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Code ISPS :
Le Capitaine de Navire et la sûreté maritime

  Un Capitaine de Navire français est confronté à deux aspects de la sûreté maritime :
  1. MISE en CONFORMITE de son NAVIRE


  2.        Suivant le type de son navire et les lieux qu'il fréquente, les risques de sûreté ont été évalués et des mesures de réduction de risques ont été mises en place dans un plan de sûreté propre au navire.

           Evaluation et plan ont été élaborés soit par lui-même, soit par une équipe compagnie soit par une RSO. Tous deux ont été vérifiés et approuvés par une instance spéciale du Ministère des transports, une visite initiale de leur application sur le navire a été effectuée et un certificat de conformité (ISSC) lui a été délivré par la DAMGM. Comme la plupart des certificats, celui-ci est quinquennal au maximum et doit subir un contrôle intermédiaire avant son renouvellement.

           La présence de ce certificat à jour sur le navire est nécessaire mais pas suffisante. En effet comme dans tout plan de management, des vérifications de fonctionnement sont organisées que ce soit dans le cadre de la Compagnie (inspections et audits internes), le cadre des visites statutaires (visites annuelles - audits externes) ou du Port State Control (visites des Autorités de l'État du Port).

    Voilà pour l'application de la réglementation; Mais comment tout cela s'est-il passé en réalité?

           Il faut reconnaître que les Autorités maritimes françaises ont été très réactives à l'élaboration et à l'application du code ISPS, je tenais à le dire !

           Les modalités d'approbation des évaluations et plans de sûreté ont cependant été parfois confuses et disparates mais heureusement l'élaboration d'une «doctrine sûreté des navires» en Mai 2004, par le groupe de travail interministériel chargé de l'approbation des plans de sûreté des navires, a beaucoup aidé à clarifier les choses. Même le problème de la langue des documents a été résolu, ce qui n'était pas évident du tout !

           Aujourd'hui, comme cela s'est passé pour la mise en place de l'ISM, les fonctionnaires chargés ont acquis une expérience profitable et le niveau de conformité des navires français n'a rien à envier aux autres pavillons y compris US ! (j'en sais quelque chose je viens d'en auditer un)

           Pour ce qui est des navires pavillon français, en tant que spécialiste (auditeur ISPS d'une RSO), j'ajouterai que seules les évaluations de sûreté parfois effectuées à la hâte et suivant un modèle approximatif ou incomplet sont encore plus ou moins à améliorer et que les plans de sûreté sont en général conformes et fonctionnent de manière à peu près satisfaisante.

           Pour ce qui est de l'application générale du code ISPS sur les autres navires, après quelques «bavures», on se dirige vers une situation toujours limite mais meilleure de jour en jour... mais nos fonctionnaires du PSC pourraient en parler mieux que moi ! J'ai été cependant appelé à plusieurs reprises pour revoir évaluation et plan de sûreté refusés par le pavillon ou la RSO ! Ma constatation globale est qu'on trouve encore trop d'évaluations et plans «copié/collé» ne correspondant pas au navire et donc ne risquant pas de correspondre à la réalité.

           La situation ressemble à celle de l'ISM, il y a encore peu de temps : pour de simples raisons de coût, certains armateurs ont «acheté» ou copié/collé sur internet des modèles d'évaluations et de plans, et les ont «placés» à bord. C'est en général trop bricolé pour qu'un capitaine puisse s'y intéresser vraiment ! Aussi nombre de résultats d'audit exigent une révision complète, ou au mieux, des compléments aux évaluations de sûreté et une simplification du plan de sûreté.

           Pour la petite histoire, une méthodologie d'évaluation de la sûreté a été disponible sur le site des USCG et a été utilisée par nombre de compagnies (et de ports). Malheureusement cette méthode était incomplète et a été surtout mal comprise... le résultat a été en général lamentable et souvent tout a dû être repris. D'autre part certaines compagnies ou ports sont tombés dans un gros piège mis en place par les USCG - rappelez-vous leur proposition d'aide ! - par lequel des retraités des USCG sont venus faire un travail de consultant (pas du tout gratuit) et les ont laissés dans une situation difficile qui est encore loin d'être résolue. Le résultat était tellement lamentable que je me suis vraiment demandé si les retraités USCG avaient vraiment lu le code ISPS avant de venir !

