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Les règles probabilistes pour l'étude du compartimentage
et de la stabilité après avarie des navires de charge secs
sont-elles suffisantes ?

  1. Introduction :


  2.        Les règles de compartimentage et de stabilité après avarie ont été en partie harmonisées après un long travail piloté par l'OMI ( une dizaine d'années ). Depuis le 1er janvier 2009 les navires à passagers sont étudiés selon des règles dites probabilistes. Les navires de charge sec étaient déjà « probabilistes » depuis 1992.

31 août 2009 / collision navire/navire devant Rotterdam
  Solas 2009 englobe maintenant dans un même corpus probabiliste les navires à passagers et les navires de charge sec. Un nouveau chapitre II-1 de Solas est désormais en vigueur et s'applique aux navires neufs. De nombreux types de navires ne sont pas couverts par ce nouveau texte : pétroliers, chimiquiers, gaziers, navires dont le franc-bord est de type « B réduit », navires rapides, ...

       Le concept probabiliste est principalement issu des travaux originels du Professeur K. Wendel dans les années 1960. Le principe a séduit immédiatement les chercheurs et également les législateurs. Le but de toute étude de la stabilité après avarie et du compartimentage des navires est d'évaluer le niveau de sécurité ou le niveau de risque ( les concepts sont liés ) présenté par le projet . L'avarie considérée est essentiellement la collision. Celle-ci peut être la collision avec un autre navire, mais aussi la collision avec un obstacle comme un ouvrage portuaire, une glace dérivante, par exemple.


  1. Le concept probabiliste :


  2.        On ne postule plus, comme c'était le cas pour les règles dites déterministes, une avarie «théorique», appliquée sur un compartimentage projeté. On ne cherche plus à évaluer un résultat final de type conventionnel : une non immersion donnée et une certaine stabilité après avarie.

           On calcule en fait avec cette méthode un niveau de sécurité lié au navire, son architecture générale étant «librement» dessinée, et on le compare à un niveau fixé arbitrairement. La fixation de ce niveau arbitraire est du niveau du législateur dans l'application qui est faite de la méthode probabiliste au domaine de la réglementation. Sur le plan d'une étude strictement théorique, on peut fixer ce niveau où on le souhaite en fonction des objectifs de l'étude.

    La méthode probabiliste s'appuie sur la notion de niveau de sécurité ou de risque, les deux notions étant liées. On a :

    Risque = P.C
    P = probabilité pour qu'un événement survienne
    C = gravité des conséquences de la survenue de l'événement

    On évalue le niveau de sécurité par : Niveau de sécurité = [ 1 - Risque ]

    La méthode probabiliste d'étude de la stabilité après avarie est très globale, et se décline ainsi :
    =>on part d'un navire donné dont l'architecture est libre
    =>on effectue une analyse d'avarie de bordé sur toute la longueur du navire, en considérant un envahissement de chaque espace/compartiment
    =>pour chaque espace/compartiment ( ou groupe d'espace/compartiment ) on calcule un « niveau de sécurité » basé sur =
    • la probabilité d'impact à l'endroit ( compartiment ) considéré
    • une probabilité d'étendue et de pénétration de l'avarie
    • une survivabilité associée, laquelle est évaluée en termes probabilistes en fonction de la stabilité résiduelle, du chargement, de la hauteur d'avarie, des conditions environnementales (état de la mer)
    =>on effectue ensuite la somme de tous ces niveaux de sécurité individualisés afin d'obtenir un niveau de sécurité global
    Il n'y a pas d'exigence pour chaque avarie prise séparément, seul le résultat final compte au travers de l'évaluation du niveau de sécurité.

    Pour chaque espace/compartiment ou un groupe d'espace/compartiments, on calcule le facteur suivant : ai=pi.si
    - i : indice du compartiment considéré (ou du groupe de compartiments considéré)
    - a : représente le « niveau de sécurité » du compartiment considéré (ou du groupe de compartiment considéré)
    - pi représente la probabilité d'envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiments considéré)
    - si représente la probabilité de survie après envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiment considéré)

    En effectuant la sommation de tous les calculs de niveau de sécurité individuels, on obtient ainsi une valeur A appelée «index de compartimentage» ou «index atteint» :
A est appelé «index atteint»


    L' index atteint A, représente un « niveau de sécurité » du navire. Ce niveau est sans signification s'il n'est pas comparé à un critère, pour dire si ce niveau est bon ou pas.

