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Commentaires sur les 10èmes Assises de l'économie de la mer




Après Paris (2 éditions), Marseille, Brest, Le Havre, Toulon, Dunkerque, Biarritz-Bayonne, Montpellier-Sète, les 10èmes Assises de la mer se sont déroulées à Nantes, les 2 et 3 décembre 2014.
Evènement devenu incontournable qui a réuni plus de 1 600 personnes, cette manifestation a été marquée par la venue du Premier ministre Manuel Valls, du Secrétaire d'Etat chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche Alain Vidalies, et de la Ministre des Outre-mer George Pau-Langevin.
On peut lire dans les colonnes du Marin ou sur internet le compte-rendu des très nombreux thèmes qui ont été abordés. Pour autant, nous ne retiendrons ici que les sujets concernant directement notre profession, que ce soit au travers des interventions gouvernementales ou des thèmes développés par les nombreux intervenants, comme la place des entreprises françaises dans le shipping mondial, la formation maritime ou le GNL, carburant de l'avenir.

Intervention du Premier ministre

Commençant par annoncer avec conviction qu' « il n'y avait pas de grande nation maritime sans marine marchande », le Premier ministre dans un discours très volontariste a annoncé une série de mesures nécessaires et réclamées par la profession depuis longtemps. Il a d'abord rappelé qu'il venait de signer les décrets d'application de la loi autorisant les armateurs à embarquer sur les navires sous pavillon français des équipes de protection privées afin de se prémunir contre la piraterie. Pour autant, il faut souligner que cette mesure avait été arbitrée par le CIMer de 2013 et faisait partie des propositions du rapport Leroy (proposition n°6), et avait été annoncée un an auparavant par le précédent Premier ministre aux Assises de Montpellier.
Il a ensuite annoncé que la loi de 1992, qui réserve une partie du transport de pétrole brut au pavillon national, va être étendue au transport de produits raffinés. Mais cette mesure, intégrée au projet de loi sur la transition énergétique, n'entrerait en vigueur qu'à l'été 2015. Rappelons que la lenteur de la prise de mesures urgentes pour protéger notre secteur marchand a fait perdre de nombreuses unités à notre flotte qui ne compte plus que 180 navires sous pavillon RIF.
Parmi le catalogue de mesures annoncées, on peut noter celles concernant directement la marine marchande, comme le décret du 1er août 2014 harmonisant les conditions de travail à bord des navires opérant dans les eaux territoriales françaises, ou l'appel à projet de 80 M€ lancé par l'Ademe permettant de développer des ferries propres.
Evoquant brièvement la situation critique de la SNCM et son dépôt de bilan, « aboutissement malheureux mais inéluctable » selon lui, le Premier ministre a souhaité que soient préservés un maximum d'emplois. Une partie de son propos a été perturbée par l'intervention d'un participant, manifestement très remonté contre la position de l'Etat dans ce dossier.
Différents thèmes ont été abordés ensuite, tels que les investissements dans les grands ports, le soutien à la construction navale, le développement des énergies marines, hydroliennes et éoliennes flottantes. A propos de la recherche marine et maritime, le Premier ministre a déclaré que le nombre des élèves de l'ENSM passera de 1 000 à 1 500 d'ici dix ans, permettant à de nouvelles filières de répondre aux nouveaux enjeux du milieu maritime. Pour la pêche, dont les quotas seront prochainement discutés à Bruxelles, il a affirmé la volonté de son gouvernement de les défendre à des niveaux tenant compte des expertises scientifiques et de l'impact économique sur la filière.
Il a conclu en entérinant, pour le second semestre 2015, la tenue d'un grand débat parlementaire sur la politique maritime de la France suivi d'un Comité interministériel de la Mer.

