Ce n'est pas la première fois que la question de la nationalité des capitaines de navire est posée à la Cour de Justice des Communautés. Mais, dans les espèces antérieures où elle avait rencontré cette question, sa décision n'était pas significative. Dans la première de ces espèces, n'étaient concernés que les emplois autres que celui de capitaine et de second capitaine, et la Cour, strictement tenue par les termes du renvoi à elle soumis, n'avait pu statuer sur le régime applicable à ces derniers (1er décembre 1993, Commission c. Belgique, Recueil des arrêts 1993.6299). Dans la seconde espèce, elle s'était bornée à constater, dans les limites à elle imposées par les termes même de l'action en manquement de la Commission, que la Grèce avait méconnu ses obligations communautaires en ne limitant pas l'exigence de la nationalité hellénique aux seuls emplois comportant une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique, ce dans divers secteurs dont, entre autres, ceux de la navigation maritime et aérienne (2 juillet 1996, Commission c./ Grèce, Recueil des arrêts 1996.3285). Dans les deux arrêts du 30 septembre 2002, la Cour de Justice s'est, au contraire, prononcée nettement sur la question de la nationalité des capitaines, à l'occasion de litiges aux données, en quelque sorte, inversées. |
Tout d'abord, la Cour confond action ponctuelle de puissance publique et prérogative
de puissance publique. Si l'on prend, par exemple, le cas du pouvoir disciplinaire du capitaine, il est sûr que les sanctions
effectivement prononcées par lui peuvent être rares, et ne représenter qu'une part très réduite de ses activités. Il n'en
demeure pas moins que son pouvoir disciplinaire - prérogative de puissance publique - est parfaitement "habituel", puisqu'il
est permanent. Par ailleurs, le critère proposé par la Cour est frappé d'un vice fondamental : c'est un
critère rétroactif, non susceptible d'être utilisé tel quel par un législateur ou une administration nationale. Ce
n'est, en effet, qu'à la fin du voyage que l'on saura si un capitaine a exercé avec une intensité suffisante ses prérogatives
de puissance publique, et si cet exercice a représenté une part adéquate de ses activités. Mais alors, comment, pour le
législateur, faire à l'avance - ce qui est cependant sa tâche - le départ entre les situations où il pourra restreindre à ses
nationaux l'accès aux fonctions de capitaine et les autres, où cet accès devra être ouvert ? |
Le capitaine assume une seconde mission, ici aussi de manière permanente, c'est d'être le garant de la sécurité du navire. Garant de la sécurité interne par le contrôle qu'il exerce sur l'équipage - contrôle fondé sur son pouvoir permanent de discipline. Garant de la sécurité "externe", sécurité de la navigation ou protection de l'environnement. Mais sur ce point aussi, le capitaine apparaît comme le représentant de l'État du pavillon. Car, assurer la sécurité du navire c'est aujourd'hui une obligation internationale impérieuse pour l'État du pavillon. Aux termes de l'article 94-3 de la Convention de 1982 sur le droit de la mer, cet État a en effet l'obligation de prendre à l'égard de ses navires "toutes mesures pour assurer la sécurité en mer", en tant que cette sécurité est liée à l'exploitation de ces mêmes navires, certaines des modalités de cette obligation étant précisées par les conventions de l'O.M.I. (Convention SOLAS, Convention Marpol, Code ISM). Mais l'obligation d'assurer la sécurité en mer à travers le contrôle exercé par lui sur ses navires, l'État du pavillon ne peut l'exercer "personnellement" qu'avant le départ du navire. Une fois que le navire a pris la mer, il doit nécessairement la déléguer au capitaine. |
S'agissant de l'administration, il lui appartiendra, si elle le juge opportun,
de modifier la réglementation existante - par exemple en ouvrant aux ressortissants communautaires(7)
les emplois de capitaine pour les bâtiments de navigation côtière ne sortant pas des eaux territoriales. Une
telle réforme supposera toutefois l'intervention du législateur, la règle de la nationalité française du
capitaine et de l'officier chargé de sa suppléance étant inscrite dans l'article 3 du Code du travail maritime,
texte à valeur législative. Pour les tribunaux, ils sont strictement tenus de respecter la jurisprudence de la Cour de Justice, sous peine de censure par la Cour de cassation. Mais, cette règle posée, il semble que deux voies sont ouvertes à un juge qui, demain, serait expressément saisi du problème de la légalité communautaire de la réglementation française. Il peut d'abord considérer que les décisions du 30 septembre sont suffisamment claires pour pouvoir être appliquées. Il lui appartiendra alors, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, de dire, cas par cas et prenant en particulier en considération le type de navigation du navire en cause, si les prérogatives de puissance publique du capitaine de ce navire sont effectuées de façon habituelle, et représentent une part non réduite de ses activités. |