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Quelle sécurité sociale pour les gens de mer résidant en France,
embarqués sous pavillon étranger ?

Article 31 de la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016(1).
 
Par le Professeur Patrick CHAUMETTE, Université de Nantes, Centre de Droit Maritime et Océanique EA 1165 (2)



L'article 31 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 constitue la contribution française à la généralisation de la protection pour les gens de mer, recherchée par la Convention du travail maritime de l'OIT de 2006 et la Convention 188 de 2007 sur la pêche maritime, non encore entrée en vigueur. Après trois échecs en 1936, 1946 et 1987 pour affilier les marins à l'Etat du pavillon, approche traditionnelle, ces conventions tentent l'approche par la résidence des gens de mer, toutefois combinée avec l'approche classique. Il en résulte une évolution du système national, quoique marginal, dans un chantier international complexe vers une généralisation dans un horizon peut-être inaccessible.

Envisager la protection sociale des gens de mer est un travail herculéen. Le secteur de la marine marchande est internationalisé, caractérisé par une liberté d'immatriculation du navire, donc une mise en concurrence des législations sociales. Déjà, en elle-même, la question de l'internationalisation de la protection sociale et complexe(3). Le rattachement classique des gens de mer à la législation de l'Etat du pavillon a conduit à la création dans les Etats européens à des registres d'outre-mer ou à des registres internationaux, adaptés à la concurrence internationale, c'est-à-dire avec une différenciation de travail à bord, aux dépens des marins « internationaux », non européens, principalement en matière de protection sociale. Le Conseil constitutionnel a considéré que le centre des intérêts du marin se situait à sa résidence, à ses dépens en quelque sorte, justifiant ainsi la différenciation de traitement(4). Le code des transports de 2010 définit la couverture sociale des marins, embarqués sous pavillon français, à l'Etablissement des Invalides de la marine (ENIM), et prend en compte le Règlement européen de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale (Règlement 1408/71, puis 118/97 et 883/2004 du 29 avril 2004), qui rattache les marins à l'Etat du pavillon du navire classiquement(5).
 
Dès lors pourquoi envisager un rattachement résidentiel, tellement beveridgien, et si peu bismarckien ? La question est posée depuis la ratification par la France de la Convention du Travail Maritime de 2006 de l'OIT pour la marine marchande, et de l'éventuelle entrée en vigueur de la convention OIT 188 sur la pêche maritime(6). Elle s'insère dans un chantier herculéen, celui de la protection sociale internationale minimale des gens de mer, chantier mis en œuvre par l'OIT en 1936, 1946 et en 1947, sans succès, remis sur le métier en 2006.

Il faut d'abord distinguer classiquement ce qui relève de la relation de travail et ce qui relève de la protection sociale. Les soins médicaux à bord et à terre sont dus par l'armement, sous le contrôle de l'Etat du pavillon gratuitement pendant la durée du service à bord (Règle 4.1). Il en va de même quant aux conséquences financières des maladies, accident ou décès survenant pendant le service, dans le cadre d'un contrat d'engagement maritime ou résultant de leur emploi dans le cadre d'un tel contrat (Règle 4.2) ; il s'agit des risques professionnels, dus au travail. La législation de l'Etat du pavillon peut limiter la responsabilité de l'armateur à une période de 16 semaines. En vue de sa dimension universelle, la convention de 2006 a fort peu innové sur ces points ; elle a « consolidé » les conventions antérieures. Au contraire, la démarche de prévention des risques au travail, jusque-là faible dans le secteur maritime, réduite à une approche technique, a été mise à niveau (Règle 4.3), en intégrant les directives pratiques élaborées dès 1996. L'accès aux installations de bien-être à terre (Règle 4.4) reprend les dispositions de la convention 163 de 1987.

La sécurité sociale est différente (Règle 4.5) ; elle a une dimension familiale, concernant les gens de mer et les personnes à leur charge ; l'objectif est que les gens de mer bénéficient d'une protection sociale pas moins favorable, donc équivalente, à celle dont jouissent les travailleurs terrestres, en commençant par la couverture de seulement trois risques sociaux, puis une extension est souhaitée.

  1. Du navire à la résidence.


  2. Traditionnellement, le marin était rattaché à la législation de l'Etat du pavillon du navire. La Convention OIT n° 70 sur la sécurité sociale des gens de mer de 1946 n'avait reçu que sept ratifications, la Convention OIT nº 165 sur la sécurité sociale des gens de mer (révisée de 1987) n'en a eu que trois. Le rattachement au critère de résidence familiale n'était que subsidiaire afin d'éviter des conflits de lois (art. 17, convention 165).