Interview du Secrétaire d'Etat chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche

Interrogé par le Marin, le Secrétaire d'Etat s'est borné à confirmer les annonces faites précédemment par le Premier ministre.
A propos des compagnies de ferries en difficulté, il a évoqué la situation singulière dans laquelle se trouvait MyFerryLink, à laquelle l'autorité de la concurrence française a donné un avis positif et l'autorité de la concurrence britannique un avis négatif. Ce contentieux ne peut faire l'objet d'un arbitrage européen et l'on attend une nouvelle décision pour éventuellement lever le blocage lié à la propriété des bateaux. Il a affirmé ne pas baisser les bras pour sauver cette entreprise et ses salariés.
La situation est différente à la SNCM. Le tribunal de commerce a prononcé un redressement judiciaire, et le gouvernement souhaite qu'il y ait un repreneur. Mais le tribunal pourra-t-il donner la DSP au repreneur. C'est l'objet d'un débat avec Bruxelles, dont la négociation n'a pas encore abouti. Donc deux objectifs, poursuivre la négociation sur la reprise et, pour les salariés qui viendraient à perdre leur emploi, exiger des actionnaires actuels la réalisation d'un plan social exemplaire. Il s'est montré très satisfait des modifications de l'ENSM, affirmant que l'image de la formation des marins français était excellente auprès de nos partenaires européens ou autres, et qu'elle devait le rester.
Concernant la pêche, il a rappelé que nous étions engagés dans la définition d'une politique européenne commune ayant comme objectif la maîtrise de la ressource. Aussi, pour la prochaine négociation annuelle, il recommande une position raisonnable de façon à être entendu par la Commission.

Le point de vue d'armateurs français

Interrogés par le Marin sur la place des entreprises françaises dans le shipping mondial, Philippe Louis-Dreyfus, président de Louis-Dreyfus Armateurs, et Nicolas Sartini, directeur exécutif des lignes Asie/Europe du Groupe CMA CGM, ont montré qu'il était possible d'être français et de jouer un rôle dans le maritime mondial.
Malgré les difficultés de gérer avec un Code du travail compliqué et des contraintes environnementales, Philippe Louis-Dreyfus a souligné les atouts de la France et en particulier la compétence et la formation des navigants français, avec lesquels il est possible de créer un armement français compétitif dans le monde. Il a ajouté être heureux de pouvoir compter sur le soutien militaire de l'Etat dans les zones difficiles. Transporteur de vrac, il intervient notamment en Asie pour le transport et la logistique du charbon (Indonésie principalement avec ses 18 000 îles, Japon, Chine, Inde…) avec une dizaine de navires en commande.
Nicolas Sartini a affirmé qu'être à la fois Français et acteur important du shipping mondial permettait, avec 650 bureaux et 440 navires dans le monde, d'aller chercher la croissance où elle est, pas forcément en France et en Europe. CMA CGM est très présent en Chine, et bientôt en Inde, en Indonésie ou au Mozambique. Pour cela, il faut prendre des risques et investir. CMA CGM va prendre livraison en 2015 de 19 navires, dont six navires de 18 000 TU, créer un nouveau terminal en Inde, un hub à la Réunion, port très bien placé.
Pour autant, couvrir l'intégralité du réseau mondial nécessite de passer des alliances dès 2015, en constituant un groupement (dont CMA CGM aura la majorité) avec un armateur chinois et un armateur émirati qui gérera 20 lignes avec 200 navires. Ceux-ci seront de plus en plus grands, plus efficaces et moins consommateurs d'énergie, le nouveau dessin des bulbes permettant en particulier de réaliser des économies de l'ordre de 10 à 12%.
Concernant la mise en pratique des propositions du rapport Leroy, Fernand Bozzoni, armateur pétrolier de Socatra espère une mise en place concrète de l'extension de la loi de 1992 pendant l'été 2015. La réforme vise à éviter la disparition du transport de produits pétroliers raffinés sous pavillon français, secteur en très mauvaise santé avec la fermeture de Maersk Tankers France, et les difficultés de Sea Tankers et Socatra. Cette mesure va concerner davantage de navires affectés : une trentaine dont environ une douzaine en supplément, ce qui entraînera une création significative d'emplois de marins français. Ces navires seront-ils armés par des officiers et des marins français ? Pour le moment l'Europe exige un capitaine et son substitut francophones et européens, et des officiers et marins européens dans la limite de 25%. C'est là une contrainte, mais il faut savoir que la loi favorise l'emploi français. Il faut donc arriver à concilier les exigences de Bruxelles et les intérêts des officiers et marins français.
Pour le député Armand Leroy qui répondait avec Fernand Bozzoni aux questions concernant la marine marchande, se pose la question de la cohabitation du nombre de navires avec le nombre de marins. Le débat n'est pas encore fini. Il faut savoir ce qui est le plus important aujourd'hui, avoir des navires sous pavillon français, ou un pool de marins français. Quand on regarde autour de nous, on ne parle plus de la concurrence avec le Panama ou le Liberia, mais c'est cela dont on parle avec l'Italie, le Danemark, la Grande-Bretagne, le Luxembourg, bientôt l'Espagne. On joue avec les mêmes règles du jeu. On constate que dans les syndicats de marins européens, cette diversité du rapport au pavillon, du rapport à l'emploi maritime existe aussi. Des grands pays d'emploi maritime, comme la Pologne, la Roumanie ou la Grèce ne sont pas sur les mêmes lignes de protection que l'on peut avoir dans certains pays, notamment le nôtre. C'est une question qu'il faut aborder, un débat qu'il faut mener.
Concernant l'avenir des ferries, il ne faut pas non plus se tromper de débat. Dans l'attente du rapport Gallois sur la flotte des ferries, on peut se poser la question du besoin d'une flotte extrêmement neuve ou autre chose. Il faut œuvrer pour promouvoir l'emploi français, les sociétés françaises et le pavillon français.
Sur le pavillon français, Fernand Bozzoni pense que si l'on veut faire un registre unique et que ce soit le RIF, cela va être une révolution culturelle qui prendra énormément de temps pour modifier ce qui existe. D'après lui, on n'est pas encore prêt à cela aujourd'hui !