           Autres problèmes d'application du code ISPS : Les quelques conflits techniques entre sécurité et sûreté sont apparus sur les navires tout au début et certains perdurent. Il s'agit notamment :
    • de la condamnation sûreté des échappées des locaux à usage restreint (les fameuses ZAR) tout en en gardant l'accès pour des raisons de sécurité : recherche d'un blessé, attaque secondaire du feu).
    • de la condamnation des portes des emménagements donnant sur l'extérieur: étanchéité des digicodes.
    Des solutions existent et nous les appliquons. Elles ne sont pas toutes d'un prix prohibitif.


  3. LA SURETE de son NAVIRE au JOUR le JOUR


  4.        C'est ici que les petits problèmes commencent, le Capitaine de navire est aujourd'hui confronté aux situations suivantes :
    • Le volume de travail de son équipage (lui compris) a été augmenté et l'obligation de rester dans les clous des normes OIT, l'oblige à faire des choix parfois difficiles
    • La sûreté de trop nombreux ports est souvent insuffisante sinon inexistante
    • Quelques autorités portuaires font parfois excès de zèle sans connaissance suffisante du code ISPS.
    • Une personne très importante a été oubliée dans le code : l'agent de la compagnie

    1. Volume de travail de l'équipage

    2.        Les équipages vous le savez, sont calculés au plus juste et l'arrivée du code ISPS n'a pas été systématiquement accompagnée d'une augmentation des effectifs embarqués.
      • Si on a vu «SHELL» embarquer un officier administratif sur les pétroliers et les gaziers... ce cas est rare mais les Capitaines voient cela d'un bon œil. Ce n'est pas le retour de l'écrivain à bord comme on a pu l'écrire mais bien une nouvelle fonction de lieutenant administratif qui est vraiment une valeur ajoutée. Commander c'est savoir aussi déléguer... déléguer l'administration du système de management global du navire (sécurité, sûreté, qualité) à l'aide de softwares de plus en plus au point est un des moyens d'assurer son bon fonctionnement.
      • Le cas le plus général, est vous le savez, une augmentation des tâches sans augmentation des effectifs. Les tâches de sûreté se sont ajoutées à celles de la navigation, de la sécurité, des opérations commerciales et de la maintenance... et nous sommes sceptiques sur les résultats d'une future étude de l'OMI là-dessus. Pour nous l'équation de notre métier reste toujours la suivante :
        Navigation + Sécurité + Opérations Commerciales + Maintenance du navire = Temps complet
             Si nous ajoutons les tâches de sûreté, la maintenance hors sécurité devrait être la première à en souffrir. Les tâches de maintenance hors sécurité ont déjà été largement amputées dans le passé (propreté, peinture), il ne faudrait pas que contraints et forcés les capitaines donnent dans la facilité et amputent ensuite des secteurs essentiels comme la formation continue à bord (exercices et réunions sécurité). C'est une crainte réelle aujourd'hui que, vu les tâches ordinaires, les équipages ne puissent plus se préparer aux tâches extraordinaires que sont les situations d'urgence. D'abord marins, puis pompiers et maintenant agents de sûreté.... On pousse un peu le bouchon trop loin à notre avis sur tout lorsque la revalidation des compétences correspondantes n'est fonction souvent que du temps de navigation ! Les capitaines de navires aujourd'hui manifestent leur doute et prient nos décideurs de se pencher sur ce problème avant qu'un nouveau TITANIC ou HERALD OF FREE ENTERPRISE DISASTER qu'on appellera peut être GENESIS du nom du projet du futur paquebot de 5400 pax commandé récemment à AKER YARDS par Royal Caribbean International, ne survienne !

    3. La Sûreté des installations portuaires et des ports est loin de ce quelle devrait être


    4.        Tous les armateurs et tous les capitaines le disent : à part certaines installations portuaires à risques et quelques ports où déjà la conjoncture voulait que des mesures de sûreté importantes soient prises... pour le reste l'ISPS n'a pas changé grand-chose !

      C'est un constat global de nos capitaines : il ne se passe rien ou pas grand chose dans les ports !

