Les temps de calcul pour les projets les plus importants comme les navires à passagers et grands navires rouliers à passagers peuvent se compter en heures. Les résultats des calculs de ces navires tiennent sur des milliers de pages. On peut dire que l'opacité est très grande…

      Remarques :

      1. Les recherches menées ces dernières années, tant sur modèles physiques qu'à l'aide de codes numériques sophistiqués modélisant le processus d'envahissement avec l'intégration de la variable temps (étude en « time domain ») ont montré que les formules les plus récentes (Solas 2009), donnant le facteur de survie semblent relativement cohérentes à l'intérieur du domaine de conditions suivantes :
        • brèche survenant au bordé
        • jusqu'à une hauteur de vagues significatives de 4,00 m (99% des collisions surviennent avec une hauteur de vagues significatives inférieure à 4,00 m)
        • pour environ 30 minutes de survie
      2. Les règles spécifiques applicables aux navires rouliers à passagers (ropax) naviguant dans les eaux européennes (« Accord de Stockholm ») ne sont pas évoquées ici parce que n'étant pas de nature probabiliste et ne faisant pas partie de Solas 2009. On rappellera simplement que les règles de l'Accord de Stockholm doivent être respectées conjointement avec celles de Solas 2009.

  1. Au cœur des règles probabilistes
  2. L'index atteint « A » est fondamental dans l'analyse probabiliste de la stabilité après avarie. On a vu qu'il était en quelque sorte une mesure du niveau de sécurité. Essayons sur un exemple de comprendre pourquoi.

    Nous allons utiliser les données calculées pour un projet réel de navire à passagers dont les caractéristiques sont les suivantes :
    • longueur de compartimentage (Ls) = approx. 221 m
    • nombre de passagers = approx.1120
    L'application de la formule réglementaire donnant l'index requis R amène : R = 0,74035

    L'index atteint A est en général légèrement supérieur à l'index requis R : c'est tout l'art de l'architecte naval d'arriver à ce résultat ! On le considérera égal à A = 0,77000 pour cet article.

    Le navire, dans sa partie impliquée dans les calculs de stabilité après avarie (carène et réserves de flottabilité) est découpé en zones (en gros suivant le compartimentage étanche et de franc-bord).

    Ce découpage va constituer le système complet d'évènements dont on a rappelé la définition au §2. L'univers est donc bien un univers fini, et il est représenté géométriquement par les différents compartiments (zones) ou groupement de compartiments (groupement de zones).

    Les évènements seront les envahissements. On les désignera par Ei.

    Ils sont bien incompatibles deux à deux (Ei Ej = ɸ ) car l'on ne peut avoir un envahissement dans un compartiment donné (ou groupe de compartiments adjacents donné) et simultanément un envahissement dans un autre compartiment (ou un autre groupe de compartiments adjacents donné).

    C'est l'hypothèse retenue dans les règles Solas, à savoir la considération d'une seule avarie. A l'issue de « l'expérience aléatoire » qu'est l'envahissement, un et un seul évènement sera réalisé.

    Le calcul réglementaire selon Solas 2009 des probabilités d'envahissement par zones (compartimentage étanche) donne les valeurs suivantes :
1 zone 0,346486035
2 zones 0,389862427
3 zones 0,176406597
4 zones 0,061459288
5 zones 0,020970099
6 zones 0,004706639
7 zones 0,000108914
    On constate en effectuant la sommation de ces probabilités que l'on converge bien vers :
    On en conclut donc que les distributions de probabilités établies sur la base des statistiques d'avaries et modélisées pour les rendre utilisables dans une réglementation (règle II-1 / 6 de Solas 2009), sont cohérentes…ce qui montre la qualité du travail des scientifiques !

    Appliquons le théorème des probabilités totales :



    L'évènement S considéré est la survie du navire.