La Formation au sein de l'économie maritime française

L'atelier thématique concernant la formation maritime a réuni plusieurs interlocuteurs.
Des organismes tels qu'OPCA-Transports(1) ou AGEFOS PME prennent en charge la formation professionnelle. OPCA-Transports propose dans le cadre d'une formation continue prise en charge, le contrat « pro-maritime » à 12 000 € la formation et pour 180 personnes par an !
AGEFOS PME a mis en œuvre, avec le soutien financier de la Fondation Total, la formation sécurité à la pêche, accompagnement sur 3 ans qui a formé 4 200 marins, pour que ceux-ci, à bord d'embarcations de moins de 12 mètres soient formés à la nécessité de porter un gilet, des chaussures de sécurité et d'avoir des gestes adéquats.
Alain Pomés, directeur du Centre Européen de Formation Continue Maritime (CEFCM), a souligné que l'Unesco avait classé la formation en 3 catégories : la formation initiale pour acquérir un métier, la formation initiale continuée et la formation continue, formation de la seconde chance, destinée à tous ceux qui souhaitent progresser dans une activité professionnelle maritime.
La préoccupation du CEFCM est de faire en sorte que les formations soient les plus polyvalentes, les plus transversales possibles pour permettre aux salariés de changer de fonction, d'activité, voire de domaine professionnel. Le temps de navigation est de plus en plus court et les marins doivent pouvoir ensuite valoriser ailleurs leurs compétences. Le CEFCM s'est mis en situation d'anticiper et de gérer ces transferts de compétence plutôt que de les subir.
On notera l'intervention d'un chef mécanicien de sept ans de métier affirmant que le marin était apprécié dans les emplois à terre car il avait acquis son expérience durant sa navigation et avait ainsi développé des qualités qui s'avéraient précieuses à terre.

