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Naufrage du ROPAX Queen of the North, passes de Wright (Colombie-Britannique) en mars 2006

Synthèse et commentaires par le Cdt Johann De Villars du rapport d'enquête M06W0052,
Bureau de la sécurité des transports du Canada.

 
 

Le 21 mars 2006 à 20H00, le roulier à passagers et véhicules Queen of the North appareille de Prince Rupert (Colombie-Britannique) à destination de Port Hardy (Colombie-Britannique) avec à son bord 59 passagers et 42 membres d'équipage. Après s'être engagé dans les passes de Wright à partir du chenal de Grenville, le navire heurte la côte Nord-Est de l'île de Gil le 22 mars à 00H21. Le navire subit des avaries de coque considérables et, privé de sa capacité de propulsion, dérive pendant environ 1 heure et 17 minutes avant de couler par 430 m de fond. Les passagers et l'équipage abandonnent le navire avant que celui-ci ne coule. A l'issue de l'abandon, deux passagers sont portés disparus et seront déclarés morts à l'issue des recherches.

  1. ANALYSE

  2. Déroulement du voyage
    L'équipage du Queen of the North est réparti en deux bordées (A et B). Chaque bordée assure des quarts de deux semaines et vit à bord pendant toute la durée de l'embarquement.
    Le 21 mars 2006 à 17H00, heure locale, le Queen of the North, en provenance de Skidegate (Colombie-Britannique), arrive au terminal de la BC Ferries, à Prince Rupert.
    A l'issue du déchargement, la bordée B, à bord depuis le 15 mars, prépare le navire en vue de l'appareillage à destination de Port Hardy.
    Les opérations de chargement terminées, le Queen of the North appareille à 20H00, avec 59 passagers, 42 membres d'équipages et 22 véhicules. Il est prévu arriver à Port Hardy le lendemain, le 22 mars, à 13H30.
    A l'appareillage, l'équipe de quart passerelle se compose du capitaine, de deux lieutenants (le deuxième et le quatrième lieutenant), d'une timonière non brevetée et d'un timonier supplémentaire. Le timonier supplémentaire est présent à la demande de la timonière en titre afin de la seconder à la barre car elle ne maîtrise pas le nouveau système de commande qui a été changé lors du récent arrêt technique. Alors que le navire est au « paré à manœuvrer », la timonière gouverne le navire en mode manuel à partir du poste de barre arrière de la timonerie.


    A l'issue de l'appareillage et du chenalage, le navire passe en « Route libre » et en mode pilotage automatique.
    Vers 20H50, la timonière est relevée par un autre timonier.
    Vers 21H00, le capitaine, après avoir rédigé ses consignes pour la nuit et demandé d'être appelé s'il y a du trafic lors de l'entrée dans le chenal de Grenville, confie la conduite du navire au deuxième lieutenant et se retire dans sa cabine. Le ciel est dégagé, la visibilité est bonne et les vents sont calmes.
    Entre 22H00 et 23H50, une relève de timonier est effectuée et les deux lieutenants sont présents à la passerelle mais le quart est encore assuré par le deuxième lieutenant. Au cours de cette période, le quatrième lieutenant quitte la passerelle pour aller se restaurer. Le navire est toujours en route conformément à son plan de voyage et aux consignes du commandant.
    A 23H45 : la timonière non brevetée ayant assurée l'appareillage revient à la passerelle et relève le timonier de quart. Elle prend la responsabilité de la barre et de la veille vers 23H50. La barre est en mode pilote automatique à partir du poste de barre avant. Le navire suit une route vraie au 139°, dans le chenal de Grenville et maintient une vitesse de 17.5 nœuds. Les machines sont commandées depuis la passerelle.

