Retour au menu
Retour au menu

Les indicateurs de performances et la culture sécurité dans l'industrie maritime
page du code ISM N°36
 

Généralités

Le code ISM a été initié suite à des accidents maritimes spectaculaires. Nous sommes toujours dans une culture réactive et ce code était autant que possible une première tentative pour acquérir une culture proactive : une culture du « prévoir » plus digne de notre intelligence. Il faut avouer que cette première tentative est restée timide et très subjective tandis que les questions classiques restaient sans réponse : que faut-il faire de plus pour prévenir les accidents ? Comment mesurer la probabilité que cette compagnie ou ce navire aient un accident ? Comment s'assurer que les marins sont suffisamment impliqués dans le management des risques de leur métier ?

Historique

Dès son entrée en vigueur, le code ISM nous est apparu un peu succinct, trop général et pour tout dire trop timide, en jouant principalement sur les objectifs. Chacun connaît la rhétorique classique… ce ne sont que des objectifs ! En effet, trop de projets avec des objectifs magnifiques d'amélioration de la sécurité dans notre industrie mais sans moyens réels pour aboutir, finissent par lasser le marin. Le code a été imposé sans vraiment de moyens pour mesurer les progrès réalisés. L'être humain que nous sommes ne peut lui aussi vivre sans mesurer ses performances et c'est d'autant plus vrai que nous sommes dans un secteur critique ou la seule bonne volonté n'est plus suffisante. Ce n'est pas la peine de réclamer l'implication de tous les acteurs de l'industrie maritime si nous n'avons pas d'instrument de mesure de notre culture sécurité.

Tentatives

Heureusement notre industrie n'est pas uniquement faite de moutons ni de kamikazes, des tentatives de mesures ont été faites notamment du côté des transporteurs d'hydrocarbures. Tout le monde a en tête le TMSA de l'OCIMF qui tente toujours de donner une note à cette industrie. Encore appelé ISM+, à ma connaissance, cette tentative est restée assez confidentielle malgré les initiatives comparables de l'OMI comme le SOHSP (Ship Occupational Health and Safety program) en 2006. Restant à l'état de recommandation ce dernier programme n'avait pas beaucoup de chances de proliférer. Mais, ô hasard du calendrier maritime, la convention MLC 2006 (ratifiée par la France le 28.2.2013) a vu le jour et est entrée en vigueur depuis avec une obligation quasi miraculeuse que notre industrie va découvrir, enfin contrainte et forcée, la règle 4.3 !
Voyons donc les obligations actuelles
ISM et les obligations concernant l'évaluation de notre culture sécurité
1.2.2.2 Les objectifs de la compagnie concernent une « évaluation de tous les risques identifiés et établir des mesures appropriées ».
Premiers pas très intéressants mais sans échelle de valeurs et restant à l'état d'objectif seulement, puis :
Revue du Capitaine mais seulement pour notifier les lacunes à la direction : trop restrictif donc.
Revue de direction pour évaluation de l'efficacité du SMS : enfin une évaluation quantitative mais comment la réaliser ?
Audit interne : il s'agit uniquement de conformité et non de fonctionnement qui semble donc rester entre les mains de la direction seulement.
En conclusion partielle : le code ne nous aide vraiment pas à mesurer notre culture sécurité et le credo de l'objectif ne satisfait vraiment personne. Nous autres marins sommes majoritairement adeptes du résultat plutôt que de l'objectif qui reste trop vague finalement.
ISM + ou TMSA (meilleures pratiques pour les opérateurs de navires citernes)
Créé comme outil pour aider les opérateurs à évaluer, mesurer et améliorer leurs systèmes de management de la sécurité prévu par le code ISM. Enfin un instrument de mesure. En utilisant des critères de performance chiffrés, l'opérateur (compagnie) peut situer sa culture sécurité et ainsi mettre en place plus facilement un programme d'amélioration ciblé sur ses critères les plus faibles peut être mais aussi comme au bac ou à l'hydro sur ses meilleurs critères. Au fait quels critères ? 12 critères :
Critère N°1 : Leadership, gestion responsabilité et implication du management. Ce critère est évalué de 1 à 4 en fonction du niveau d'investissement de la direction. En un mot une belle déclaration ne suffit pas, l'investissement de la direction doit être prouvé dans le fonctionnement du SMS.
Critère N°2 : Recrutement et gestion du personnel de terre : les critères de 1 à 4 vont du minimum de qualification et expérience à du personnel apte et volontaire pour des formations supérieures y compris en interne.
Critère N°3 : Recrutement et gestion du personnel navigant, du minimum STCW jusqu'au recrutement de personnel apte à progresser y compris pour des promotions internes à terre. La gestion comprend des séminaires périodiques de progrès concernant le SMS.
Critère N°4 : Maintenance et système de notification. Cela va du planning minimum jusqu'à la prise de mesures proactives en passant par l'évaluation de la criticité des équipements et le fonctionnement en mode dégradé.
Critère N°5 : Sécurité de la navigation qui va du contrôle minimum par le Capitaine sur la compétence de ses officiers jusqu'à leur formation complète en BRM/bridge resource management.
Critère N°6 : Opérations commerciales ; cela va du minimum jusqu'à la collaboration des opérateurs avec les fabricants pour améliorer un équipement haut de gamme utilisant les dernières innovations informatiques.
Critère N°7 : Changement de management en partant d'une procédure élémentaire jusqu'à l'introduction de son impact dans la revue de direction.
Critère N°8 : Analyse et enquête en cas d'accidents et near-misses en partant au minimum du reporting, de l'analyse et de l'enquête indépendante en cas de nécessité jusqu'au partage du feedback avec le reste de l'industrie.
Critère N°9 : Management de la sécurité par la terre comprenant l'identification et l'étude des risques allant de l'analyse élémentaire jusqu'à la revue périodique de cette évaluation avec la participation des navires et la formation correspondante des acteurs.
Critère N°10 : Management de l'environnement. Compréhensible pour des transports d'hydrocarbures mais allant du niveau de la compagnie au design environnement des futures constructions ou le recyclage des navires.
Critère N°11 : Préparation aux situations d'urgence allant du plan élémentaire de gestion des situations d'urgence jusqu'aux méthodes employées pour une simulation plus réaliste des urgences.
Critère N°12 : Mesures, analyses et améliorations allant des inspections internes jusque l'analyse et le suivi des non-conformités en passant par les audits internes.
NB : Visiblement l'opérateur OCIMF fait plus confiance à ses propres inspections via le système SIRE (Ship inspection Report exchange system) que sur le système de vérification interne.
Conclusion : on peut comprendre qu'après les marées noires successives, le code ISM ait été considéré comme insuffisant malgré que les sociétés de classification, en théorie garantes de la qualité des certifications de conformité et des vérifications correspondantes, bénéficiaient d'une « absolution » initiale. La réalité a été brutale encore une fois et même si la classe a fait son mea-culpa, la confiance n'est aujourd'hui que relative surtout du côté de la Commission européenne et de son EMSA.
Le problème n'est pas simple car notre industrie à besoin d'elles tandis qu'elles sont de plus en plus des sociétés à but lucratif.