    Ce rattachement du marin à la loi du pavillon fut repris par le Règlement européen de coordination des régimes de sécurité sociale (Règlement 1408/71, puis 118/97 et 883/2004 du 29 avril 2004). Il correspond aux traditions nationales dans les systèmes d'assurances professionnelles (art. L. 5563-1 C. Transports, art. 7 de la loi espagnole LGSS) ; Il complique les législations nationales liée à la résidence des personnes protégées, comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Le développement des équipages internationaux a multiplié les difficultés : de plus en plus de marins ne résident pas dans l'Etat du pavillon du navire. Quand cet Etat du pavillon prend en plus en compte la résidence, il tend à exclure les marins « étrangers », dont les familles évidemment résident à l'étranger. Dès le 27 septembre 1989, la Cour de Justice des Communautés européennes a rappelé à l'ordre les Pays-Bas, puis à nouveau le 7 juin 2012(7). A partir de 1986, le développement des registres d'outre-mer et des registres internationaux par les Etats membres de l'Union européenne, afin de s'adapter à la libre immatriculation internationale a multiplié les situations complexes pour les marins non européens. Le 28 avril 2005, le Conseil Constitutionnel français a validé le rattachement des marins, qui ne résident pas en France, à la législation de leur lieu de résidence, centre des intérêts du marin. Les exigences du droit européen compliquent ce lien simpliste. Il faut aussi ajouter le développement du rôle des sociétés de manning, mettant en place une triangulation des relations de travail.

    Les travaux du groupe de travail qui a préparé la Convention du travail maritime de l'OIT, entre 2001 et 2006, ont pu ainsi constater l'échec d'une protection sociale des gens de mer et de leur famille par le biais d'un rattachement à la législation de l'Etat du pavillon. Il en est donc résulté une nouvelle approche complexe, qui peut-être portera des fruits avec le temps. Le critère premier et ultime est le rattachement à la résidence habituelle du marin (Norme A4.5-3). L'Etat de résidence, fournisseur de main d'œuvre peut faire face à cette responsabilité par le biais d'accords bilatéraux ou multilatéraux, ou par des systèmes fondés sur des cotisations (Norme A.4.5.4). Il existe donc des rattachements alternatifs, mais qui doivent être organisés. La référence minimale est la protection sociale dont bénéficient les travailleurs terrestres. La convention OIT de 2006 est entrée en vigueur en août 2013, mais seulement le 28 février 2014 en France, 35ème Etat concerné. Pour autant, le législateur devait définir une solution sans trop attendre. Le premier rapport de 2015 de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT (CEACR) annonçait clairement la couleur, même si le rapport français ne sera examiné qu'en 2016.

    En ce qui concerne la sécurité sociale, la Commission d'experts rappelle que la norme A4.5 § 2 et 3 oblige tout Membre à prendre des mesures, en fonction de sa situation nationale, pour assurer au moins trois des neuf branches de la protection de sécurité sociale pour tous les gens de mer qui résident habituellement sur son territoire. La Commission d'experts note, dans son premier rapport de 2015 que, au moment de la ratification, conformément à la norme A4.5 § 2 et 10, chaque Membre a spécifié les branches de sécurité sociale qui sont assurées aux gens de mer résidant habituellement sur son territoire.
    Cette obligation peut être satisfaite de diverses façons, comme l'indiquent la norme A4.5 § 3 et 7, et l'attribution des responsabilités peut aussi être l'objet d'accords bilatéraux ou multilatéraux conclus dans le cadre d'une organisation régionale d'intégration économique, comme le prévoit le paragraphe 4. La Commission a noté que des accords régionaux ont été conclus entre des Membres et que, dans certains cas, des Membres ont passé des accords bilatéraux avec d'autres pays. Toutefois, ces mécanismes et dispositifs ne semblent pas être répandus et les informations sur cette question importante ne sont pas claires.
    La Commission souhaite aussi souligner que, même si l'obligation principale incombe au Membre sur le territoire duquel le marin réside habituellement, en vertu de la norme A4.5 § 6, les Membres doivent examiner les diverses modalités selon lesquelles, en l'absence d'une couverture suffisante dans les neuf branches de sécurité sociale, des prestations comparables seront offertes aux gens de mer, conformément à la législation et à la pratique nationales(8).