      Sûreté dans les Installations portuaires :

             Les autorités portuaires viennent vérifier que le contrôle des accès à bord est bien en place 24h/24 et 7j/7 ; par contre, les véhicules des visiteurs, des badauds ou des pêcheurs à la ligne se garent toujours le long du quai ! Parfois on passe au scanner les bagages à main des passagers mais jamais leurs voitures ou les camions !

             Le marin a parfois des difficultés à se rendre à terre (souvent déconseillé) tandis que demander une pièce d'identité professionnelle aux dockers est presque un crime de lèse-majesté ! Des doutes, les capitaines en ont, et leur seule arme qui est la DOS (déclaration de sûreté), reste souvent sans réponse (même pas l'accusé de réception obligatoire)

      Sûreté dans les Ports :

             On traverse toujours la plupart de nos ports sans problèmes même quand on n'a rien à y faire, souvent un seul salut de la main suffit lorsqu'il y a par hasard quelqu'un dans la guérite, rarement une pièce d'identité est demandée lors d'un contrôle volant !

      PFSO :

             Lorsque je teste les connaissances ISPS initiales de mes élèves portuaires à l'hydro du HAVRE, souvent pour eux la sûreté c'est un agent qui a été nommé, une nouvelle carte de visite et un nouveau bureau avec des dossiers derrière lui... c'est tout ! Tout le reste est trop cher : personnel, formation, exercices et entraînements, scanners !

      La tendance actuelle est : surtout on ne fait rien ! C'est incroyable mais c'est comme cela !

      Formation continue et vérifications

             Pour ce qui est des exercices et entraînements exigés par le code ISPS, cela semble beaucoup trop compliqué pour nos ports : heureusement nous leur avons laissé l'opportunité de remplacer les entraînements par des séminaires... je n'en vois pas beaucoup non plus ! Quand aux vérifications (audits et revues) alors là c'est «silence radio»... en ce moment on envisage seulement de former des auditeurs internes, tandis qu'une revue de document reste du grec pour eux !

      En conclusion sur les ports proprement dits

             Pour les ports Européens, des doutes nous n'en avons plus : ce sont des certitudes... rien ne sera fait, les ports n'investiront pas sauf.... Si par malheur un incident de sûreté survenait ou si l'Europe vérifiait vraiment l'application de ses directives.

      Une attaque dans un port français, on ne le souhaite pas et pourtant en sûreté c'est mathématique : moins vous prenez de précautions plus vous avez de chance d'être l'objet d'une attaque !

             Les directives Européennes ont quand même fait réfléchir nos directeurs de ports : la menace des audits de l'EMSA semble booster les études de faisabilité de mesures de sûreté complémentaires... mais c'est quand même timide et bien lent !

             Pour les ports moins favorisés dans le monde, le phénomène est autre. Tous pleurent qu'ils n'ont pas les moyens ! ...et les banques mondiales sont disposées à leur prêter quelques dollars sous la pression de l'ONU. Mais elles ne le feront pas n'importe comment : des experts internationaux viendront évaluer les demandes et les estimer les coûts réels : CARAMBA encore raté !... dirait le général ALCAZAR ! Dans tout cela, nous les capitaines, nous demandons à voir.... Faut-il attendre un nouveau 11 Septembre portuaire pour que les gouvernements des ports et les assureurs se réveillent ?

             Il faut dire que la mise en place du code ISPS dans les ports n'a pas été très claire. Peu de personnes avaient compris que pour aller vite on avait confié cette élaboration à l'OMI...qui n'a de compétence que dans l'interface port/ navire c'est-à-dire que dans l'installation portuaire ou le terminal si vous voulez !

             Cela a créé beaucoup de confusion croyez-moi mais aujourd'hui grâce à la directive 65/2005 du Parlement Européen (applicable juin 2007), qui impose des mesures de sûreté équivalentes aux ports eux-mêmes, les pendules sont remises à l'heure... mais dans le reste du monde ?

      NB. Seuls les États-Unis sont à même d'imposer que des mesures efficaces soient prises mais seulement pour les ports ou armateurs commerçant avec eux, il s'agit des CSI et C-TPAT. Par contre pour les navires non de lignes et fréquentant des ports douteux, l'inscription sur une liste noire est réelle et bien embêtante.