SOHSP : Ship Occupational Health and Safety programme
Le premier TMSA est sorti en 2004 tandis que l'impact du code ISM était toujours à l'étude (les résultats n'apparaîtront qu'en 2005) tandis que l'OMI prépare une circulaire indispensable pour compléter le code ISM sur le management de la santé et de la sécurité dans notre industrie en parallèle avec le BIT qui lui aussi prépare sa convention unique qui devait faire du bruit… c'est la MLC 2006.
Tirs tous azimuts peut-être mais avec le fil rouge des « conditions de travail » majoritairement insuffisantes sur la plus grande partie de la flotte mondiale où les pavillons « respectables » gèrent de moins en moins de navires.
L'étude IMO allait démontrer que le code ISM était apparemment insuffisant en l'état. La circulaire MSC-MEPC.2/Circ 3 du 5 juin 2006 a été une belle aventure et même si elle ne s'appelle pas ISM+, elle contribue beaucoup à l'amélioration de la gestion de la sécurité. Malheureusement elle est mal connue même 9 ans après car elle reste en l'état de recommandations tandis que la référence actuelle (MLC) bénéficie d'une aura étrange que les média ont appelé le « bien-être du Marin ». Bizarrement l'exigence d'un programme de santé et sécurité au travail n'a pas beaucoup fait parler… alors que pour nous, c'est vraiment notre futur outil d'évaluation de notre niveau de culture sécurité. Ce qui nous permettra de visiblement progresser au vu de l'administration du pavillon certificateur et de nos clients.

Les critères du SOHSP

Généralités Encore une fois mal traduit par « programme d'hygiène et sécurité », la circulaire ne se cantonne pas au nombre de douches à bord ni au port des vêtements de protection comme un vulgaire CHSCT, mais nous aide vraiment à évaluer tous les facteurs de progression de notre culture sécurité au travail, que ce soit en mer ou au port.
Même si le programme prétend ne pas établir de critères spécifiques de performance, l'ensemble des éléments à évaluer en font de vrais critères qu'il nous sera facile de transposer dans notre compagnie ou sur nos navires.