    La convention OIT 188 sur la pêche maritime retient le même lien d'affiliation : Sécurité sociale Article 34 : « Tout Membre veille à ce que les pêcheurs résidant habituellement sur son territoire et, dans la mesure prévue par la législation nationale, les personnes à leur charge bénéficient de la sécurité sociale à des conditions non moins favorables que celles qui s'appliquent aux autres travailleurs, y compris les personnes salariées ou indépendantes, résidant habituellement sur son territoire. »

  3. Un état des lieux complexe.


  4. Le rapport direct de la CEACR au Danemark, aux Philippines et à la Suisse demande à leur gouvernement de justifier en 2016 comment sont couverts tous les gens de mer résidant soit au Danemark, soit aux Philippines, soit en Suisse et de communiquer les accords bilatéraux conclus. Notre collègue Xosé Manuel CARRIL VASQUEZ a très bien montré comment des marins espagnols, embarqués sous pavillon norvégien, mais ne résidant pas en Norvège, n'avaient droit à aucune protection sociale avant 1994, mais aussi comment la Norvège n'a nullement complété son critère de la résidence par une affiliation en fonction du pavillon du navire, à partir de l'entrée en vigueur de accord de Porto, créant l'Espace Économique Européen(9). S'ouvre ainsi pour les Etats membres de l'Union européenne et de l'EEE une réflexion sur l'articulation des rattachements des conventions de l'OIT et du règlement européen. Les conventions de l'OIT permettent des adaptations, d'autres rattachements par accords bilatéraux ou multilatéraux.

    Par exemple, la France et Madagascar ont conclu une convention générale le 8 mai 1967 en matière de sécurité sociale ; un accord complémentaire du 8 novembre 1969 porte sur le régime de sécurité sociale des marins concernant notamment les marins malgaches, embarqués sous pavillon français, qui sont affiliés à l'ENIM. En cas d'accident du travail, le marin doit obtenir l'autorisation de l'institution d'affiliation pour transférer sa résidence, afin d'obtenir le versement des prestations en nature par l'institution du lieu de sa nouvelle résidence (art. 5). Deux arrangements administratifs du même jour complètent cet accord, permettant notamment à des marins français embarqués sous pavillon malgache de continuer à être affiliés à l'ENIM, sur demande de leur employeur(10).
L'ENIM a mis en ligne une fiche pratique destinée aux employeurs qui font embarquer des marins sous pavillon étranger, soit pavillon d'un autre Etat européen, soit pavillon tiers extérieur à l'Espace européen, notamment dans le cadre des conventions bilatérales conclues. Au-delà de ce cadre, le marin doit être affilié au régime de l'Etat du pavillon ; mais le maintien de l'affiliation à l'ENIM est possible, sous certaines conditions, en sus de l'affiliation à l'Etat du pavillon, à la demande de l'employeur, si le lien contractuel avec celui-ci est maintenu, dans une logique de détachement(11). La situation est ainsi déjà complexe, mais elle méritait d'être complétée en cas de résidence en France du marin, avec embarquement sous pavillon étranger.

En vue d'une adaptation à la concurrence internationale, les Etats européens ont créé, à partir de 1986, des registres bis, d'outre-mer, ou internationaux, quoique registre national, permettant une différenciation de traitement aux dépends des marins ressortissants d'Etats tiers, ou résidents d'Etats tiers(12).
 
    Ainsi l'approche de la protection sociale par l'Etat du pavillon est devenue fort compliquée ; il suffit de prendre l'exemple des équipages des navires immatriculés au registre international français (RIF). En matière d'affiliation à la protection sociale, il faut distinguer les navigants résidant en France, affiliés à l'ENIM (art. L. 5631-1 C. Transports), les ressortissants européens qui bénéficient du principe d'égalité de traitement avec les ressortissants nationaux, en principe aussi affiliés à l'ENIM (art. L. 5631-2) ; il existe une exception en cas de détachement de moins de deux années et lorsque le marin et son employeur résident dans le même Etat membre. Il faut ici envisager à nouveau les conventions bilatérales de sécurité sociale conclues par la France et un Etat dont le marin est le ressortissant. Les marins vraiment étrangers, non ressortissants de l'UE, de l'Espace Économique européen ou de la Suisse, nationaux d'un Etat fournisseur de main d'œuvre n'ayant pas conclu de convention bilatérale avec la France, non résidant en France, ne bénéficient que de la protection sociale minimale prévue par la convention du travail maritime de l'OIT ; l'employeur contribue au financement à hauteur de 50 % au moins du coût (art. L. 5631-3 C. Transports(13)). Ce rattachement à la loi de leur contrat de travail ou à la loi de leur pays de résidence a été validé par le Conseil constitutionnel le 28 avril 2005, lors de l'adoption de la loi RIF du 3 mai 2005. Le guichet unique du RIF s'est efforcé de mettre en ligne les informations les plus claires possibles, qui illustrent fort bien cette complexité(14).