    La méthode probabiliste établit un index R appelé «index requis» et l'on doit avoir : A > R.

           La fixation de ce niveau a un caractère «arbitraire» : dans le domaine des études, il est déterminé selon les choix des chercheurs, en fonction des statistiques d'avarie, en fonction des types de navires, des niveaux de sécurité recherchés, etc ... En matière réglementaire, il correspond à quelque chose de « sociétal » : R est en quelque sorte un « niveau de sécurité minimal » tel qu'accepté par la société ou imposé à elle par le législateur, en fonction de critères scientifiques, techniques, économiques, sociologiques donc … politiques. Calculer ou plus exactement fixer l'index requis R n'est pas difficile. Il suffit de placer la barre à un certain endroit en fonction de certains critères, tel qu'énoncé ci-dessus. Calculer l'index atteint A est une toute autre chose. En effet, pour que la méthode probabiliste soit acceptable sur le plan scientifique, il faut que le mode de calcul de l'index atteint A soit basé sur des notions rationnelles.

    En résumé :
    A = probabilité [avarie si collision] x probabilité [survie si avarie]
    A = probabilité [survie si collision]

    [1 - A] = probabilité [perte du navire si collision]
    [1 - A] est le risque de couler (ou de chavirer et couler) en cas de collision

    On peut donc dire aussi que [1 - A] est le pourcentage d'avaries auxquelles le navire ne peut résister et donc que [1 - R] est le pourcentage d'avaries auxquelles le navire ne doit pas survivre, par rapport au niveau fixé.

  1. Le calcul de l'index atteint pour les navires de charge sec :


  2.        Le calcul de A s'effectue au départ pour un « cas de chargement » donné. Une évaluation complète du niveau de sécurité implique de calculer A dans tous les cas de chargement imaginable pour un navire donné. On peut alors pondérer les valeurs de A en fonction de l'intensité que l'on souhaite donner au A spécifique à un cas de chargement.

    n = nombre de cas de chargement étudié
    wi = coefficient de pondération pour chaque cas de chargement

    La lourdeur des calculs n'est acceptable qu'au niveau d'une recherche. Pour des applications législatives, il faut évidemment se limiter.

    Dans Solas 1992 (tous les navires construits jusqu'en 2009), par exemple, on a :

    s = 0,5.si+0,5.sp
    (on notera que la pondération s'effectue sur les probabilités de survie «s» , ce qui revient au même)

    Les facteurs de survivabilité sont pondérés à 50% pour les cas «deepest load line» et «partial load line», définis dans les règles.

    Dans Solas 2009, on a :

soit :
(les wi valant [0,4] , [0,4] et [0,2])
    A = 0,4.As+0,4.Ap+0,2Al

    Les index partiels sont calculés à «full load» , «partial load» et «light service», tels que définis également dans les règles. On fait désormais participer le cas «light» au calcul de l'index atteint global.

  1. Le problème :


  2.        L'acceptation par le législateur du caractère probabiliste de la pondération des cas de chargement dans la formule réglementaire de l'index atteint est particulièrement inquiétante aux yeux de certains spécialistes et de quiconque réfléchit un peu à ces questions. Cette position est pourtant celle de l'OMI dans Solas 1992 et Solas 2009.

           Pour Solas 2009 par exemple, elle revient en effet à considérer comme une donnée statistique rationnelle que le navire étudié est exploité 40% du temps à pleine charge, 40 % du temps à mi-charge et 20% du temps lège… Les bases statistiques de cette hypothèse paraissent bien faibles. Un armateur digne de ce nom fera tout pour éviter ce schéma peu productif !

           Nous avons indiqué ci-dessus que pour des applications législatives, il faut évidemment se limiter. La question qui se pose est alors : quel degré de simplification est acceptable ?

           Dans l'exemple ci-dessous de dossier stabilité après avarie d'un navire de type bulk-carrier handy size récent (construit en 2008, donc étudié selon Solas 1992) , on peut distinguer les faibles résultats obtenus sur les Si dans les cas de chargement «deepest load line = dp» et «partial load line line = dl» pour chaque avarie considérée.

    Résumé des calculs d'index bulk-carrier handy size =
 Flood Compart.    Full load    Part load    Total
 1 compart.    0,1763    0,2426    0,4189
 2 compart.    0,0441    0,1476    0,1917
 3 compart.    0,0000    0,0047    0,0047
 4 compart.    0,0000    0,0000    0,0000
             
         ATTAINED INDEX « A »    0,6153
             
         REQUIRED « R »    0,5372
    On a bien A > R .