    Peu avant minuit, le quatrième lieutenant revient à la passerelle pour prendre le quart. Le deuxième lieutenant l'informe que la situation surface est claire, seul un navire de pêche, le Lone Star, faisant route au Sud à 5.9 nœuds, se situe sur l'avant bâbord à une distance de 4.4 milles. Les conditions météorologiques se sont dégradées avec des rafales de vent de l'ordre de 30 nœuds.
    Le deuxième lieutenant, ayant passé le quart, va chercher l'ordinateur portable utilisé pour diffuser de la musique en passerelle. Après l'avoir installé en passerelle, il se retire pour sa pause.
    Le quatrième lieutenant et la timonière se retrouvent seuls en passerelle et entament une conversation privée.
    A 23H59, un changement de cap de 4° au pilote automatique est initié afin de maintenir le navire sur sa route. Le quatrième lieutenant utilise pour le suivi de la navigation, le système de carte électronique (ECS). Il réduit, comme à l'accoutumée, la luminosité de l'ECS afin de ne pas gêner la veille visuelle.
    A 00H02'34'', soit environ 1.3 mile du point tournant (Sainty Point), le quatrième lieutenant contacte le centre de contrôle du trafic maritime (Prince Rupert). L'appel dure une quarantaine de secondes, et on peut entendre en bruit de fond de la musique. Le lieutenant consigne son appel sur le journal de navigation puis reprend sa conversation privée avec la timonière.
    A ce moment, le Queen of the North rencontre une ligne de grains accompagnée de vents violents, de fortes pluies et d'une réduction de la visibilité.
    Le navire de pêche Lone Star a, quant à lui, dépassé le point Sainty Point et contourne la côte pour aller s'abriter des intempéries derrière l'île Promise. A 00H05, le Lone Star est dans le gisement bâbord 338° pour 2,8 milles. Le navire de pêche n'est alors plus visible sur l'écran radar et l'alarme de perte de cible s'affiche. Le lieutenant valide la perte d'alarme et n'essaie pas de rentrer en communication avec le navire.
    A 00H07, le Queen of the North dépasse le point Sainty et entre dans la passe de Wright sans faire le changement de route requis. Le quatrième lieutenant et la timonière sont assis dans des fauteuils voisins du radar et du poste de barre avant. Ils discutent par intermittence pendant les 12 minutes qui suivent avec la musique en arrière-plan. La ligne de grains s'éloigne et la visibilité s'améliore.
    Vers 00H20, soit 13 minutes après le point prévu de changement de route, le quatrième lieutenant se place entre les sabords avant de la passerelle et le radar. Il ordonne de modifier le cap et de venir au 109°. La timonière lui demande de confirmer l'ordre ; ce qu'il fait. Alors que la timonière se lève pour procéder au changement de cap, elle aperçoit des arbres sur l'avant tribord. Le quatrième lieutenant aperçoit lui aussi des arbres et se rend immédiatement au poste de barre arrière. Il ordonne à la timonière de débrancher le pilote automatique et de gouverner en manuel. Ne connaissant pas bien le fonctionnement du commutateur sur le poste de barre avant, elle ne peut reprendre la barre en manuel.
    L'enquête n'a pas permis de déterminer avec certitude si la timonière a amorcé le changement de cap au pilote automatique ou si le quatrième lieutenant a désactivé le pilote automatique ou les deux. Toutefois, les données de l'ECS indiquent que la route fond du navire a commencé à dévier sur bâbord à 00H20'50'' et que le navire a heurté l‘île de Gil à 00H21'20''.

    Après l'impact, la timonière quitte la passerelle pour aller chercher le capitaine. Le roulier continue sur son erre pendant un bref moment, bien qu'il progresse à une vitesse moindre après avoir heurté la côte de l'île et commence à dériver vers le Nord.

    Rien ne donne à penser que lors de ce voyage et jusqu'à l'impact, les équipements de navigation et le système de propulsion aient pu faire l'objet d'une panne.

    Vers la fin avril 2007, la compagnie a fait savoir au Bureau enquête accident qu'il existait une possibilité que la timonière ait pu être seule en passerelle au moment de l'accident.
    Evénements qui ont suivi le heurt
    A l'issue de l'impact, le deuxième lieutenant qui se trouvait au carré officiers, accourt à la passerelle. Voyant la terre sur l'écran radar, il affiche les manettes des machines en « Arrière Toute » mais le navire ne réagit pas.
    Le capitaine du navire arrive en passerelle après que l'alarme générale soit déclenchée. Il allume l'éclairage extérieur des ponts et ordonne, quelques temps après, la fermeture des portes étanches.
    Entre 00H23 et 00H27, la position du navire transmise au centre de contrôle du trafic Prince Rupert est incorrecte. L'information de 101 personnes à bord est toutefois transmise.