    (on se souvient que les évènements Ei sont les envahissements pour chaque zone/compartiment ou groupe de zones adjacentes/groupes de compartiments adjacents) Il nous manque les probabilités conditionnelles p(S | Ei). Dans Solas 2009, c'est le calcul du facteur de survie si, qui est une construction à la fois théorique et pratique sophistiquée et complexe (confer le paragraphe 3). Nous ne disposons pas en général dans les dossiers de stabilité des valeurs « moyennes » de si pour 1 zone, 2 zones, 3 zones, etc…car ce regroupement de résultats ne présente pas d'intérêt particulier pour l'architecte naval.

    Nous allons donc, pour les besoins de ce voyage pédagogique, évaluer ces probabilités conditionnelles. Ces évaluations sont pragmatiques, mais raisonnables et s'appuient sur l'expérience et l'observation des accidents («expert judgement» comme disent les anglo-saxons). Adoptons donc les valeurs suivantes :
1 zone probabilité de survie du navire = 1
2 zones probabilité de survie du navire = 0,99
3 zones probabilité de survie du navire = 0,16
4 zones probabilité de survie du navire = 0,005
5 zones probabilité de survie du navire = 0,0001
6 zones probabilité de survie du navire = 0,00001
7 zones probabilité de survie du navire = 0
    Il est raisonnable en effet de penser qu'un navire moderne et bien construit résiste à coup sûr à un compartiment (zone) envahi, et qu'il résistera de même à 2 compartiments (zones) envahis avec une très forte probabilité de survie. Avec 3 compartiments (zones) envahis, ses chances de survie s'amenuisent fortement et à partir de 4 compartiments (zones) sa perte devient très probable ou même certaine. C'est ce que traduisent les valeurs précédentes.

    Nous pouvons alors calculer la probabilité S de survie du navire, en effectuant la somme pondérée des probabilités de survie conditionnelle par zone(s) envahie(s) (les pondérations étant les probabilités d'envahissement des zones).

    On trouve, tous calculs faits (application directe du théorème des probabilités totales) :
On constate que la valeur trouvée par le théorème des probabilités totales est très proche de la valeur de l'index atteint A estimé selon les règles Solas 2009 (si nous avions pris pour valeur de A, la valeur 0,76000 au lieu de 0,77000, valeur qui est toujours supérieure à l'index requis R = 0,74035 et ce de quelques centièmes comme doit le faire l'architecte naval, nous aurions eu la coïncidence parfaite).
    C'est le principe même des règles probabilistes qui apparaît ici : l'index atteint A est clairement une mesure de la probabilité de survie du navire tel que dessiné en termes de compartimentage. Le calcul de l'index atteint est en fait l'application directe du théorème des probabilités totales.

    La conséquence immédiate est que la probabilité de non survie du navire, avec les hypothèses précédentes, est :

    dans le calcul théorique approximatif ci-dessus,

    et dans le calcul effectué selon Solas 2009 (avec A = 0,77000).

    Ces probabilités de non survie sont non négligeables, au sens des probabilités.

    Le navire insubmersible, même avec les règles les plus récentes (Solas 2009) n'est donc pas encore à l'ordre du jour ! Il est vrai que cela n'a jamais été l'objectif des règles.

    On retrouve bien ici l'aphorisme souvent énoncé à propos des principes probabilistes, à savoir qu'on admet qu'un certain nombre de cas d'avarie conduit à la perte du navire. Rappelons que le modèle utilisé pour ce développement pédagogique est un navire à passagers (approx. 1120 pax)…

    Le nom donné à A, « index atteint », semble impropre, si l'on considère sa signification réelle. Il eût été préférable de l'appeler tout simplement « probabilité de survie ». Mais peut-être a-t-on eu peur d'une telle dénomination, pourtant plus proche de l'idée de base de l'analyse probabiliste de la stabilité après avarie du Professeur Wendel.