Le GNL est-il le carburant idéal de demain ?

Depuis le 1er janvier, le combustible des navires ne doit pas excéder 0,1% de soufre en Manche, mer du Nord et Baltique. Les armements ont le choix entre le diesel (40% plus cher), ou un type de propulsion plus propre comme le GNL, à défaut d'installer des dispositifs de nettoyage de fumée, dits scrubbers.
L'option GNL est-elle une solution ? Depuis 50 ans, le GNL est transporté par des méthaniers (environ 400 à travers le monde) qui l'utilisent aussi comme carburant. D'autres types de navires, ferries, rouliers, porte-conteneurs…s'y intéressent aussi. Le GNL a pour avantage de diminuer les émissions de SOx et de particules fines en totalité, celles de NOx à 80%, avec un bilan CO2 très favorable. C'est aussi une solution énergétique disponible, la disponibilité en gaz étant énorme.
Pour autant, il faut respecter certaines conditions pour que le GNL soit le carburant de demain. D'abord disposer d'un espace stockable de 60 à 80% supérieur à celui du fuel, ensuite posséder un niveau de rigueur et de compétences particulières pour utiliser la propulsion au GNL à -160°, et enfin s'assurer de trouver un ravitaillement en GNL. Dans tous les cas, il est nécessaire d'avoir une bonne visibilité sur les coûts de changement de propulsion, car il s'agit d'un investissement qui doit avoir une rentabilité.
En 2011, Brittany Ferries et STX avaient envisagé de travailler ensemble pour créer un ferry fonctionnant au GNL, et avaient lancé le projet Pegasis, ferry au GNL, au moins équivalent, économiquement et opérationnellement à un ferry au fuel lourd. Ce projet a été récemment suspendu pour des raisons opérationnelles (appel d'offres trop tardif), financières (fonds dédié, crédit export), économiques (calendrier contraint) et réglementaires (absence d'exemption temporaire permettant de faire face au surcoût lié au gas-oil). L'armement a préféré choisir le « tout scrubber » pour sa flotte. Pour autant, ce projet pourrait être relancé dans un calendrier non contraint, ce qui sécuriserait davantage les partenaires privés.


En conclusion, si les Assises de la mer ont séduit la plupart des participants par la qualité des intervenants et la richesse des thèmes abordés, pour autant les annonces du Premier ministre ont laissé insatisfaits les navigants français. Malgré l'optimisme de l'armateur Philippe Louis-Dreyfus et les perspectives d'embauche de l'armement Socatra, tempérées par les réflexions du député Armand Leroy, les déboires de la SNCM et les incertitudes quant à l'avenir de MyFerryLink n'étaient pas faites pour nous rassurer.
Ce pessimisme était, hélas, prémonitoire. Ce vendredi 9 janvier, la Grande-Bretagne a définitivement interdit l'activité maritime d'Eurotunnel, appelée MyFerryLink, l'objectif étant d'empêcher le groupe français d'être présent à la fois sur l'eau et sous l'eau et de s'arroger ainsi une position dominante sur le marché trans-Manche.
Une note optimiste cependant, la tenue d'un débat sur la politique maritime de la France en soirée du mercredi 14 janvier. Ce débat n'a malheureusement rassemblé que 14 députés, dont Arnaud Leroy, et le Secrétaire d'Etat à la Mer. Chacun avait le droit à cinq minutes de paroles pour donner son avis sur l'avenir maritime de la France, mais aucun n'a évoqué l'emploi des navigants, excepté Arnaud Leroy qui a rappelé les difficultés de l'embarquement des jeunes. De son côté, Alain Vidalies a loué l'excellence de l'enseignement maritime français au point d'ajouter que « le marin français devient une référence ».


René TYL
membre de l'AFCAN

(1) OPCA : organisme paritaire collecteur agréé (par l'Etat), structure associative à gestion paritaire qui collecte les contributions financières des entreprises dans le cadre de la formation professionnelle.

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