    L'envahissement dans la salle des machines a été immédiat, rapide et massif. L'enquête a montré que le bordé de carène tribord a été rompu le long de la quille, à l'avant ainsi qu'au droit d'au moins deux compartiments étanches principaux : la salle des machines principale et un emménagement de l'équipage situé sur l'arrière du pont 2. Au total ce sont trois compartiments principaux qui ont été envahis.
    Comme les pompes de cale ne suffisaient pas pour étaler la voie d'eau dans la coque, les mécaniciens de quart ont utilisé la commande locale de fermeture des portes étanches. Seule la porte étanche séparant la salle des machines principale de l'atelier n'a pu être fermée en raison de débris flottant. L'équipage n'a pas eu le temps d'apprécier l'étendue des avaries subies par la coque avant d'évacuer.

    Le premier officier, qui n'était pas de service et dormait dans sa cabine, s'est réveillé, s'est rendu sur la passerelle et a essayé de contacter la salle des machines, mais sans succès. Il a informé le capitaine qu'il descendait dans la salle des machines pour aller se rendre compte de la situation. Il serait joignable par radiotéléphone. Il est descendu au pont 4 au milieu du navire et a constaté que le pont-garage principal (pont 3) était inondé. Le navire gîtait sur tribord et il avait une assiette positive.
    Le deuxième et le quatrième lieutenant se sont rendus à la plage-avant et ont mouillé les deux ancres. Le deuxième lieutenant est ensuite descendu sur les ponts 5, 4 et 3 afin de rassembler les passagers et les membres d'équipage mais aussi pour évaluer la progression de l'envahissement. Le responsable des opérations maritimes de la compagnie « BC Ferries » pour Prince Rupert se trouvait à bord du navire et a informé la direction de la « BC Ferries » qu'un accident venait de se produire.
    A 00H26, le Queen of the North avise le centre de contrôle « Trafic Prince Rupert » qu'il venait de s'échouer et qu'il demandait des secours immédiats.
    A 00H27, les gardes-côtes de Prince Rupert diffusent un message Mayday Relay sur le canal 16, indiquant que le Queen of the North s'était échoué un peu au Sud de Sainty Point, dans le chenal Grenville, qu'il gîtait considérablement et qu'il avait une voie d'eau.
    A 00H38, trafic Prince Rupert est avisé qu'on fermait les portes étanches.
    A 01H40, après l'abandon du navire, le roulier a coulé par l'arrière par 430 m de fond, à la position 53°19,9' N et 129°14,7' W. Le roulier s'est immobilisé sur sa quille et la coque s'est enfoncée d'environ 9 m dans la vase.
    Opérations d'abandon du navire
    L'eau ayant rapidement envahi les emménagements de l'équipage au pont 2 et le pont 3 commençant à être inondé, la passerelle ordonna par diffusion générale que les passagers et les membres d'équipage rejoignent les postes d'évacuation des embarcations et des radeaux de sauvetage situés au pont 7.
    Une fois rassemblés au pont 7, les passagers ont été pris en charge par les membres d'équipage et ont revêtu, pour ceux qui n'en avaient pas, un gilet de sauvetage et ont pu se procurer des vêtements chauds.
    Le canot rapide armé par deux membres d'équipage, trois radeaux sous bossoirs pour l'ensemble des passagers et une partie de l'équipage et enfin, une embarcation de secours pour le capitaine et le restant de l'équipage ont été mis à l'eau.