    A Saint Malo, un armement dessert les îles anglo-normandes, Portsmouth et Poole, sous pavillon des Bahamas ; le siège social est probablement à Guernesey ; les marins français résidant en France n'ont aucune affiliation sociale. Sur la Côte d'Azur, près de 2 000 marins travaillent dans le yachting, des Britanniques, des personnels hôteliers philippins, des Français ; sous pavillon luxembourgeois, ils sont affiliés au régime social du Grand-Duché, sous pavillon Guernesey, Iles Vierges britanniques, Saint Vincent et Grenadines, ils doivent s'assurer eux-mêmes. Combien résident en France ? A Wallis et Futuna, plusieurs armements français immatriculent leurs paquebots, sans que leurs personnels, de nationalité française et/ou résident en France ne soient affiliés à un régime de sécurité sociale ; l'armement semble participer au financement d'une assurance. L'incendie du Boréal, devant les Falkland-Malouines, le 18 novembre 2015, a conduit au rapatriement du personnel hôtelier, ainsi qu'à la rupture de leurs CDD avec un simple préavis de dix jours. Il y a là un bel exemple de droit du travail simplifié, transférant les risques aux salariés.

  1. L'article 31 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.


  2. La convention du travail maritime de l'OIT s'est efforcée de mettre en œuvre une nouvelle approche, où le rattachement à la résidence du marin complète le rattachement à la loi du pavillon et à la loi du contrat de travail, choisies par l'employeur. Sur le plan international ce chantier va prendre du temps. Certains Etats peuvent avancer plus rapidement, combinant les approches professionnelles qui rattachent le marin à l'Etat du pavillon, et les approches plus générales de protection sociale prenant en compte les personnes résidant sur le territoire.

    Si nos dispositions législatives françaises sont convenables, sous pavillon français, vis-à-vis du minimum de protection sociale internationalement reconnu, elles ne l'étaient pas quant aux rattachements juridiques, en l'absence de toute référence à l'Etat de résidence du marin et de référence aux marins résidant en France, embarqués sous pavillon étranger. Etait-il possible d'anticiper l'entrée en vigueur de la convention en août 2013, et en France le 28 février 2014 ? Il est souhaitable que cette affiliation soit plus que volontaire et impose un financement d'au moins 50 % à l'employeur. Le choix du régime de rattachement peut ensuite apparaître comme un détail administratif (ENIM ou régime général de salariés). Il faut rappeler que la Caisse des Français de l'Etranger (CFE) a été créée pour les expatriés, ceux qui ne résident pas en France ; elle est donc exclue.

    Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 comportait un article 19 ouvrant la voie vers une affiliation au régime général de la sécurité sociale des Travailleurs Salariés (RGSSTS). Cet article a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, puis rejeté par le Sénat ; lors des débats au Sénat, l'affiliation au régime choisi après arbitrage du Premier Ministre a été contestée ; des amendements divers ont été présentés, de sorte que l'article a été rejeté. Le rattachement de ces marins résidant en France, mais embarqués sous pavillon étranger, hors de l'Union européenne et de l'Espace Economique européen, par exemple aux Bahamas, Îles Vierges britanniques, mais aussi à Guernesey territoire britannique hors Union européenne, pose question. Les affilier, par principe au régime général de sécurité sociale des travailleurs salariés (RGSSTS) semblait annoncer la lente déshérence, puis la disparition de l'ENIM, régime spécial de sécurité sociale des marins, ainsi clos sur les seuls marins embarqués sous pavillon français. Ce choix a fait l'objet d'une motion de rejet du Conseil supérieur des Gens de Mer le 17 novembre 2015. Cette motion semble avoir été entendue par le gouvernement.

    Le 23 novembre 2015, en seconde lecture, l'Assemblée nationale a à la fois rétabli l'article 19, mais aussi modifié son contenu. Le nouvel article, devenu 31 en dernière lecture, de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2016, prévoit une affiliation à l'Établissement National des Invalides de la Marine – ENIM – des gens de mer marins et au régime général (RGSSTS) des gens de mer non marins. Sa compréhension à la première approche est loin d'être évidente. La mesure entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2017. La distinction des gens mer, marins et non marins est précisée par le décret n° 2015-454 du 21 avril 2015 relatif à la qualification de gens de mer et de marins(15).

    Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, a clairement indiqué que le gouvernement entendait mettre en œuvre la convention du travail maritime OIT de 2006, à travers une affiliation obligatoire, même subsidiaire, et nullement par une adhésion volontaire du marin, susceptible d'être facultative et donc inexistante. Les marins sont affiliés à l'ENIM, les gens de mer non marins relèvent du régime général de sécurité sociale. La mise en œuvre sera précisée par un décret à venir, en vue d'une entrée en vigueur au 1er janvier 2017.

    Cette mise en œuvre ne sera pas simple, car les deux conventions de l'OIT prévoient que l'employeur finance au moins 50 % de la protection sociale des gens de mer ainsi concernés. La France se conforme aux conséquences de la ratification des deux conventions maritimes récentes de l'OIT. Mais les employeurs recourent à la libre immatriculation des navires, afin de se protéger dans un Etat du pavillon peu exigeant socialement.
    Ce sont les marins non couverts dans l'Etat du pavillon du navire, non couverts par la loi dite d'autonomie du contrat de travail, imposée par la société de manning employeur, qui en appelleront subsidiairement à leur Etat de résidence. Il appartiendrait à l'employeur, dont le navire bat pavillon étranger, de déclarer les gens de mer, marins et non marins, résidant en France, à l'un des régimes de sécurité sociale, selon leur qualification juridique. Cela risque de constituer un obstacle au recrutement même de ces gens de mer, si cette exigence est invoquée lors de l'embauchage, avec la nécessité d'un financement patronal d'au moins 50 %. Les gens de mer concernés auront intérêt à ne pas dévoiler ces mécanismes juridiques, mais devront ensuite demander une affiliation à partir de leurs contrats d'engagement maritime ou contrats de travail : dès lors, l'épée de Damoclès ne saurait rester en l'air. Nos régimes de sécurité sociale (ENIM et RGSSTS) peuvent-ils renoncer à des demandes de cotisations patronales, difficilement recouvrables si le siège social de l'employeur est hors d'Europe ? En l'absence de financement patronal, cette part sera-t-elle à la charge des gens de mer ?

    L'universalité de ces mécanismes doit commencer, sous les remarques de la Commission d'experts du BIT (CEACR). Mais il est certain qu'elle prendra du temps. Cette question de la protection sociale des gens de mer est l'un des « ventres mous » de la MLC, avec l'encadrement des sociétés de manning, mais aussi un ambitieux projet de généralisation : aucun marin en activité sans protection sociale.

Professeur Patrick CHAUMETTE,
Centre de Droit Maritime et Océanique,
Université de Nantes