    Le lecteur attentif pourra s'inquiéter du fait que nous ayons fait des hypothèses sur les probabilités de survie pour chaque situation d'avarie (1 zone, 2 zones, etc.). La sensibilité des hypothèses sur le résultat final est faible sous réserve que ces hypothèses soient réalistes, comme le lecteur pourra s'en convaincre en faisant varier lui-même les hypothèses.
    A titre spéculatif, il est intéressant d'appliquer la formule de Bayes au cas de ce navire :



    avec les notations précédentes :
    Ei = évènement envahissement évènement non survie du navire

    Nous allons ainsi rechercher la cause possible de l'évènement « non survie du navire », , à savoir le nombre de zones (compartiments) vraisemblablement touchées en cas de non survie. Les probabilités à priori sont les probabilités d'envahissement déjà utilisées.
    La probabilité à posteriori qui va être calculée est le niveau d'envahissement (nombre de zones ou compartiments envahis) qui a probablement entraîné la non survie. On reprend les mêmes hypothèses que dans l'analyse précédente, en prenant le complément à 1 des probabilités de survie.
1 zone probabilité de non survie du navire = 0
2 zones probabilité de non survie du navire = 0,01
3 zones probabilité de non survie du navire = 0,84
4 zones probabilité de non survie du navire = 0,995
5 zones probabilité de non survie du navire = 0,9999
6 zones probabilité de non survie du navire = 0,99999
7 zones probabilité de non survie du navire = 1
    On trouve alors les probabilités suivantes pour les causes probables de non survie du navire, par application directe de la formule de Bayes :
1 zone 0,0000
2 zones 0,0163
3 zones 0,6200
4 zones 0,2558
5 zones 0,0877
6 zones 0,0197
7 zones 0,0004


    Très logiquement, on constate que c'est « probablement » un envahissement à partir de 3 compartiments (zones) qui va créer la perte du navire. On n'avait pas besoin de la formule du Révérend Bayes pour l'imaginer et le craindre…

    Ce qui est intéressant, c'est d'observer que la cause la plus probable de non survie est l'envahissement de 3 zones (compartiments). Ce résultat n'est pas forcément intuitif : il traduit juste le fait que les probabilités d'avarie touchant 3 zones sont encore relativement élevées et se conjuguent avec une probabilité de survie déjà faible. Cette observation est très typique du raisonnement probabiliste en matière de stabilité après avarie.

  1. Conclusion
  2. Les navires sont désormais de plus en plus étudiés en termes de stabilité après avarie selon les principes probabilistes, notamment avec l'introduction de Solas 2009. D'une façon générale, seuls les pétroliers, les chimiquiers, les gaziers, les navires offshore, les navires auxquels s'applique la règle 27 de la Convention Franc-Bord ainsi que les navires rapides (h.s.c) échappent encore aux règles probabilistes.

    Les règles probabilistes sont relativement complexes et il est difficile d'en saisir le principe de base. L'exercice pédagogique qui vient d'être fait, a montré la signification profonde de l'index atteint A, paramètre fondamental de l'analyse probabiliste de la stabilité après avarie selon les principes imaginés par le Professeur Wendel dans les années 1960. Ces principes ont été développés et appliqués dans les règles internationales de l'OMI depuis une quarantaine d'années.

    L'index atteint A est en fait et très clairement la probabilité de survie du navire dans le cadre des hypothèses d'étude qui prévalent dans les règles probabilistes. Les valeurs de ces probabilités pour les navires étudiés selon ces principes évoluent approximativement entre 0,50 (navires de charge aux index atteints les plus bas) et 0,89 (navires à passagers aux index atteints les plus hauts).

    Les probabilités de non survie des navires étudiés selon Solas 2009 sont donc encore relativement élevées.

    Pour les navires à passagers, cela veut dire que la communauté maritime internationale (O.M.I) admet une possibilité de perte importante en vies humaines (passagers et équipage). Quelques scientifiques, rendus indépendants par des programmes de recherche gouvernementaux ou européens, tirent la sonnette d'alarme depuis peu. Pour les navires de charge le risque est encore plus grand, mais ne s'applique qu'à un équipage de format réduit ; en l'absence de pression médiatique qui s'en soucie ?

    La sécurité maritime, en termes de stabilité après avarie, n'a pas encore trouvé son Saint Graal et beaucoup de progrès restent à accomplir.

Bibliographie


F.X Nettersheim
Capitaine de 1ère Classe de la Navigation Maritime
Consultant
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