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LA PENALISATION DU DROIT EST-ELLE EFFICACE
EN MATIERE DE POLLUTION MARINE ?

Loi Perben - le point de vue d'un avocat maritime

        Lorsque les Etats-Unis ont été frappés par la catastrophe de l'"EXXON VALDES", ils ont réagi, comme nous. Mais ils n'ont pas fait une nouvelle loi pénale. Ils ont édicté une loi civile prévoyant une responsabilité pour ceux à qui on peut reprocher la pollution sans d'ailleurs dire à l'avance qui est responsable car on ne peut le déterminer qu'a posteriori en examinant les faits. Une responsabilité illimitée (cela peut se discuter) avec un certificat d'assurance illimité en partant du principe que l'armateur doit assumer les conséquences de ses actes et réparer les dommages qu'il aurait éventuellement causés. Nous sommes ici dans une perspective classique où le droit règle des litiges entre particuliers sans que l'Etat n'intervienne. En France on a préféré les sanctions pénales car on s'intéresse plus au pénal qu'au civil, au collectif qu'au particulier, c'est une maladie française qui consiste à vouloir pénaliser le droit alors que le pénal devrait se limiter à la pathologie du droit.

      Cette tendance est ancienne et a injecté son poison dans nos règles depuis fort longtemps. C'est ainsi qu'on voit beaucoup de contentieux qui devraient se traiter devant les juridictions civiles, en matière d'accident de la route par exemple, venir en correctionnelle. Cela indique une tendance infantile de notre droit où la victime aurait besoin des béquilles du Parquet pour porter plainte et où le défendeur devrait toujours répondre de son comportement devant la société et non pas devant la victime.

      Le gros argument en faveur du pénal est la dissuasion : il faut punir pour dissuader. Je vais donc admettre cette prémisse visant à décourager le trouble à l'ordre public. Mais la dissuasion n'est efficace que si les comportements qu'elle veut empêcher sont des comportements volontaires que l'homme peut choisir ou ne pas choisir, auxquels il peut renoncer délibérément. Si au contraire il s'agit de faits accidentels auxquels il ne peut se soustraire et dont il est la première victime, on devrait être hors du champ du droit pénal (sinon il y a une tentation totalitaire) tout simplement parce qu'il est impuissant à agir sur les faits. Lorsqu'un accident s'est produit il faut réparer les dommages. Il est inutile et même stupide de sanctionner par des peines puisque l'auteur de l'accident (qui a perdu son navire par exemple) n'a pas voulu le fait dommageable, contrairement au voleur qui a voulu voler ou au casseur qui a voulu casser, comme José Bové par exemple dont le président de la République a réduit la peine de prison de 4 mois ou tous ces nouveaux Robespierre de l'écologie qui vont saccager les champs de maïs transgéniques. Là il y a bien intention délictueuse alors qu'il n'y en a pas lorsqu'un navire rejette accidentellement des hydrocarbures. Donc cette extension du droit pénal est anormale.

      L'homicide involontaire par exemple ne devrait pas être une infraction mais la source d'une responsabilité civile tendant à réparer les préjudices causés, les délits objectifs en matière douanière ne devraient pas exister, le voyageur qui s'endort dans un train et laisse passer la station où il descend devrait payer le supplément et non une amende. Il n'y a en effet rien à sanctionner dans un comportement dont le voyageur est la victime. De même la mise en danger de la vie d'autrui ne devrait générer que la responsabilité civile et toutes ces dérives sont dangereuses car elles sont significatives de menaces sur la liberté individuelle et portent avec elles l'ombre inquiétante de celui qu'on appelle aujourd'hui "big brother" car il faut bien lui trouver un nom. Nous vivons dans une société de plus en plus réglementée et de plus en plus pénalisée, ce qui n'est pas sain.

      Si l'on décide que la justice est là non pour trouver la vérité mais pour faire peur de façon à dissuader les pollutions, il s'agit alors d'appliquer la réglementation quoi qu'il arrive pour avoir un effet médiatique. On peut alors condamner systématiquement sans s'embarrasser de trop de recherches de preuves grâce au système très subjectif de l'intime conviction du juge, même s'il n'y a pas eu de prélèvements sur la nappe polluante qui permettent de comparer avec le produit se trouvant à bord du navire, même si les photographies prises d'avion ne montent rien de précis, même si le navire justifie d'une facture de passage en station d'épuration, même si le navire ne rejette pas du pétrole mais des eaux de lavage avec une teneur en hydrocarbures certes, mais inférieure à 15 ppm, même si le navire passe sur une nappe provenant d'un autre navire qui est passé dans les parages la nuit précédente pendant que tout le monde dormait. En fait, la plupart des affaires de pollution dites "volontaires" révèlent ce dernier scénario.

      Certaines des sanctions infligées comme la confiscation du navire ont heureusement été écartées. Le gouvernement veut restaurer le pavillon français. Mais quelle banque aurait accepté une telle immatriculation si elle avait su qu'à la suite d'un rejet en haute-mer par un chef mécanicien peu scrupuleux, le navire aurait pu être confisqué ? C'est à dire la banque hypothécaire expropriée. Vous avez vu le débat au Sénat. Le sénateur Henri de Richemont a réussi à faire écarter par amendement ces sanctions pour les pollutions accidentelles au motif que les armateurs français devaient être traités comme les armateurs étrangers par application de la convention Montego Bay qui limite les sanctions aux seules amendes et l'Assemblée Nationale a étendu aux pollutions volontaires. Cette solution était nécessaire mais il reste des amendes dont l'énormité (3 à 4 fois la valeur de la cargaison) est choquante.

      Même s'il n'y a plus de confiscation il reste ces amendes, bien supérieures à la valeur du navire, qui peuvent être infligées. Dans quel pays sommes-nous donc pour qu'on puisse faire si peu de cas du droit de propriété et du droit d'entreprendre ? Faut-il s'étonner que tant de gens entreprenants et créatifs le quittent ?

      Marchons-nous à ce point sur la tête qu'on va peut-être inscrire dans la Constitution le principe de précaution. S'il avait été appliqué dans les temps préhistoriques, il nous aurait empêché de découvrir le feu sous prétexte que c'était dangereux ou aurait empêché Pasteur d'expérimenter des vaccinations car il y avait un risque ?

      "Si nous voulons que la France puisse œuvrer en faveur de la sécurité des mers, il faut lui permettre de développer un pavillon faute de quoi elle n'aura aucune influence." Permettre de telles sanctions revient à marginaliser le pavillon français, ce qui est en contradiction avec la politique suivie.

      Souvenez-vous du procès de l'"AMOCO CADIZ". Aux Etats-Unis les choses sérieuses : reconstituer les faits, statuer sur les responsabilités, la limitation, percer le voile social, fixer le montant des réparations et à la France les plaintes pénales contre les deux capitaines ("AMOCO + remorqueur) c'est à dire le guignol. Je trouve fâcheux que mon pays se cantonne à ce rôle.

      Vous jugerez peut être ces réflexions exagérément critiques. Elles sont pourtant animées d'un souci d'efficacité et de justice visant à aider le gouvernement dans sa démarche.



Patrick Simon, Avocat
décembre 2003


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