      Les approches du port (en entrée ou sortie)

             Le code ISPS a inclus la sûreté des approches du port (zones de prise de pilotes, mouillage) dans les responsabilités de l'installation portuaire. Ce n'était évidemment que rarement possible et aujourd'hui, du moins en EUROPE, on admet logiquement que ces zones soient de la responsabilité du port. Ces zones d'approche posent problème aux capitaines ; en effet c'est en zone d'approche que le navire est le plus vulnérable : vitesse de manoeuvre, attention de l'équipage tout entier concentrée sur la manœuvre. Vous le savez tous, le LIMBURG et l'USS COLE n'étaient vulnérables qu'en approche ou dans le port !

             Les moyens de contrôle et d'arraisonnement dans la zone d'approche existent aujourd'hui à ASHIR et dans quelques autres ports bien rares. Même les USCG confient souvent ce contrôle nautique (patrouilles nautiques prévues dans le code ISPS) à des sociétés privées spécialisées car les investissements sont énormes et... les récentes rallonges budgétaires obtenues auprès du SENAT sont pour le moment destinées à renouveler leur flotte de haute mer qui en avait bien besoin !

             Chez nous on y pense bien sûr ... mais on y pense seulement, les études de faisabilité sont en cours !... tandis qu'aux USA le marché des navires «fast intercepter» explose !

      Zones adjacentes du port

             Bien que prévues dans le code ISPS (parties B 15.12 et 16.6), les zones adjacentes ont presque toujours été oubliées dans les évaluations et dans les plans de sûreté portuaires. Pourtant rien de plus facile encore aujourd'hui de garer son véhicule sur un parking près du port (dans l'W à CALAIS), le long des fleuves (ROUEN) et de sortir le STINGER du coffre et de viser tranquillement la cafétéria du ferry... justement c'est le départ du matin et il y a foule !

    5. Les EXCES de ZELE de certaines autorités exaspèrent les capitaines


    6. Quelques exemples :
      • Interdiction de descendre lire les tirants d'eau à l'arrivée
      • Interdiction de faire les essais réglementaires de mise à l'eau des embarcations Alors que ....
      • les douaniers principalement et certains autres fonctionnaires armés refusent de montrer leurs documents d'authentification et de motiver leur venue à bord
      • certains pilotes se sont sentis outragés de devoir montrer une pièce d'identité
      • que les dockers refusent obstinément de montrer quelque pièce d'identité que ce soit à la montée à bord, ici chez nous et ailleurs !
      • etc....
             Récemment Mr VACCA a transmis aux CSOs, une note du SG mer au sujet de l'accès des fonctionnaires, services de secours et pilotes à bord, qui, en fait, précise pour les navires sous pavillon français, les mesures recommandées par la circulaire MSC 1156 de mai 2005. Ce document à l'avantage d'exister et les amendements nécessaires au Plan de sûreté & contrôles des accès à bord sont en cours. Par contre on aimerait quelques conseils pour le contrôle de l'accès à bord des dockers ! ! ! !

    7. Formation ISPS des agents


    8.        La personne la plus importante que le Capitaine reçoit dès son arrivée au port est l'agent de la compagnie. Dans le port, l'agent est le représentant de l'armateur auprès des tiers : Autorités portuaires, PSC, Classe, P&I, etc.... Il est rémunéré pour s'occuper du navire et de ses opérations commerciales. Il défend par contrat les intérêts de la Compagnie. Il vit et travaille sur place, il est donc le contact privilégié du Capitaine, du SSO, du CSO pour les questions de sûreté sur place: connaissance des menaces actuelles, incidents récents, validité des mesures de sûreté prises par l'installation portuaire.

             Dans tous les cas, il sera un lien atténuateur pour toutes les formalités qui pourraient découler ou d'un incident ou d'un problème de sûreté.

             Contrairement à l'ISM, nous avions prévu la formation ISPS de tous les acteurs... sauf l'agent maritime. Il n'est pas trop tard pour y penser !
En conclusion

       Les navires ne se tirent pas trop mal de l'ISPS, bien mieux que les ports en tout cas ! Enfin est-ce que le code ISPS a amélioré la sûreté du transport maritime, ça c'est moins sûr notamment à cause du laxisme trop important des ports (également avis d'ITF).

Cdt B. APPERRY
Capitaine au long cours
Expert Maritime
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