    Une certaine confusion régnait. C'est ainsi que :
    • Aucun appel aux points de rassemblement conformément aux procédures établies n'a été diffusé. Ce sont les secousses et le bruit dus au heurt qui ont permis aux passagers de prendre conscience de la situation d'urgence.
    • Nombre de passagers n'ont pas entendu l'alarme générale et l'annonce publique. Les instructions aux passagers ont été communiquées de bouche à oreille.
    • Seuls certains membres d'équipage ont revêtu les gilets réfléchissants permettant de les identifier.
    • Certains passagers ont rejoint le point 8 au lieu du pont 7.
    • La procédure consistant à mettre en place une ronde de vérification des cabines et espaces passagers n'a pas été mise en œuvre. Seule une partie des cabines a été vérifiée. Il a été impossible de savoir si tous les espaces passagers et en particulier les toilettes ont été visités.
    • Le pont 3, déjà inondé n'a pas été vérifié.
    • Le comptage des passagers, une fois rassemblés au pont 7 n'a pas été effectué.
    • Les passagers ont été comptés lors de l'embarquement à bord des radeaux de sauvetage. Mais des événements imprévus tels qu'un passager avec des enfants ont perturbé cette séquence et faussé les chiffres.
    • Le résultat de ce comptage a été transmis au capitaine mais n'a pas été consigné.
    • Une fois l'ensemble des passagers et membres d'équipage évacués, le capitaine a demandé à plusieurs reprises de recompter les passagers. A chaque fois, il a obtenu des chiffres différents. Le manque de lampes-torches et de moyens pour consigner ces résultats expliquent ces différences.
    Opérations de recherche et sauvetage
    A 00H26 : Le centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage (CCCOS) de Victoria déclenche les opérations de recherche et sauvetage (SAR). Un grand nombre de moyens nautiques dont quatre navires des gardes-côtes et deux aéronefs SAR sont dépêchés sur zone. A 00H27 : le Lone Star qui navigue à 5 milles des lieux de l'accident se déroute pour porter assistance. Des résidents de Hartley Bay situé à 6 milles des lieux de l'accident, captent le message de détresse et interviennent à bord de cinq embarcations. De 01H13 à 02H20 : les navires arrivent sur zone et :
    • Embarquent les rescapés et les ramènent à Hartley Bay où ils sont pris en charge et identifiés.
    • Procèdent à des recherches sur zone pour tenter de retrouver d'éventuels survivants.
    L'incertitude quant au nombre de passagers a obligé à continuer les recherches sur zone. Le 23 mars à 18H56, les recherches sont suspendues et deux passagers manquant à l'appel sont officiellement déclarés morts.
  1. CONCLUSIONS

  2. Facteur déclenchant
    Cet accident est dû à une erreur de navigation. Le quatrième lieutenant a manqué un point tournant et a poursuivi au cap, persuadé que le navire suivait la route prévue.
    Facteurs aggravants
    Ce type d'accident permet à une commission d'enquête de relever des manquements dans le fonctionnement d'une organisation. Ces manquements ou facteurs aggravants pris séparément peuvent paraitre anodins mais, étudiés sous le prisme de l'accident, montrent des brèches de sécurité et expliquent bien souvent l'impensable. Dans le cas précis du Queen of the North, la commission d'enquête a relevé un grand nombre de facteurs aggravants qui permettent d'expliquer la perte de ce roulier lors d'une phase de navigation considérée comme facile par les officiers chefs du quart.
    Pratique du quart et suivi de la navigation :
    Moyens de navigation :

    Pour le suivi de la navigation, l'équipe passerelle utilisait le radar et un système de cartes électroniques (ECS) capable de visualiser des données vectorielles ou matricielles. Or, l'utilisation de l'ECS comme moyen de navigation n'est pas conforme à la réglementation SOLAS et ne peut donc remplacer la carte papier ou l'ECDIS. Les officiers chefs du quart n'avaient pas pour habitude de porter la position du navire sur des cartes papier.
    De plus, la commission d'enquête a révélé :
    • En raison d'une impossibilité de régler convenablement la luminosité, l'éclairage de l'ECS avait été réduit de sorte qu'il était impossible de lire l'affichage.
    • L'alarme relative aux écarts de route qui aurait pu alerter l'officier chef du quart, avait été désactivée.
    • L'alarme de danger pour la navigation de l'ECS qui aurait pu indiquer la proximité de l'île de Gil, n'était pas disponible puisqu'on utilisait une carte matricielle alors que la carte vectorielle était disponible.
    • Les alarmes du radar pour le suivi de la navigation n'étaient pas réglées ou étaient désactivées.

    Composition de l'équipe passerelle :

    Au moment de l'accident, l'équipe se composait d'un officier breveté chef du quart et d'une timonière non brevetée. Une troisième personne pour seconder la timonière non brevetée aurait dû être présente pour respecter la réglementation SOLAS. De plus, la timonière ne maîtrisait pas le nouveau sélecteur de la commande de barre.

    Nota : La commission d'enquête n'a pas retenu l'hypothèse que la timonière ait été seule à la passerelle au moment de l'événement (Impossibilité de le prouver).