    Ce faisant, l'exigence sur l'index atteint global n'est pas très forte, car à l'évidence c'est le cas partial load qui «sauve» l'index !

    La réglementation appliquée à ces navires ne les protège donc pas beaucoup, car il n'y a pas de seuil minimal pour les situations considérées.

    A-t-on progressé quelque peu avec Solas 2009 ?

           Les travaux diligentés par l'OMI pendant près de 10 ans n'avaient pas pour but de progresser mais seulement … « d'harmoniser ». Comme les amendements 1992 de Solas avait été conçus sans souci de progrès également puisque les règles ont été ajustées aux navires existants de l'époque, on conviendra que la situation a quelque chose d'inquiétant.

           L'absence de seuil minimal pour les index atteints partiels était toutefois une si évidente faiblesse des règles Solas 1992, que l'OMI a été obligée d'accepter une mesure plancher. Le législateur international a introduit une très légère protection dans la partie basse de la fenêtre en exigeant dans Solas 2009 un seuil minimal pour les index atteints partiels : ceux-ci doivent être supérieurs à [0,5.R] pour les navires de charge.

    Pour les navires à passagers il a été introduit l'exigence [0,9.R] (qui est plus satisfaisante).

    Pour les navires de charge secs, on doit donc avoir :
    As > 0,5.R
    Ap > 0,5.R
    Al > 0,5.R

    Sur le schéma qui suit, on a représenté les résultats des calculs d'indices partiels pour deux navires de type porte-conteneurs en construction en Asie, donc étudiés sous Solas 2009.


    Par application de la formule réglementaire pour l'obtention de l'index atteint A = 0,4 As + 0,4 Ap + 0,2 Al, on obtient bien dans les deux cas A > R.

    Pourtant l'indice atteint à pleine charge est inférieur à l'indice requis !

           De tels navires naviguent très souvent à pleine charge ou presque - hors situation de crise économique majeure ... On peut donc conclure que la condition d'exploitation normale est telle que leur indice atteint opérationnel est de l'ordre d'approximativement [0,57/0,60] pour un indice requis de [0,75/0,78] …

           S'il y a collision dans ce cas de chargement, le navire aura un indice de [0,57/0,60]… S'il s'agit d'une collision à haute énergie, on peut s'inquiéter de la capacité de résistance du navire. Si de plus la collision a lieu près d'une cloison transversale de cale, conduisant à l'envahissement de deux compartiments alors le pire est à craindre…

           C'est la notion même de pondération qui est critiquable, car elle ne repose sur aucune base scientifique. Nous ne sommes pas ici dans un domaine probabiliste sérieusement étudié, car la distribution de probabilité utilisée est fausse car trop simpliste.

    Il n'est par ailleurs pas normal de considérer comme acceptable des index atteints partiels aussi bas que [0,5 . R].

           C'est certes un infime progrès d'avoir fixé un seuil minimal pour les index atteints partiels, mais c'est bien parce que le défaut des règles était tellement évident que l'OMI l'a fait. Le raisonnement aurait dû être scientifiquement poussé jusqu'à son terme.

  1. En conclusion :


  2. En fait, il ne devrait y avoir aucune pondération. Le calcul de l'index atteint A selon la formule :

qui dans Solas 2009 équivaut à : A = 0,4.As+0,4.Ap+0,2.Al
    devrait être remplacé par la condition suivante :

    As , Ap , Al > R

    En d'autres termes la règle devrait être que chaque index atteint partiel devrait être supérieur à l'index requis. Cela revient à dire que l'index atteint de chaque cas de chargement doit être supérieur à R. On serait ainsi dans le cas logique d'une protection homogène du navire en cas d'avarie, quel que soit le cas de chargement. Après tout, il serait bien normal que l'index requis R, qui est bien le niveau de sécurité «cible» pour le navire en question, s'applique à toutes les conditions de navigation ! Cette condition garantirait le niveau global de sécurité fixé au travers de l'index requis R.

           A défaut de la mesure ci-dessus, seule scientifiquement acceptable, une pondération moins favorable de la règle du cas «full load» devrait être étudiée à l'OMI, à l'image de ce qui a été fait pour les navires à passagers.
  François-Xavier Nettersheim,
Capitaine de 1ère Classe de la Navigation Maritime,
Ingénieur d'Armement indépendant
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