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Jugement pour affaire de pollution :
cas du CMA-CGM VOLTAIRE

 
Dans la revue n°661- Le Droit Maritime Français " Spécial Pollution", nous relevons dans les observations du professeur Bernard BOULOC (professeur à l'université de Paris I) paragraphe II – "sur la preuve de l'infraction" suite à l'étude du procès en cour d'appel de RENNES du CGM VOLTAIRE du 13 janvier 2005



"……il semble bien exister un doute sur l'apparence de la nappe elle-même."

       La Cour se réfère enfin à l'expertise du "témoin Jean-Paul Castanier, expert en pollution maritime à la direction générale des douanes, qui a confirmé, à la présentation des photographies versées au dossier, l'existence de traces d'hydrocarbures dans le sillage du navire bien visibles, notamment sur la photographie n° 4 où, entre les traînées d'écume d'eau laissées par le sillage, apparaissent de nombreuses traces gris argenté".

       Nous sommes donc en présence d'une nappe dont l'apparence est successivement "irisée", puis "argentée" puis au dire de l'expert des douanes, "gris argenté".

       La mission de l'expert des douanes ne semble pas facile. Elle l'est d'autant moins que, de par son statut, il lui est interdit de prendre position contre l'Etat. Des questions se posent donc, relativement à la qualité de l'expert, à son indépendance, à son impartialité.

       Il résulte en effet de l'article 3 alinéa 4 du décret du 29 octobre 1930 que les fonctionnaires n'ont pas le droit de procéder à des expertises ou de donner des consultations dans les litiges intéressant l'Administration, à moins qu'ils n'interviennent au profit de celle-ci.

       Un fonctionnaire de l'administration des douanes ne peut être indépendant de l'Etat.

       La question se pose donc da la régularité d'une telle intervention au regard de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme.

       Du point de vue du droit européen, et en particulier des droits de l'homme, il convient de souligner que cette circonstance est de nature à affecter la validité d'une procédure.

       Compte tenu de ce qui précède, il est assez surprenant que la cour ait estimé que "dès lors, la preuve de l'élément matériel du rejet d'hydrocarbures par le navire CMA CGM Voltaire se trouve rapportée."

       On doit être également surpris du considérant par lequel la Cour déclare que "faute par le commandant du navire de justifier d'une raison ou d'un incident qui aurait occasionné ou nécessité le rejet constaté dans le sillage de ce navire, ce rejet doit être présumé volontaire".

       En effet, la charge de la preuve semble renversée et le caractère volontaire du rejet, c'est-à-dire la culpabilité, être présumé.

       Ultérieurement, la Cour affirme avec netteté que "la preuve de l'Infraction est suffisamment rapportée sans qu'il soit besoin de recourir à d'autres moyens de preuve".

       Cette décision ne parait pas conforme aux principes évoqués ci-dessus, et, sur le plan technique, la confusion entre irisation, aspect argenté et aspect gris argenté laisse d'autant plus perplexe que la littérature technique sur le sujet établit à cet égard deux très nettes distinctions.

       L'équité impose le recours aux moyens de preuve modernes que sont les prélèvements, les analyses, l'examen de l'ADN ou encore les empreintes digitales.

       On ne saurait condamner pour crime de sang au vu de seules photographies de tache qualifiées alternativement de rouge, de rose ou d'arc en ciel. Il doit en être de même en matière de pollution maritime. Les Suédois l'ont compris, et comme bien d'autres, ils dotent leurs agent des moyens adéquats.

       Il est évidemment souhaitable que la France puisse en faire autant.

  Bernard Bouloc
Professeur à l'Université de Paris - 1
(Panthéon-Sorbonne)
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