    Principes de base du quart :

    Les principes de base du quart en passerelle afin d'assurer une navigation en toute sécurité n'ont pas été respectés. La commission d'enquête a noté les écarts suivants :
    • Pas de vérification du cap après le passage d'un point tournant.
    • Pas de points réguliers sur la carte papier.
    • Pas de surveillance de la progression du navire que ce soit visuellement, sur le radar ou sur l'ECS.
    • Pas d'identification des amers remarquables tout au long de la route suivie (3 feux de navigations remarquables).
    • Pas de veille visuelle efficace.
    • Pas d'ambiance formelle à la passerelle ; conversations privées et musique d'ambiance.
    • Pas de mise en œuvre de procédure en cas de mauvaise visibilité :
      • Pas de réduction de vitesse.
      • Pas prévenu le commandant des conditions de mauvaises visibilité.
      • Pas de veilleur supplémentaire.
      • Pas fermé les portes étanches en dessous du pont de franc-bord.
    Fait d'autant plus aggravant : ces manquements ne sont pas la conséquence d'une situation de navigation exceptionnelle mais d'une pratique courante à bord du Queen of the North. Aux dires des officiers chefs du quart, cette portion de navigation ne présentait aucune difficulté particulière.
    Utilisation des portes étanches :
    Le compartimentage de la coque des navires à passagers en compartiments étanches est un principe de conception fondamentale qui vise à améliorer la possibilité de survie d'un navire qui subirait des avaries sous la flottaison.
    Lors de l'événement, conformément à la pratique établie, plusieurs portes étanches du navire étaient ouvertes, ce qui n'a pas permis d'assurer le cloisonnement du navire.
    De plus, le retard pris dans la fermeture des portes étanches (16 minutes après le heurt) a sans aucun doute contribué à un envahissement progressif de compartiments autres que ceux ayant subi des avaries lors de l'accident.
    Gestion de la sécurité :
    Un système de gestion de la sécurité conformément au code ISM permet aux exploitants de navires de relever les manquements et les lacunes afin d'intervenir de façon appropriée pour améliorer la sécurité à bord et réduire les risques.
    La compagnie BC Ferries disposait d'un tel système et menait des audits internes réguliers afin de contrôler ses navires. La commission d'enquête a toutefois noté, qu'après examen des dossiers de vérification disponibles sur les huit dernières années, de nombreuses déficiences et observations n'avaient pas été signalées lors de ces audits. C'est ainsi que :
    • Les officiers pont n'avaient pas suivi de formation appropriée pour l'utilisation des équipements de navigation électronique (ECS, radar).
    • Des personnels du service pont ne détenaient pas les brevets et certificats requis pour exercer dans leur fonction.
    • Les exigences réglementaires, édictées par la compagnie et plus restrictives que la réglementation canadienne quant à la délivrance de brevets et certificats, n'étaient pas respectées.
    • Il n'existait pas de plans et procédures d'urgence propres à chaque navire associés à l'abandon du navire.
    • Le climat de travail au sein des navires n'était pas formel.
    • Il avait été constaté dans un rapport interne, datant de 2004, une augmentation des membres d'équipage affectés sans avoir reçu une formation complète. Des cas de marins pour lesquels il n'y avait aucun document prouvant qu'ils étaient titulaires de brevets ou certificats valides étaient relevés. De plus, les accords d'entreprise prévoyaient que l'ancienneté était le seul facteur d'admissibilité pour les promotions. La compétence n'entrant pas en ligne de compte, certains personnels se retrouvaient à des postes de sécurité sans avoir la formation et donc la compétence pour assumer les fonctions.
    • Les exercices de sécurité et en particulier les exercices d'abandon du navire étaient effectués conformément à la réglementation mais ils étaient considérés comme des activités courantes. Ils consistaient généralement à rassembler l'équipage sans mise en situation. Ces exercices n'abordaient pas tous les aspects des difficultés associées à la gestion d'un grand nombre de personnes.