Voyons les critères en détails
Critère 1 : engagement et rôle moteur de la direction. Cela paraît évident mais sur le terrain le secteur du management des RH est encore trop souvent celui que l'on considère comme le moins productif et dont on se séparera le premier en cas de crise.
Les preuves objectives d'engagement sont relativement simples : intégration de santé et sécurité dans la structure compagnie avec responsables, objectifs, budget etc. et non pas simple renvoi à un satellite appelé CHSCT. Ici la cotation va de 1 minimum au 5 de l'excellence avec budget adéquat et procédures de révision si nécessaire (NB pas de moyenne donc).
Critère 2 : Participation des employés terre et bord à tous les niveaux au programme (comité SSCT) avec avis sur l'évaluation.
Critère 3 : Système d'identification, d'évaluation et de maîtrise des risques pour le personnel, le navire, la cargaison. Cette partie qui est la plus vaste et la plus importante du programme peut être divisée en 7 chapitres :
  • Identification des risques
  • Evaluation
  • Tentatives de maîtrise
  • Programme d'entretien du navire
  • Programme de surveillance médicale
  • Préparation aux situations d'urgence
  • Soins d'urgence
NB: Une grande compagnie peut différencier ces différents critères tandis qu'une petite compagnie peut déterminer son critère de performance en 4 chapitres seulement : gestion des risques, entretien du navire, suivi médical, préparation aux situations d'urgence.
Critère 4 : Formation des employés à la maîtrise des risques. L'indice de performance va de 1 qui est le minimum où souvent les habitudes de la compagnie et du navire sont jugées suffisantes jusqu'à 5 avec une formation continue de qualité parfaitement maîtrisée et axée sur l'accès à l'information pour tous.
Critère 5 : Tenue des registres-utilisation des rapports détaillés et/ou enquêtes et accès aux statistiques y compris pour les near-misses.
Critère 6 : Gestion du personnel sous contrat (sous-traitants).
Cela va du minimum 1 où l'on considère que les sous-traitants ont aussi un SOHSP équivalent sans aucune vérification à l'audit OHS du sous-traitant et qui fait d'ailleurs partie de l'appel d'offres.
Critère 7 : Enquêtes.
Du rapport minimum à l'enquête détaillée effectuée par des personnes compétentes et indépendantes.
Critère 8 : Evaluation systématique du SOHSP par l'analyse des résultats quantifiables et perfectionnement continu via une revue périodique du programme.

Conclusion
Le SOHSP inclus certaines exigences du code ISM ou de la MLC 2006 : identification, analyse et maîtrise des risques dans laquelle la maintenance du navire et la préparation aux situations d'urgence sont incluses ; tenue des registres (notification/retour d'expérience), implication du personnel tiers ; la participation et la formation spécifique des employés. L'évaluation du programme se fait également via les audits internes et les revues de capitaine et de direction.


Comment gérer tout cela dans un SMS ?

Généralités
Au commencement des systèmes de management il est apparu à certains qu'on devait bien scinder tous les systèmes imposés ou non, moyennant quoi en cherchant bien et sans faire double emploi on se retrouve avec un SMS plus un SQ plus un système environnemental ou de développement durable pas vraiment nécessaires car déjà inclus dans le code ISM.
Les systèmes empilés sont le paradis des certificateurs qui rêvent parfois tout haut « pourvu que ça dure ! »
Soyons aujourd'hui plus pragmatiques, le système intégré code ISM et SOHSP comprend déjà sécurité/environnement et santé au travail, il suffit d'ajouter la satisfaction client et vous pouvez atteindre l'assurance qualité sans passer par ISO 9001. Bingo !

L'utilisation des critères de performance va nous aider à juger de notre niveau, donc à repérer les pistes de progrès et quantifier notre progression en termes de culture sécurité en général.