1 Loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 - CC, 17 décembre 2015, n° 2015-723 DC.
2 Programme européen ERC Advanced Grant, n° 340770, « Human Sea », « Le développement des activités humaines en mer – Quel encadrement juridique ? », www.humansea.univ-nantes.fr
3 SERVAIS J.M., « Droits de la personne humaine et protection sociale – Une vision renouvelée à l’OIT », in Le travail humain au carrefour du Droit et de la Sociologie – Hommage au professeur Nikitas ALIPRANTIS, PU Strasbourg, 2014, pp. 761-772.
4 CC 28 avril 2005, n° 2005-514 DC – P. CHAUMETTE, « Le marin entre le navire et sa résidence. Le registre international français des navires », RCDIP, 2006, n° 2, pp. 275-299, art. L. 5631-3 C. Transports.
5 CJUE, 8ème ch., 7 juin 2012, aff. C-106/11, Bakker, Droit Maritime Français, DMF, 2012, n° 739, obs. P. Chaumette, « Affiliation sociale d’un marin en droit européen », pp. 700-710.
6 CHAUMETTE P. (2013), « La ratification et la transposition de la Convention OIT du travail maritime (MLC 2006). Loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable, Titre II Chap. III », Droit social 2013, n° 11, pp. 915-924 - CARRIL VÁZQUEZ X.M. (2014), “La seguridad social de la gente de mar en el Convenio sobre el trabajo marítimo de 2006”, Revista General de Derecho del Trabajo y Seguridad Social, RGDTSS, Iustel, Madrid, nº 36, Febrero 2014.
7 CJUE, 8è ch., 7 juin 2012, C-106/11, Bakker c/ Minister Van Financiën, Droit Maritime Français 2013, n° 739, pp. 700-710, n. P. CHAUMETTE, « Affiliation sociale d’un marin en droit européen » - CJUE 5ème ch., 19 mars 2015, aff. C-266/13, Kik, « De l’affiliation sociale des gens de mer en droit européen : extension vers les marins ressortissants européens, expatriés sous pavillon tiers ? », DMF 2015, n° 769, pp. 401-416 – O. FOTINOPOULOU-BASURKO, « Es necesario reformular el art. 7 de la LGSS ante la decadencia del criterio de la ley del pabellón como criterio de conexión de los sistemas de seguridad social de la gente de mar?”, Revista de derecho de la seguridad social, Madrid, ISSN 2386-7191, nº 5, 2015, pp. 63-73.
8 P. CHAUMETTE, « Convention du travail maritime OIT de 2006 : Déclaration de conformité et rapports nationaux », Neptunus, e.revue, Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, vol. 21, 2015/2
www.cdmo.univ-nantes.fr
9 X.M. CARRIL VASQUEZ, Una Cuestión de Derechos Humanos: La Protección de Seguridad Social de Nuestros Trabajadores del Mar Emigrantes en Noruega, Thomson Reuters Aranzadi, Cizur Menor, 2015.
10 http://www.cleiss.fr/pdf/conv_madagascar.pdf
11 http://www.enim.eu/sites/default/files/fichier_insert/fiche_mobilite_marins_-_france_vers_etranger_-_version_30-10-2015.pdf
12 CHAUMETTE P, « Les espaces juridiques du travail maritime », in El Trabajo en el Mar: los nuevos escenarios juridico-maritimos, J. CABEZA PEREIRO & E. RODRIGUEZ RODRIGUEZ (coord.), Editorial Bomarzo, Albacete, 2015, pp. 11-48.
13 Art. L. 5631-4 C. Transports – Le contenu de cette protection sociale comprend :
  • La prise en charge intégrale des frais médicaux, d’hospitalisation et de rapatriement en cas de maladie ou d’accident survenu au service du navire, à laquelle s’ajoute :
    1. En cas de maladie, la compensation du salaire de base dans la limite de cent vingt jours ;
    2. En cas d’accident, la compensation du salaire de base jusqu’à la guérison ou jusqu’à l’intervention d’une décision médicale concernant l’incapacité permanente.
  • Le versement d’une indemnité en cas de décès consécutif à une maladie ou à un accident survenu au service du navire :
    1. Au conjoint du marin ou, à défaut, à ses ayants droit ;
    2. A chaque enfant à charge, âgé de moins de vingt et un ans, dans la limite de trois enfants ;
  • La prise en charge en cas de maternité de la femme navigante des frais médicaux et d’hospitalisation correspondants et la compensation de son salaire de base pendant une durée de deux mois ;
  • Le versement d’une rente viagère ou d’une indemnité proportionnelle à cette incapacité définie dans le contrat d’engagement, en cas d’incapacité permanente consécutive à une maladie ou à un accident survenu au service du navire ;
  • L’attribution d’une pension de vieillesse dont le niveau n’est pas inférieur, pour chaque année de service à la mer, à un pourcentage de la rémunération brute perçue chaque année par le marin diffère selon l’âge auquel intervient la cessation d’activité.
14 http://www.rif.mer.developpement-durable.gouv.fr/affiliation-protection-sociale-r73.html
15 JORF n° 95 du 23 avril 2015 p. 7143 - Fl. THOMAS, « Gens de mer, marin ? Propos sur le décret du 23 avril 2015 relatif à la qualification de gens de mer et des marins en droit français », Carnet de recherche programme européen Human Sea, https://humansea.hypotheses.org/295

Bibliographie sommaire

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LAVELLE J. (2014), The Maritime Labour Convention 2006 – International Labour Law Redefined, Informa Law, Routledge.

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CARRIL VÁZQUEZ X.M. (2014), “La seguridad social de la gente de mar en el Convenio sobre el trabajo marítimo de 2006”, Revista General de Derecho del Trabajo y Seguridad Social, RGDTSS, Iustel, Madrid, nº 36, Febrero 2014.

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CHARBONNEAU A (2015), « L'application de la Convention du travail maritime en Afrique francophone », DMF 2015, n° 775, pp. 1009-1020

CHAUMETTE P. dir. (2016), Seafarers: an international labour market in perspective - Gens de mer : un marché international du travail, Gomylex, Bilbao, à paraître.



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