    Ces dysfonctionnements ont été mis sur le compte de la surcharge de travail des quatre auditeurs de la compagnie qui n'avaient pas le temps matériel de suivre avec rigueur les audits qu'ils menaient sur les 35 navires de la flotte et les 150 sites de la compagnie.
    Procédure d'abandon :
    Le Queen of the North ne possédait pas de plan d'évacuation clair et précis qui aurait permis de trouver et rassembler tous les passagers en toute sérénité.
    Par ailleurs, les manifestes passagers générés par BC Ferries n'étaient pas assez précis et fonctionnels. Ils présentaient de nombreuses erreurs expliquant la confusion lors du décompte des passagers pendant la phase d'abandon.
    Liaison entre le quatrième lieutenant et la timonière :
    Le quatrième lieutenant et la timonière avaient eu une liaison récurrente qui avait pris fin deux semaines avant l'accident. Cette nuit-là, c'était la première fois qu'ils se retrouvaient seuls ensemble depuis la fin de leur liaison.
    Repos des membres d'équipage :
    Après avoir rejoint le navire le 15 mars, la timonière a débarqué en congé maladie le 17 mars. Pendant son congé maladie, elle a dormi surtout la nuit. Après s'être réveillée à 06H00, le 20 mars, elle a rejoint le navire vers 18H00 et a débuté immédiatement un quart de nuit de 12 heures. Elle avait mal dormi au cours de la journée qui a précédé l'événement. La timonière était davantage susceptible d'être fatiguée, étant donné qu'elle avait modifié ses habitudes de sommeil (passage du sommeil de nuit au sommeil de jour).
    Consommation d'alcool et de stupéfiants :
    La compagnie BC Ferries avait mis en place une politique de tolérance zéro en matière de consommation d'alcool et de stupéfiants ainsi qu'un programme d'aide aux employés ayant des problèmes de dépendance.
    L'enquête a permis de démontrer que des membres d'équipage qui occupaient des postes critiques au point de vue de la sécurité étaient des consommateurs occasionnels de cannabis et qu'ils fumaient à bord. Cependant, rien n'indique que les facultés du quatrième lieutenant ou de la timonière aient été altérées au moment de l'accident par l'alcool ou des drogues. Aucune analyse toxicologique n'a été effectuée à l'issue de l'événement.
    Toutefois, la commission d'enquête a noté que le personnel de BC Ferries n'adhérait pas pleinement à cette politique de tolérance zéro et que des responsables du Queen of the North ne prenaient pas toujours les mesures appropriées pour assurer une application stricte de cette politique.
    Enregistreur des données (VDR) :
    Un VDR ne contribue pas à améliorer la sécurité d'un navire mais par contre il s'avère précieux pour retracer les événements d'un accident. Le Queen of the North ne possédait pas de VDR, la réglementation de l'époque ne l'imposait pas. L'absence de ce système d'enregistrement a rendu l'enquête plus complexe et a considérablement prolongé le processus d'enquête.
  3. RETOUR D'EXPERIENCE

  4. Dans le monde aéronautique, il est coutume de dire : LA ROUTINE TUE.

    Dans le monde maritime et en l'occurrence dans le cas précis de l'accident du Queen of the North, ce principe de base peut, de toute évidence s'appliquer.
    En effet, nous sommes en présence :
    • D'une ligne maritime routinière où le personnel de quart en passerelle comme en machine considère le trajet maritime comme facile. Le passage de Wright était même qualifié de segment de navigation le plus facile du voyage.
    • D'un système de gestion de la sécurité globalement conforme au code ISM mais qui au fil du temps et devant la surcharge de travail des auditeurs a dérivé et a laissé s'installer des brèches dans la sécurité : formation de personnel, exercices sécurité de principe pour coller à la réglementation et sans objectif de formation du personnel, non-conformités et observations lors d'audits de la compagnie qui ne sont pas suivis de mesures correctrices.
    • D'une pratique du quart en toute dilettante ; pas de suivi de la navigation, pas de mise en œuvre de procédure de mauvaise visibilité avec en particulier les portes étanches ouvertes à la mer.
    • D'une ambiance de travail non formelle à l'opposé des principes de base de la conduite du quart en passerelle : musique en passerelle et conversations privées.

    Ces causes latentes n'attendent qu'un événement déclencheur (en l'occurrence dans ce cas précis le point tournant raté) pour se combiner et conduire à l'accident conformément au modèle de « Reason ». Toute organisation présente des dysfonctionnements, il serait illusoire de penser qu'une compagnie maritime puisse à tout moment respecter à la lettre tous les fondamentaux de la sécurité. Les audits, les exercices sécurité, les réunions de sécurité et les analyses des événements évités, les incidents ou les accidents nautiques sont des moments privilégiés, non pas pour satisfaire à une réglementation, mais bien pour que chacun puisse régulièrement avoir l'occasion de méditer et surtout se rappeler que l'exploitation commerciale d'un navire reste une activité dangereuse qui demande une remise en question permanente.

Cdt J. DE VILLARS
Membre de l'AFCAN


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