Comparaison des critères

Critères ISM Critères TMSA Critères MLC/SOHSP
Politique, objectifs, responsabilité compagnie Leadership de la direction Engagement et rôle moteur de la direction
    Participation des employés. Formation OHS des employés
Evaluation et gestion des risques : objectif uniquement Gestion de la sécurité/risques Identification analyse et maîtrise des risques
Maintenance Maintenance Maintenance
DPA Recrutement employés terre. Recrutement des marins Personne désignée pour programme
    Gestion de la fatigue (MLC 2.3)
RH et aptitude médicale.
Formation médicale des officiers
  Surveillance médicale
Premiers soins d’urgence MLC 4.1
Sécurité des opérations Sécurité des opérations  
Discrétion du capitaine Changement de management  
Vérification sous-traitance   Vérification sous-traitance
Notification analyse enquêtes/ feedback Enquêtes Enquêtes
Documentation Gestion de l’environnement Enregistrement et statistiques MLC 4.3
Préparation aux situations d’urgence/cellule de crise Préparation aux situations d’urgence Préparation aux situations d’urgence
Vérifications : revues/ audits Mesure, analyse amélioration continue Evaluation du programme amélioration continue
certification Sécurité de la navigation  


On va faire le tri avec les différents référentiels et ajouter si on veut la satisfaction du client pour une insertion discrète de normes qualité (dans le transport des passagers par exemple c'est essentiel).

Application pratique
Le programme SOHSP « marine » étant tout récent nous attendons des précisions de notre ministère de tutelle en espérant ne pas attendre trop longtemps comme pour le DUP (rappelez-vous pages du code ISM N°21 et 24). Les petites compagnies auront beaucoup de difficultés à appliquer un programme complet. Nous nous contenterons donc d'un SOHSP succinct pour le moment.
Tandis que les critères ISM sont obligatoires en tant que tels, l'obligation d'un SOHSP va nous permettre d'insérer dans nos critères les éléments manquants qui sont finalement :
  • Le rôle moteur de la direction et la participation des employés au programme avec la formation correspondante
  • Confirmation que la DPA est aussi en charge du programme SOHSP dans son job description
  • Instauration d'une surveillance médicale (suivi médical) au sein de la compagnie (médecin de la compagnie avec un programme de surveillance précisé dans le programme et rappelé dans le contrat d'embauche du personnel) et le tout dans le cadre réglementaire de la législation du travail
  • Pour les soins d'urgence, un défibrillateur dans les bureaux et à bord de chaque navire si ce n'est pas déjà fait. Pour le reste on sait faire en théorie quoiqu'un rappel périodique ne serait pas du luxe
  • Un § dans la gestion des RH sur la participation des employés au programme y compris via le CHSCT ainsi que leur formation correspondante
  • Pour les statistiques, si votre système REX est bien fait, vous avez déjà une partie santé dans la grille d'analyse

Il nous restera enfin la partie amélioration continue qui est quasiment inexistante dans le code ISM sauf au niveau des objectifs où tout le monde s'est limité aux exercices de situations d'urgence en oubliant systématiquement l'amélioration des compétences en matière de gestion de la sécurité. (il a fallut par exemple l'édition de 2014 – c'est à dire 20 ans après la naissance du code pour voir surgir la formation DPA - chapeau!)

Proposition de tableau de critères de performance auquel vous pourrez ajouter un critère de satisfaction de la clientèle si le cœur (et votre patron) vous en dit.

  Critères ISM/MLC 2006/SOHSP  
1 Politique/Objectifs/Responsabilités compagnie /5 
2 Evaluation et gestion des risques y compris RH /5 
3 Maintenance/équip. critiques/mode dégradé /5 
4 DPA, ISM et SOHSP /5 
5 Gestion de la fatigue/surveillance médicale /5 
6 Sécurité des opérations/amélioration continue /5 
7 Responsabilités et discrétion du capitaine /5 
8 Gestion de la sous-traitance /5 
9 Analyse enquêtes/ feedback pour prévention /5 
10 Gestion documentation/veille réglementaire /5 
11 Préparation aux situations URG/cellule de crise /5 
12 Vérifications : revues/audits /5 
  TOTAL /60 


Ensuite on va choisir les niveaux de conformité quantitatifs. Ici la notation de 0 à 5 type anglo-saxonne est attractive car elle ne permet pas une notation laxiste de « la moyenne », la virgule n'existe pas. Aussi en cas d'évaluation « moyenne » le choix devra être fait entre 2 et 3. Super !
Il ne nous reste plus qu'à déterminer les éléments de chacun des critères pour faire apparaître un score qui déterminera un niveau de culture sécurité.

En conclusion : Vous pouvez donc appliquer un SOHSP pur et dur et l'évaluer comme prévu dans la circulaire OMI ou vous pouvez appliquer l'évaluation quantitative comme ci-dessus en attendant.
Notre démonstration sera pour la prochaine fois.
Cdt Bertrand APPERRY
AFCAN AFEXMAR IIMS
août 2015


Retour au menu
Retour au menu